Elie Kaboré : « La transformation du charbon fin n’est pas une priorité pour toutes les mines »
Elie Kaboré, journaliste à l’Economiste du Faso et président de l’Action des journalistes sur les mines au Burkina Faso (AJM-BF) s’est prêté aux questions de Burkina 24, le vendredi 5 février 2021, après la Déclaration de politique générale du Premier ministre Christophe Dabiré. Dans ladite déclaration, le Premier ministre a livré des mesures sur le secteur minier. A travers cette interview, Elie Kaboré analyse ces mesures.
Burkina 24 : Quelle lecture faites-vous des annonces sur le secteur minier du Premier ministre dans sa déclaration de politique générale ?
Elie Kaboré : Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a fait des annonces en faveur du secteur minier. Vu le court temps imparti à cet exercice, on peut dire qu’il a survolé les vraies préoccupations actuelles du secteur et les mesures fortes à permettre que « la consolidation de l’industrie minière dans le but d’accroître ses retombées économiques et sociales » comme il l’a dit, soit une réalité.
Quand je parcours le document, il a annoncé 4 mesures dont la modernisation du cadastre minier par son informatisation et son toilettage dans l’optique de susciter une plus grande transparence dans la gestion des titres miniers, la lutte contre la fraude minière, la création d’unités de transformation de l’or et du charbon, encourager l’investissement des sociétés minières dans des filières porteuses autour de leurs sites.
Une action sur le cadastre minier est nécessaire parce que cette structure est le point d’entrée dans le secteur. C’est elle qui gère l’état civil des miniers. La transparence dans le secteur passe par la saisie des informations sur chaque titres et autorisations, la mise à jour permanente des informations, la publication des informations sur le site que tout le monde peut consulter, le suivi des paiements des droits proportionnels comme la taxe superficiaire. Le dernier rapport de la Cour des comptes couvrant l’année 2019 a formulé des recommandations dont la prise en compte pourrait améliorer le travail du cadastre minier en matière de suivi, la collecte et la répartition des droits.
La lutte contre la fraude minière est une grande attente surtout dans le secteur artisanal. Selon l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), plus de 6,5 tonnes d’or sortent annuellement du pays de manière frauduleuse. Une grosse perte pour le budget national.
La création d’unités de transformation pourrait apporter de la valeur ajoutée à l’économie en général. Mais il faut régler les questions d’accès à l’énergie et la question de la fraude au niveau de la production artisanale. Vous savez que les mines industrielles ne traitent qu’avec des sociétés certifiées sur le plan mondial. En Afrique, seule l’Afrique du Sud dispose d’une société disposant de cette certification. Au Mali et au Ghana, de telles unités ont été installées mais ont des difficultés pour capter la production industrielle. Il faut bien murir la réflexion à ce niveau.
« Encourager l’investissement des sociétés minières dans des filières porteuses autour de leurs sites » est une autre annonce. A ce niveau, le gouvernement doit accélérer l’élaboration, l’adoption et la mise en œuvre de la stratégie de contenu local qui encourage ces investissements. Tirant leçon des 13 ans d’expérience minière, il n’est plus question « d’encourager » et de laisser les investissements selon le libre arbitre des sociétés minières. Il faut une obligation, d’où le contenu local.
Il suffit également d’être plus regardant sur l’application de l’article 41 du Code minier qui exige dans la demande de permis d’exploitation, une étude de faisabilité comprenant un plan de formation et de transfert des compétences aux cadres et personnels locaux et un système de promotion de ces cadres et personnels, un plan d’ancrage de l’activité de la société minière à l’économie locale et nationale qui indique les liens économiques en amont et en aval avec les entreprises et agents économiques ainsi que les effets d’entrainement.
Le premier ministre n’a pas parlé du Fonds minier de développement local qui a déjà mobilisé 74 milliards de FCFA au 31 décembre 2020. L’utilisation de ces ressources par les collectivités est un défi à relever. Il n’a pas non plus abordé la question du contrôle des opérations minières par l’administration, le manque de moyens pour le suivi-contrôle, la clarification du conflit d’intérêt dans le secteur, etc. Il a complètement ignoré les carrières. L’avenir du pays repose sur ce sous-secteur parce que les nationaux ont une grande expérience en la matière et la production profitera d’abord aux Burkinabè.
Lire 👉 Burkina Faso : La déclaration de politique générale de Christophe Dabiré
Burkina 24 : Le Premier ministre a annoncé en perspectives, la création d’unités de transformation de l’or et de charbon fin. Qu’en pensez-vous ?
Elie Kaboré : Par contre, pour la transformation du charbon fin, le dossier en cours en justice a montré que toutes les mines stockent cette substance. Qu’est-ce qu’il faut en faire à long terme ? Une transformation apportera aussi des ressources aux mines qui en produisent. La mine de Poura qui est fermée depuis 1999 dispose de ce charbon fin.
A cela s’ajoute la quinzaine d’autres mines en exploitation. Ce sont des déchets à mon avis qu’il va falloir traiter. Si nos textes sont insuffisants en la matière, il faut les combler. Sinon, la nécessité de trouver une solution au charbon fin se pose. Ce sont des choses qui devaient être prévues dans les études de faisabilité des sociétés. Que faire de ces déchets ?
Burkina 24 : Est-ce une perspective réaliste ?
Elie Kaboré : Il faut résoudre la question de l’énergie parce qu’une telle unité consomme beaucoup d’énergie. Il faut bien murir le projet pour ne pas tomber dans les travers des exonérations qui font perdre plus de moyens à l’Etat qu’il n’en gagne. Sinon la nécessité s’impose.
Burkina 24 : Quel pourrait être l’impact économique et social de la transformation de l’or et du charbon fin pour le pays et les populations ?
Elie Kaboré : Transformer le charbon fin au Burkina permet de procurer des ressources supplémentaires aux sociétés minières et des revenus pour l’Etat. La transformation au Burkina Faso éviterait aussi des dossiers comme celui impliquant la mine d’Essakane.
La loi sur la commercialisation de l’or prévoit que l’or qui sort du Burkina Faso doit être sous la forme de lingots. Cette transformation au Burkina Faso permettra de respecter cette disposition par exemple. Cela limiterait certaines suspicions de fraude à l’exportation du charbon fin.
Mais la transformation du charbon fin n’est pas une priorité pour toutes les mines. Une société qui a une teneur élevée ne se préoccupe pas de récupérer de l’or dans le charbon fin surtout quand le court de l’or est élevé. Par contre, celle qui a une teneur faible utilisera tous les moyens pour améliorer sa rentabilité. Mais un Etat se doit de prendre des mesures pour qu’au départ de la société, tous les déchets soient traités.
Burkina 24 : Il y a aussi l’aspect lutte contre la fraude minière. Le Premier ministre parle d’une réorganisation de la BNAF. Est-ce le seul point sur lequel il faut mettre l’accent pour limiter les fraudes ?
Elie Kaboré : La fraude de l’or produit artisanalement est réelle et inquiétante surtout en cette période de menace terroriste. L’INSD a estimé que sur une production artisanale annuelle de 9,5 tonnes d’or générant 232,2 milliards de FCFA, les acheteurs ont capté 66,3 milliards de FCFA d’or représentant une quantité de 2,7 tonnes d’or. L’écart de 6,8 tonnes d’or correspondant à 165,9 milliards de FCFA est sorti du pays par la fraude. Régulièrement, les médias font cas de saisies d’or en situation d’exportation frauduleuse.
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières a évalué entre 15 et 30 tonnes par an, le volume d’or fraudé ; ce qui équivaut à la moitié de la production industrielle en 2020.
Sur la base de leur calcul, les parlementaires évaluent que 300 milliards FCFA se sont évaporés au détriment du Trésor public en 10 ans. Le montant est supérieur au budget annuel alloué à la défense. Pendant ce temps, on court derrière les prêts pour financer notre développement. Une ONG suisse, la Déclaration de Berne a révélé qu’en 2017, c’est environ 7 tonnes d’or burkinabè qui ont été frauduleusement expédiées au Togo, puis exportées vers la Suisse, la même année. L’ONG estime que le Burkina Faso a perdu des recettes fiscales de près de 4 milliards de CFA, pour l’année 2014, suite à cette fraude.
Les exemples sont nombreux et démontrent qu’il faut agir. La lutte contre la fraude est une mission de la BNAF. Au regard de l’évolution des choses, il faut la redynamiser et la doter de moyens pour agir.
Propos recueillis par Ignace Ismaël NABOLE
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