Pérégrinations de Bélélé | Classe politique burkinabè : Qui pour porter les aspirations du peuple ?
L’Insurrection d’octobre 2014 qui a entraîné la démission du Président Blaise Compaoré a indéniablement permis une « libéralisation » du système politique au Burkina Faso. Les différents mouvements sociaux, confirmant de la renaissance du mouvement syndical et l’essor d’une presse encore plus libre (1er pays d’Afrique francophone selon le rapport RSF 2018) témoignent de la défaite des structures de répression officielles et officieuses.
Les élections de décembre 2015 qui ont consacré une victoire non contestée du MPP (53% à la Présidentielle et 34% aux législatives) avec un taux de participation de 60% constituent une réelle avancée en termes d’acceptation pacifique du principe de la compétition politique.
Au cours de ce processus électoral de 2015, la quasi-totalité des acteurs politiques a fait appel aux populations des villes et campagnes, surtout celles des couches sociales les moins favorisées, en se prévalant d’une légitimité à leur apporter des solutions à leurs problèmes (eau, électricité, éducation, santé, mieux vivre, etc.). La promesse d’une rupture avec les pratiques du régime déchu. Mais très vite, la réalité fait déchanter.
« Blanc bonnet, bonnet blanc »
En effet, à mi-mandat, dans les faits et la pratique, le mépris de la plèbe continue d’habiter les politiciens du pays, toute tendance confondue. Les élus, de la majorité au pouvoir tout comme de l’opposition, ne semblent pas se rappeler de cette légitimité dont ils se prévalaient face aux populations. Pourtant ce sont ces même Burkinabè, de ces couches les moins nantis, dont l’existence semble aujourd’hui fictive ou oubliée, qui ont pris une part active pour ce « renouveau démocratique ». De laquelle ils avaient surtout de grandes aspirations.
Des aspirations en travers de la gorge
Au quotidien, l’exécutif, avec l’Alliance des partis et formations politiques de la majorité présidentielle (UNIR/PS, NTD, PAREN, FFS, AJIR,…) portée par le MPP, tend à reproduire, dans son mode de fonctionnement, les inégalités qu’il a pourtant dénoncées durant la campagne électorale. L’actualité des médias, avec des réquisitoires sur des détournements, sur de la gabegie, du favoritisme, des corruptions dans l’attribution de marchés publics avec son corolaire de dégradation des infrastructures, et la condamnation récente, deux poids deux mesures, d’un web-activiste (quoique cela soit le pouvoir judiciaire), n’est pas de nature à rassurer les promesses d’une grande démocratie, transparente et libre.
Serrer la ceinture, pour qui ?
Le pouvoir Exécutif demande de serrer la ceinture mais ne montre pourtant pas l’exemple. Tout en clamant que le Gouvernement ne dispose pas de baguette magique pour un changement radical de certains secteurs clés comme l’énergie (estimation de plus de 300 heures de délestage en 2017) ou l’acquisition d’infrastructures sanitaires ; la politique publique (création d’institutions budgétivores) et le train vie de l’Etat montrent, que tant sur le plan idéologique qu’en termes de politique sociale, l’heure est toujours à une démocratie sans le peuple.
L’espoir perdu d’une classe politique « unifiée »
La coalition d’ex-militants de la majorité avec le CFOP en 2014 a permis de chasser Blaise Compaoré du pouvoir. Mais l’alliance UPC-MPP dont rêvaient certains Burkinabè aux lendemains des élections de 2015, pour engager une nouvelle manière de faire la politique au Faso, et devant assurer une stabilité d’une durée suffisante pour amorcer un tournant décisif dans le développement du pays n’a pas eu lieu. Et elle semble s’éloigner inexorablement.
Une Opposition politique ou une politique d’opposition ?
Comme l’a écrit Harry Schapiro, « il est peut-être trop évident d’affirmer que le processus de gouvernement ne doit pas être uniquement étudié à la lumière de ce qu’ambitionnent et réalisent les détenteurs du pouvoir, mais en prenant également en considération ceux qui s’opposent à ces ambitions, ou ceux dont les intérêts et les résistances doivent être conciliés avant que les détenteurs du pouvoir agissent ».
L’UPC, Chef de file de l’opposition, dans une dynamique de la conquête du pouvoir, ne montre non plus un visage de bonne foi quant aux besoins réels du peuple en s’opposant presque à tout. En prélude des échéances de 2020, à son rôle d’Opposition politique devant apporter un contrepoids dans la gouvernance démocratique, l’UPC a préféré une politique d’opposition tout simplement.
Retour à la case départ ?
Quant au CDP, l’ex-parti au pouvoir, et ses acolytes de la CODER (ADF/RDA, NAFA, UNDD,…), à leur tour promettent un renouveau sans, semble-t-il, faire leur mea culpa des tribulations dont ils se sont fait coupable en 2014, ayant conduit à l’insurrection.
Aucun parti ne tend à devenir le pur reflet des aspirations du peuple et de sa conscience. Et la plupart des nouvelles formations politiques sont dépourvues de tout programme social cohérent.
Les grandes aspirations et attentes de la population aux lendemains d’Octobre 2014 restent donc en travers de la gorge.
Aucune place pour le débat contradictoire
L’opposition ignore les luttes sociales quand elle n’y voit aucune issue de récupération politique. Les syndicats prennent en otage les populations dans leurs revendications. Un vrai revers d’ailleurs quand on sait que la base des luttes syndicales devrait être sociale. La majorité voit en tout mouvement syndical une volonté de déstabilisation. Et tous ces « bons élèves » de la démocratie, qui appellent à la paix sociale, se réclament du peuple sans le côtoyer vraiment, en sus, lui promettent monts et merveilles.
À la guerre comme à la guerre
Le web désormais s’est maillé de points de résistance au gouvernement ou de groupuscules de défenses du pouvoir en place. Dans les grandes villes, une myriade d’associations voit le jour, servant de satellites aux politiciens et certainement bientôt de banque de votes. La fièvre populiste qui a relégué le CDP au second plan des formations politiques et condamné l’ancien président à l’exil ne s’est pas émoussée certes, mais elle sert désormais plus à des chapelles personnelles pour des convoites individuels que très peu à l’intérêt général.
Tant sur le plan idéologique qu’en termes de politique sociale, l’heure est à la démocratie sans un débat contradictoire conséquent.
Qui pour porter les réelles aspirations du peuple ?
Dans un pays où 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, où le revenu national mensuel brut par habitant est moins de 29 000 CFA, le maniement sans frein de la promesse électorale augure de lendemains qui déchantent. Le taux d’inflation paraît aujourd’hui stabilisé entre 0 et 2,5%. Cependant, les prix des principales denrées de consommation n’ont pas connus de baisse. Le taux de croissance pour l’année 2018 sera, selon la Banque mondiale, de l’ordre de 6 %. Mais elle indique également que ce développement économique et social dépendra en partie de la stabilité politique du pays et de la sous-région.
Tout comme avant l’insurrection de 2014, l’élite politique ignore obstinément la complainte silencieuse de la rue.
Même si faire le mort, c’est aussi une manière de s’exprimer, il faut rappeler à tous ces acteurs politiques, à rebours des arguties qui tiennent les Burkinabè pour des « moutons » ou adeptes de la servitude, que le soulèvement populaire de Janvier 1966 et l’Insurrection d’Octobre 2014 révèlent une société prompte à s’extraire du mutisme à chaque fois.
Jérôme William BATIONO
Chroniqueur pour Burkina24
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