Tribune – « L’atteinte intolérable à l’indépendance du magistrat burkinabè ! »
Ceci est une tribune de Me Paul Kéré sur l’indépendance du magistrat au Burkina.
A l’aube de l’ouverure du procès du putsch présumé, le 27 Février 2018, par une circulaire n° 0017 du 4 Janvier 2018, avec une ampliation au Président du CSM et SG du MJDHPC, au Premier Président de la Cour d’Appel, au Président de la Chambre d’Accusation, aux Juges d’Instruction, aux Procureurs Généraux, à Madame Le Procureur du Faso, aux Juges de l’Application des peines, et aux Directeurs d’Etablissements pénitentiaires du Burkina Faso, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice vient de porter un coup fatal intolérable (sans peut-être s’en rendre compte) au principe fondamental de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et l’autorité Judiciaire en ces termes :
« Il m’a été donné de constater que les permissions de sortie accordées aux détenus pour consultation médicale engendrent de nombreux incidents qui entravent le fonctionnement des établissements pénitentiaires.
Il me plaît, par la présente, de rappeler que chaque établissement pénitentiaire est pourvu d’un service de santé permettant de dispenser des soins de la même qualité que ceux dispensés dans les formations sanitaires de même niveau.
Dans les cas où les soins nécessaires à leur état ne peuvent être donnés sur place aux détenus malades, ceux-ci sont conduits à un centre hospitalier public, conformément à l’article 261 de la Loi n°010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso offrant des garanties de sécurité pour la surveillance des détenus malades hospitalisés et où ils peuvent avoir accès aux différents spécialistes de la santé.
Je vous invite par conséquent à prendre toutes les dispositions utiles pour limiter l’octroi des permissions de sortie pour des soins médicaux dans des formations sanitaires privées.
De plus, la permission de sortie est une mesure de la compétence du Juge de l’Application des peines au profit des détenus condamnés dont la durée ne peut excéder sept jours à concurrence de trente jours par an.
Par ailleurs, le séjour des détenus dans les hôpitaux est limité au temps strictement nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 263 de la Loi ci-dessus citée. Le recours à toute hospitalisation doit être fait sur requête au responsabl du service de santé de l’établissement après avis du Directeur de l’établissement pénitentiaire.
J’attache du prix au respect strict de la présente circulaire » avec ampliation au Président du CSM et SG/MJDHPC.
Cette circulaire du 4 Janvier 2018, n’en déplaise au Garde des Sceaux, constitue, ni plus ni moins, qu’une gravissime atteinte, non seulement à la liberté et à l’indépendance des magistrats burkinabè, mais, constitue surtout, une atteinte inacceptable et intolérable à la dignité de la personne privée provisoirement ou définitivement de sa liberté.
Rappelons sans complaisance à notre Garde des Sceaux, que la dignité humaine ne s’arrête pas à la porte de la prison. Un criminel, même impénitent conserve indéniablement sa dignité humaine même privé de ses droits civils, civiques et de sa liberté.
Ainsi donc, après avoir « correctement » géré la détention provisoire de Monsieur Inoussa KANAZOE qui, faut-il le rappeler n’a jamais fait « un seul jour de prison » malgré le mandat de dépôt qui le frappait, voilà que notre Ministre de la Justice s’arroge unilatéralement le droit, à travers cette circulaire sous forme de « diktat » (« …strict respect… » sic !), de porter une telle atteinte injustifiée, non seulement à l’indépendance des Juges, en les invitant clairement et sans ambiguité « …à prendre toutes les dispositions utiles pour limiter l’octroi des permissions de sortie pour des soins médicaux dans des formations sanitaires privées… », mais surtout d’entraver la nécessité d’administrer humainement des soins à des détenus malades qui ont la possibilité de se faire soigner dans les cliniques privées.
Rien ne doit être économisé pour les soins à porter à l’Humain et ce, quelle que soit la gravité de sa faute. C’est un gage et un pari civilisationnel !
En effet, la circulaire du Garde des Sceaux précise bien que « … Dans les cas où les soins nécessaires à leur état ne peuvent être donnés sur place aux détenus malades, ceux-ci sont conduits à un centre hospitalier public… ». Pourquoi seulement « public » si un détenu a les moyens financiers de se faire soigner dans une clinique privée ou si, sans moyens financiers, sa pathologie ne peut être prise en charge par un centre de soins public ? Que fait-on dans ces circonstances ? Laisser mourir le détenu ? Cela est tout simplement intolérable ! Et il faut avoir le courage de le dénoncer quel qu’en soit le prix. Il y a des valeurs qui ne se bradent pas.
L’on peut d’ailleurs légitimement s’interroger si, effectivement, notre Garde des Sceaux a déjà visité le Service de Soins de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou. Pour l’avoir personnellement visité, en dépit des hommes et des femmes qui l’animent courageusement, on peut affirmer, sans grand risque de se tromper que ce service de soins de la MACO n’est pas plus équipé que le CSPS de mon village à Loanga dans la Province du Boulgou (Région Centre-Est).
Par conséquent, à quoi bon limiter par voie de circulaire inhumaine l’hospitalisation des inculpés et des condamnés aux centres de soins publics, si l’on sait que la maladie ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de personnes, riches ou démunis de moyens financiers.
D’ailleurs, c’est le lieu de préciser que les malades, tous les malades détenus devraient avoir accès, tant aux établissements de soins publics qu’aux cliniques privées (à la charge de l’Etat) compte tenu, d’une part de leurs pathologies et, d’autre part, de leur situation carcérale. Il faudrait même envisager leur évacuation sanitaire si la nécessité s’imposait humainement car si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie !
Quoi qu’il en soit, cette immixtion inaccepatble du pouvoir exécutif dans la sphère judiciaire du pouvoir discrétionnaire des Magistrats, constitue, une fois de plus, une ingérance intolérable à la liberté de manœuvre, notamment des Juges d’Instruction souvent plus humanistes que l’ont ne le croit.
La lecture du numéro 13 de Mars 2018 du Journal « Le Dossier » laisse subodorer d’autres ingérences que le Garde des Sceaux se seraient rendus « coupables ». Si les informations fournies par ce journal sont avérées, il conviendrait de le déplorer sévèrement dans un Etat de droit, où la séparation des pouvoirs ne peut constituer une vue de l’esprit.
En tout état de cause, il faut espérer, que cette circulaire inopportune, qui ne constitue d’ailleurs, ni un arrêté ministériel, ni un décret, et encore moins une loi dans la hiérarchie des normes selon le Doyen KELSEN, restera au stade d’un simple vœux pieux….
Lorsque le pouvoir exécutif se mêle des actes de l’autorité judiciaire par, notamment différentes pressions inacceptables sur les juges, on aboutit inéluctablement à des décisions judiciaires biscornues, téléguidées qui ne réflètent nullement les qualifications pénales dans un Etat de droit.
Gageons qu’au seuil de l’ouverture du procès du putsch présumé qui s’ouvrira le 27 Février 2018, les Magistrats et leurs assesseurs militaro-civils sauront s’auto-affranchir courageusement des pressions diverses du pouvoir exécutif, afin d’offrir à notre peuple une justice parfaitement indépendante condition « sine qua non » . Utopie ou vœux pieux, l’avenir nous le contera.
Paul KÉRÉ
Docteur en Droit
Avocat à la Cour
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Mon Pays va mal. Au nom de l’indépendance de la justice on ne peut plus rappeler aux juges les dispositions légales? Même la déclaration universelle des droits de l’homme de L’ONU a prévu des règles à respecter pour jouir pleinement de sa liberté. Resaisissons nous pendant qu’il est temps sinon. Quand il y a dérive, à qui le citoyen lamda d’en prêt Il? Soyons réaliste et acceptons les critiques positives.