Burkina : La suspension de salaires concerne « au moins 415 agents »
La pandémie du Covid-19 a débuté en mars 2020 dans un contexte national marqué par une fronde sociale autour de l’application de l’IUTS sur les primes et indemnités des agents de la fonction publique. A la suite de la grève générale du 16 au 20 mars, la coalition des syndicats en lutte contre l’application de l’IUTS informe d’une « répression ». Des sanctions économiques tombent. Selon Souleymane Badiel, Secrétaire général de la F-SYNTER et membre du Comité de rédaction des documents de la coalition des syndicats en lutte, « au moins 415 agents, particulièrement de l’éducation », ont vu leur salaire être suspendu. Burkina 24 est allé à sa rencontre le samedi 28 mars 2020.
Burkina 24 (B24) : Quel bilan dressez-vous de la grève générale du 16 au 20 mars 2020 ?
Souleymane Badiel (S. Badiel) : C’est un bilan satisfaisant du point de vue organisationnel et d’un point de vue politique en ce sens qu’après la mobilisation qu’on a constatée le 7 mars, nous avons, compte tenu de la situation liée au coronavirus, réadapté notre mot d’ordre pour faire l’impasse sur la marche qui était prévue le 17 mars et maintenir une grève de 120 heures, mais avec un service minimum dans certains secteurs sensibles.
Dans l’ensemble, les travailleurs aussi bien du public, du privé que du parapublic ont suivi le mot d’ordre sur le terrain, preuve qu’ils sont fortement attachés à la résolution de la plateforme autour de laquelle ces actions se déroulent.
B24 : Dans une note, la coalition des syndicats a fait cas de licenciements, de suspensions de salaires et bien d’autres sanctions. Concrètement, combien d’agents ont été licenciés et combien ont vu leur salaire être suspendu ?
S. Badiel : Il y a eu effectivement diverses mesures de répression dont des licenciements particulièrement au niveau des boulangeries. Nous en avons enregistrés au moins deux (02) cas jusqu’à cette date (28 mars 2020, ndlr), des suspensions de salaires dont la grande majorité est concentrée dans le secteur de l’éducation.
A ce jour, nous avons enregistré plus de 400 travailleurs de l’éducation qui ont vu leurs salaires suspendus. Dans la région des Haut-Bassins, le bilan nous donne 105 travailleurs, 150 dans la région du centre, 137 dans la région de l’Est, 22 dans la région de la Boucle du Mouhoun et 1 travailleur dans la région du centre-nord. A cette date (28 mars 2020, ndlr), nous avons au moins 415 agents, particulièrement de l’éducation qui ont leurs salaires suspendus.
B24 : Ces salaires sont suspendus pour combien de temps ?
S. Badiel : On n’en sait rien. Les intéressés n’ont pas eu de bulletin. Le gouvernement n’a fourni aucune explication. Ce ne sont pas des agents qui ont reçu des lettres d’explication pour quelque motif que ce soit. Donc pour l’instant, nous n’avons pas les motivations officielles qui ont prévalu à ces suspensions. Mais nous allons nous donner le temps, après avoir fait le point, de comprendre et de prendre en charge cette question.
B24 : Mais avez-vous pris langue avec les autorités pour connaitre les motifs des suspensions de salaires ?
S. Badiel : Nous avions déposé un préavis de grève, deux semaines avant la grève. Nous n’avons pas vu une réaction de la part des autorités pour une quelconque discussion autour de la plateforme. La grève a eu lieu, elle a duré 120 heures (du 16 au 20 mars 2020, ndlr). Jusqu’à la fin, nous n’avons pas eu de contact avec le gouvernement. Nous avons envoyé des documents au gouvernement indiquant ce que nous étions en train de préparer, il appartenait au gouvernement de prendre les dispositions pour ouvrir le dialogue s’il veut bien qu’il y ait des discussions.
Nous avons plutôt fait le constat qu’il (le gouvernement, ndlr) s’est engagé, comme il l’a parfois fait, dans une logique de répression. Dans ces conditions, ce n’est pas à nous de faire un premier pas. Ce que nous avons à faire, c’est de prendre en charge la question et, en temps opportun, apporter la réponse syndicale qui convient.
B24 : Selon les textes, un arrêt de travail de 120 heures peut-il induire une suspension de salaire ?
S. Badiel : Absolument pas ! Il y a un arrêté interministériel qui encadre les retenues de salaire pour fait de grève et qui indique les modalités de ces retenues. Le contenu de cet arrêté n’a rien à voir avec les questions de suspension. La grève a duré 120 heures, elle ne peut pas donner lieu à des suspensions de salaires.
B24 : Sur la question de l’IUTS, quel est l’état actuel des discussions entre le gouvernement et les syndicats ?
S. Badiel : Pour l’instant, le gouvernement ne nous a pas contactés pour une quelconque discussion. Au contraire, il s’est engagé dans une logique de répression. Il n’y a pas de discussion entre le gouvernement et notre coalition. C’est malheureux puisque dans un contexte comme celui-là, les mesures qui sont prises sont accompagnées de mesures sociales.
B24 : Justement, avec le contexte marqué par la lutte contre le Covid-19, peut-on s’attendre à une trêve de votre part ?
S. Badiel : Est-ce que le gouvernement veut une trêve ? Nous ne le pensons pas ! Parce qu’en même temps il tient dans le discours qu’il veut une trêve, dans les actions, il prend des mesures qui ne peuvent pas aller dans le sens de l’installation d’une trêve. Pour nous, au fond, le gouvernement ne veut pas d’une trêve. Il est évident que la répression que les travailleurs ont subie aujourd’hui ne peut pas rester impunie. Nos organisations, en temps opportun, vont apporter la réponse appropriée. La répression ne peut pas rester une question impunie. Ça c’est clair.
B24 : Parlant de votre secteur qui est l’éducation, les écoles sont fermées. Comment appréciez-vous cette décision ?
S. Badiel : Elle ne peut pas s’apprécier en dehors des mesures globales que le gouvernement prend. Mais après analyse, je n’ai pas eu l’impression qu’il y a eu une réflexion anticipative avec une vision claire. J’ai plutôt eu l’impression que les mesures ont été prises par à coup, parfois même sans véritablement réfléchir sur les conséquences qu’elles peuvent entraîner et qui sont tout aussi dommageables. Au-delà des écoles, vous voyez ce que la fermeture des marchés crée comme angoisses.
J’insiste pour dire que ce pour quoi nous nous battons, c’est pour la nation. Aujourd’hui, si les moyens avaient été mis en œuvre et si un certain nombre de choses avaient été développées, on aurait eu nos enfants à la maison mais qui continueraient de bénéficier d’un minimum d’encadrement. Regardez la question du Kit pédagogique. Quand nous avons demandé qu’on accompagne les enseignants à acquérir des ordinateurs pour pouvoir faire leur travail, on a présenté ça comme un luxe.
Mais tout le monde se rend compte aujourd’hui que si tous les enseignants disposaient de ces kits, avec la formation, ils seraient à même, même étant confinés, de pouvoir faire un minimum pour leurs élèves. Voici le sens des combats que nous menons.
B24 : Nous tirons vers la fin de l’entretien, quel appel avez-vous à l’endroit des travailleurs, du gouvernement et des populations ?
S. Badiel : D’abord à l’endroit des travailleurs, c’est de leur dire qu’ils ont raison de se battre et de leur dire que la répression, c’est quelque chose de plus ou moins inhérent à la lutte syndicale. D’ailleurs, les premiers syndicalistes, parfois, c’est leur vie qui était en jeu. Je leur dis également que les directions qui conduisent ce mouvement vont se donner les moyens de régler cette question, aussi bien par les moyens syndicaux que par d’autres.
A l’endroit de l’opinion, c’est de dire que le gouvernement cherche aujourd’hui à s’abriter derrière la situation de la maladie liée au Covid-19, qui apparaît comme un pain-béni, pour régler des problèmes politiques. Il y a eu des moments où des gens nous ont reprochés en disant ‘’ vous continuez la lutte alors qu’il y a la situation sécuritaire’’. Nous avions dit que notre sécurité doit nous préoccuper mais nous ne pouvons pas tout résumer à la sécurité.
Aujourd’hui, des questions sont posées de façon grave et qui semble occulter la situation sécuritaire. C’est la preuve qu’il faut que les gens comprennent le bien-fondé les luttes qui sont menées. En direction du gouvernement, c’est de lui dire qu’il fait fausse route. La répression ne peut pas être la réponse à cette lutte. La lutte est juste, nos organisations ont de l’expérience, elles ont subi des répressions parfois plus difficiles que celle-là et elles ont relevé le défi. Le gouvernement a plutôt intérêt à être plus responsable et à venir à la table de discussion pour résoudre les problèmes qui sont posés.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE
Burkina 24
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