Burkina : A la vie comme à l’écran, le pardon et l’oubli se racontent
Fanta Régina Nacro a réinventé le cinéma burkinabè. De nombreux points saillants de sa carrière, au regard de sa vision des conflits interethniques et de leur résolution, méritent d’être rappelés.
Elle voulait devenir sage-femme, mais c’est finalement le cinéma qui l’a appelé. Depuis toujours, l’Humain est au centre de ses préoccupations. Fanta Régina Nacro est la réalisatrice burkinabè dont l’œuvre est l’une des plus riches du pays.
Formée au cinéma à Ouagadougou puis à Paris, elle signe son premier court métrage, « Un Certain Matin », en 1991. Première fiction réalisée par une femme africaine, elle est primée aux Journées Cinématographiques de Carthage.
Deux ans plus tard, Fanta Régina Nacro crée sa maison de production, « Les Films du défi », et incite les jeunes femmes burkinabè à suivre son chemin. Ses courts et moyens métrages renforcent au fur et à mesure sa notoriété. Elle traite de sujets sociétaux très variés et prend notamment part à la lutte contre le Sida. « Bintou » est sélectionné pour la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes et primé meilleur court métrage au FESPACO en 2001.
Conflits interethniques et fragilité de la paix
En 2004, dans sa fiction « La Nuit de la vérité », Fanta Régina Nacro se penche sur les conflits ethniques : un phénomène plus que jamais d’actualité au Burkina Faso. Au 10e jour de sa sortie, le film enregistre 40 000 entrées dans les salles à Ouagadougou.
La réalisatrice dira que certains spectateurs l’ont vu plusieurs fois malgré la dureté du sujet, avec une capacité à poser un regard différent à chaque fois. Avec ce film Fanta Régina Nacro fait le tour du monde : Mali, Niger, Sénégal, Côte d’Ivoire, France, Espagne, Londres et les États-Unis. Partout où « La Nuit de la vérité » passe, il reçoit un accueil favorable.
Si le film connait un pareil succès c’est parce que ce « n’est pas qu’un sujet africain ou une question de couleur de peau » comme l’affirme l’autrice elle-même. Au contraire, il concerne tous les pays confrontés à la guerre civile et aux conflits, avec les mêmes conséquences dévastatrices. Il est né à l’époque des reportages et des témoignages d’atrocités dans les Balkans, des tribunaux de réconciliation en Afrique du Sud et au Rwanda…
La réalisatrice s’est emparée de ce sujet pour mieux le comprendre. Avec sa coscénariste, elle a préféré s’intéresser à la « fragilité de la paix » et à l’étude profonde des êtres plutôt que la guerre : « Comment peut-on prendre un malin plaisir à voir la souffrance de l’autre ? Comment aujourd’hui rigoler ensemble et s’entrecouper demain ?
En chaque être humain, il y a une part animale et une part humaine… », affirme-t-elle. Sous couvert de la signature d’un traité de paix entre deux communautés soumises à 10 ans d’atrocités, Fanta Régina Nacro explore le territoire des bourreaux et l’amnistie par « l’oubli ».
Reconstruire un univers ravagé grâce à la vérité, Fanta Régina Nacro veut faire réfléchir sur les concepts de justice, de culpabilité, du pardon et de la réconciliation. Elle interroge : « Comment faire face à la froideur d’un bourreau devant soi, qui a tué de façon atroce une personne chère ? Quel courage va-t-on chercher dans ses propres tripes pour avoir ce courage ? Et vivre ensuite dans le pardon ? ».
Dans un environnement pesant, la productrice se focalise sur l’omniprésence de la mort et de l’horreur jusqu’alors quotidienne, voire banalisée. Elle se penche sur les émotions des femmes, les violences passées, la douleur des survivants et les stigmates dans la chair. Elle retranscrit la fragilité de l’être, la dualité de son (in)humanité, le désir de vengeance et la verbalisation des crimes par les coupables.
Pour la réalisatrice, les responsabilités individuelles ne doivent pas se cacher derrière les responsabilités collectives. Refusant l’illusion d’une paix facile, elle estime que : « tant qu’on n’a pas pu établir ce qui s’est réellement passé et ce qui a pu motiver les actes des uns et des autres, on ne peut espérer aucune guérison.
Il faut pouvoir avoir la paix du cœur d’abord. Et cela passe par le choc, la douleur, la souffrance que peut générer la vérité. Ensuite seulement on peut aller vers l’autre ». Selon elle, « on ne peut pardonner sans savoir » et il arrive que le pardon soit impossible. Elle pense aussi que la simple conscience de ses crimes n’est pas suffisante pour se pardonner à soi-même.
La « considération » des ethnies est un prétexte aux guerres et aux conflits en tout genre. Certains y voient un moyen de dominer et d’exterminer les plus faibles. Au Burkina-Faso, 5 000 conflits communautaires ont été recensés ces trois dernières années. La recrudescence du terrorisme attise le feu, mais il est encore temps de se pencher sur les causes. Cela permettra d’éviter de devoir, un jour, être confronté à l’irréparable.
Omar Sylla (@Le_Ndar_Ndar)
Pour Burkina 24
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