Tribune – « Comment réformer l’Administration burkinabè sous la crise ? »

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Ceci est une tribune de Ousmane Djiguemdé sur la réforme de l’administration burkinabè.

La question de la réforme de l’Administration burkinabè est un serpent de mer qui ne finit pas, non seulement, de s’enrouler autour de la problématique du développement de notre pays, mais surtout de le freiner. Jusqu’à ce jour, les réflexions, actions et ressources multiples engagées dans le processus n’ont jamais permis de voir le bout du tunnel dans cette matière, puisqu’aujourd’hui l’administration est un chaos. Et pourtant la prise de conscience s’est faite très tôt et des actions salutaires initiées à temps, à l’image de celle de la période révolutionnaire.

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  1. Un processus révolutionnaire modernisé avec la RGAP et les TOD

La prise de conscience nationale sur la qualité de l’administration burkinabè est venue sous la révolution au cours de réflexions à Ouahigouya du 13 au 21 septembre 1986. C’était à l’occasion de la tenue de la toute première Conférence des Commissions du Peuple chargées des secteurs Ministériels (CCPM), instituée par le décret N°85-108/CNR/PRES du 02 novembre 1985 traitant des Structures Dirigeantes de l’Exécutif Révolutionnaire (SDER). Ces premières assises, consacrées à la « médication de la crise de l’administration », ont planché sur la « vie administrative en vue d’adopter une série de résolutions pour améliorer le fonctionnement de l’administration », à travers trois axes :

  • les structures administratives et politiques ;
  • les ressources humaines ;
  • la logistique.

Sur la question, la révolution a donné le tempo sur lequel s’est appuyé l’État pour initier les conférences annuelles de l’administration publique (CAAP) de 1991 et de 1993 pour engager la réflexion sur la modernisation de l’État. Le couronnement a pris la forme d’une Réforme globale de l’Administration publique (RGAP) en 1998 et des textes d’orientation de la Décentralisation (TOD) en 2000.

  1. Une réforme mort-née avec la crise de Sapouy en 1998

À défaut de dirigeants visionnaires et engagés, d’un caractère participatif et d’une adhésion populaire, l’on sait qu’une réforme sociale est difficile à effectuer. C’est ce que vit par exemple la France et la cause son retard sur des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne. Comme ici, les échecs des réformes s’expliquent parfois par cette insuffisance ou par la caducité des normes au moment de leur adoption puisque prenant rarement en compte les apports de la pluridisciplinarité académique.

Pourtant, la plupart de ces textes étaient assez pertinents et conformes à l’état des connaissances du moment en gestion publique. Mais, plus que la prise en compte de la pluridisciplinarité académique, c’est le drame de Sapouy et le supposé diktat international qui sont en cause ! Ainsi, le contexte sociopolitique de l’époque, la mauvaise foi des gouvernants, peut-être la faible culture administrative des syndicats et la colère du peuple n’ont pas permis de les mettre pleinement en œuvre.

Les oppositions ont porté sur la remise en cause de la flexibilité de l’emploi public, le principe d’évaluation et la rémunération. L’application de la réforme et la restructuration de ces piliers, en dehors de toute étude d’impact et toute expérimentation préalable pour mesurer les effets sur les comportements des agents économiques dans la chaîne, ont transformé la RGAP en une réforme mort-née qu’est venue achever une loi no081-2015 qui restaure la fonctionnarisation de l’agent public, la remise en cause de principes essentiels de la nouvelle gestion publique et le retour à l’administration bureaucratique.

  1. Un retard de trois générations de réflexion sur la modernisation

Sans avoir véritablement appliqué les innovations de gestion, dans leur plénitude, nous nous sommes retrouvés au bilan avec une évaluation biaisée d’une réforme incomplète. Ni la flexibilité de l’emploi public, ni le statut de l’agent public, la conceptualisation et la pratique de la gestion publique et du gestionnaire public, n’ont vraiment progressées dans le droit burkinabè.

Pire, ils ne réapparaissent plus dans les nouvelles normes de la Fonction publique d’État. Pourtant, ce sont les éléments-clé de la modernisation des années 80 et 90. Les années 2000 étant celles de la nouvelle gestion publique que viendra soutenir la prochaine vague d’innovations pluridisciplinaires axées sur les NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Résultat : au final, nous sommes en retard de trois générations de réflexion sur la modernisation de l’Administration.

Mais, à ce jour, ce qui est impérieux dans la reconstruction de notre administration, c’est l’action à exercer sur la nature des interventions de l’État afin d’organiser scientifiquement l’action publique. C’est ce qui a manqué dans le processus de la loi no081-2015, d’où les externalités négatives traduites par les crises.

  1. Une nouvelle norme créatrice d’externalités négatives

Dès sa mise en œuvre, les protestations ont conduit à une inflation normative sous forme de corrections discriminatoires en faveur de certains emplois, au milieu d’un mal général. Dans le principe d’une norme intelligente, qu’aurait dû être la loi 081 au regard des enjeux, il aurait fallu des études d’impact et une expérimentation pour voir si la nouvelle norme prend en compte les effets recherchés sur les comportements des agents concernés, dans leur contribution à l’économie, et si elle intègre les apports utiles d’autres sciences sociales, dans une logique d’efficience, de satisfaction des citoyens et de croissance économique.

Si cette loi est déjà contestée, malgré la forte implication des partenaires sociaux, on déduit que la démarche participative adoptée ici n’était pas la bonne. Au lieu de produire les effets attendus, elle a produit des externalités négatives, dont les effets non prévus sont la prolifération de statuts particuliers, de fonctions publiques parallèles, d’appétits de droits égoïstes, d’accords et conventions d’exemption et des crises sociales chroniques. Tout ceci ayant pour conséquence l’immobilisation de l’action publique sur de très longues périodes, donc une décroissance de l’économie.

Le vrai problème est que le Burkinabè n’est plus prêt à accepter la moindre rupture d’égalité, le moindre recul démocratique dans un contexte d’égalité devant la contribution fiscale. Or, les facteurs justifiant ces droits nouveaux en cause ne sont pas égalitaires. La faute aux hommes politiques qui n’ont pas écouté leurs techniciens, ou n’ont pas mis les hommes qu’il fallait pour conduire les processus.

Maintenant que tout le monde veut sortir de la loi no081-2015, pour laquelle le processus a été participatif, itératif et très long, on doit s’interroger sur la sincérité de l’implication des syndicats et du gouvernement dans les travaux. On pense que le RIME, imparfait en France même, sera la panacée pour corriger le tir. Mais en attendant, l’administration est dans un chaos pour lequel même le ministre Clément Sawadogo marque son impuissance à travers sa dernière déclaration sur le dialogue social. Sauf que le dialogue social ne pas résoudre un problème structurel sans des gages de réformes profondes et d’une vision consensuelle.

  1. Une erreur d’appréciation aux conséquences insoupçonnées

L’erreur de l’État, c’est qu’au lieu d’engager les réformes nécessaires, en même temps qu’un processus énergique de réconciliation nationale, il a simplement procédé à la distribution de droits nouveaux de façon aléatoire. À sa décharge, on peut noter qu’il a été victime de l’ombre du second mandat, puisque rarement un processus de réforme de cette nature garantit la popularité.

Le contexte actuel démontre la nécessité de ces réformes sous peine de conduire peut-être à une autre révolution plus violente. Les ingrédients sont en train d’être réunis entre le discours de politiciens, qui ne comprennent pas la profondeur du drame de l’Administration, et l’intransigeance des citoyens. Pire, lorsque la fonction publique devient le 1er pourvoyeur d’emplois, d’amplitude guère supérieure à la dizaine de milliers, c’est une bombe qui se profile. Mais on connaît tous l’histoire !

  1. Nécessité d’une approche synthétique pour une norme intelligente

L’on ne saurait écrire une constitution au 21ème siècle de la même manière qu’au 18ème ou au 20ème siècle pour des raisons évidentes. D’abord aucune norme aujourd’hui ne peut échapper à la nécessité de son intelligence. Ensuite, l’on ne peut plus ignorer la prévisibilité des dysfonctionnements découlant de dispositions conflictuelles. Enfin, il est suicidaire de s’enfermer dans un purisme juridique stérile qui exclut l’apport de la pluridisciplinarité académique.

De même, l’évolution générationnelle de la réflexion, avec des méthodes et approches différentes des problèmes publics et de leur résolution, imposent une direction de la conduite des processus d’élaboration des normes modernes par des acteurs au faîte des questions de transformation de la gestion et des organisations publiques. Sur ces points, les résultats de l’avant-projet de constitution de la 5ème République ressemblent fort à ceux de la loi no081-2015.

Aujourd’hui, plus que par le passé, il y a la nécessité, dans la conduite de l’action publique, de mettre en évidence le fil conducteur de cette action, afin de permettre à tout citoyen d’y participer pleinement et d’exercer le contrôle citoyen des affaires publiques en toute connaissance de cause. Cela exige que toute l’action publique soit repartie en matières connues et édictées, suivant une dialogique synthétique et analytique des problèmes publics et des solutions envisagées par l’État.

Quand on sait que les solutions proposées par l’État sont traduits en services publics, et que la nouvelle gestion publique prône leur adaptation aux réalités du pays, et ouvre la possibilité d’édicter ainsi des services publics fonctionnels, flexibles, autour desquels les grandes activités de l’État se construisent, l’intelligence de la norme de réforme prend alors source dans une nomenclature claire et flexible des services publics édictée par l’État. Ensuite, à défaut d’élargir les compétences de la COTEVAL, le Burkina Faso a besoin d’une commission en charge de l’intégration de la pluridisciplinarité académique dans le processus d’élaboration des normes, de la conduite des études d’impact et d’expérimentation de la norme avant sa mise en œuvre définitive. Et ça, ce ne sont pas de simples questions-réponses d’un processus itératif qui peuvent le résoudre !

  1. Un besoin de mobilisation sociale pour la réforme de l’Administration

La réforme de l’Administration est un combat scientifique qui doit être porté par la seule école de management publique de notre pays (l’ENAM) avec l’appui des universités et centres de recherches pour les besoins de pluridisciplinarité des nouvelles normes. Malheureusement, il faut le reconnaître, l’ENAM ne s’affiche pas comme telle et n’a pas toujours été à la hauteur de cette bataille.

D’abord, le cours de management, trop général et pas axé sur des études et applications de l’administration publique burkinabè, est loin de développer des capacités de gestion publique chez les futurs cadres, a fortiori des appétits de recherches et de développement du management public au Burkina Faso. Il en est de même pour les cours de services publics, jusqu’à un passé récent, rassemblés et dispensés avec des contenus de cours de services publics français plagiés, sous forme de séminaire. Pour être utile à la cause, cette école doit résoudre un vrai problème de curricula, d’évaluation et peut-être aussi de management interne, comme me l’a confié un professeur canadien de management public.

Du coup, pour combler l’absence d’engagement sur une réflexion de qualité pour la réforme, l’État a créé le SP-MABG pour réfléchir et mettre en œuvre la modernisation de l’Administration. En somme, toute la réflexion sur la transformation de la gestion et des organisations publiques est concentrée entre les mains du SP-MABG, sans aucun cadre de collaboration avec l’ENAM et les universités pour le contrôle de la pluridisciplinarité des normes, avec le risque d’une expertise extérieure parfois peu efficace et étrangère aux réalités.

Dans leurs contenus, les réformes doivent concerner les institutions de conception et d’évaluation de la norme, dans le sens de leur permettre de changer leur méthodologie pour y ajouter les outils d’études d’impact et d’expérimentation (sur le terrain ou en laboratoire), avant toute validation et mise en œuvre. C’est la condition pour éviter une inflation des normes comme avec la loi no081-2015.

Le plus grand oublié de la modernisation a été l’éducation qui a longtemps crié sa douleur sans être écoutée. Elle reste au niveau où les autres pays étaient dans les années 70, pour les modèles d’écriture dans les cahiers par exemple ou encore le soutien didactique et de préparation des cours résolus depuis dans les autres pays, mais qui continue de consommer parfois tout le temps de repos de certains enseignants. À cette pénibilité, il faut ajouter les difficultés nées de l’explosion scolaire. Pour eux la modernisation est à la fois basique et un combat contre tous ceux à qui le statut quo profitait.

D’un extrême à l’autre, la mobilisation sociale autour de la réforme ne doit pas ignorer la médiation pour le retour à la normalité avant de négocier ensemble les bases de l’administration moderne du Burkina Faso. C’est le rôle du Médiateur du Faso. Pour que son action soit pertinente et efficiente, celui-ci doit être dépolitisé, comme le démontre Saran Séré/Sérémé en démissionnant de son parti.

Mieux, le Médiateur du Faso doit être domestiqué et ses attributions relues et élargies pour prendre en charge la gestion des crises sociales, pour ne plus être limitée aux seules relations administration–administrés. C’est une alternative pour la place de la chefferie coutumière et religieuse, trop impliquée déjà dans la résolution des crises sociales et la régulation politique. À la constitutionnalisation, il serait judicieux de leur confier le Médiateur du Faso pour jouer le rôle de régulateur social.

Ousmane DJIGUEMDE

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