Les causes, difficultés et suggestions de lutte contre les mariages d’enfants d’âge scolaire dans les régions de l’Est et du Centre Sud du Burkina Faso

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Ceci est le résultat d’une étude sur « Les causes, difficultés et suggestions de lutte contre les mariages d’enfants d’âge scolaire dans les régions de l’Est et du Centre Sud du Burkina Faso » réalisée par KABORÉ Amado, Charge de recherche, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), [email protected]

RESUME

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Les régions centre sud et de l’Est du Burkina Faso font partie des régions lourdement touchées par la persistance des mariages d’enfants. En effet, ce phénomène fait partie des nombreux obstacles qui empêchent le bon achèvement scolaire des enfants.

Ce document de vulgarisation est issu d’un article scientifique intitulé « Analyse des causes profondes de la persistance des mariages d’enfants d’âge scolaire dans les régions de l’Est et du Centre sud du Burkina Faso », publié dans « Revue des Sciences Sociales de l’Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo (Côte d’Ivoire), en Juin 2022.

Cette analyse s’est appuyée sur des données empiriques collectées par une méthode mixte (qualitative et quantitative) de recherche. À l’issue des investigations les causes profondes de la persistance du mariage des enfants dans ces localités ne sont pas liées à une absence de stratégie locale, mais plutôt à une insuffisance d’actions et d’implication de tous les acteurs.

INTRODUCTION

Cet article analyse les causes, les difficultés et fait des suggestions de piste de lutte contre la persistance des mariages d’enfants d’âge scolaire au Burkina Faso.

Selon Kaboré (2022), les causes profondes de la persistance et des limites des mariages d’enfants d’âge scolaire dans les régions de l’Est et du Centre- Sud du Burkina Faso s’expliquent par l’insuffisance des textes et lois réglementant le mariage et leur faible application. À cela viennent s’ajouter la méconnaissance des textes par les communautés et les principales victimes. Il y a également les croyances religieuses, les pratiques sociales, la pauvreté, la crise sécuritaire, les pesanteurs socio-culturelles néfastes et la faible opérationnalisation de la stratégie nationale de prévention et d’élimination du mariage d’enfants.

Dans les régions du Centre-Sud et de l’Est, sévit ce phénomène tant décrié par les tous les acteurs. Les pesanteurs socio-culturelles et les considérations d’ordre religieux ne favorisent pas la poursuite des filles au niveau scolaire. Par contre, ces considérations encouragent les mariages d’enfants pour la plupart des cas d’âge scolaire.

Au Burkina Faso, la situation est diversement vécue par les femmes et les filles. Selon Amnesty International, au Burkina Faso 52% des femmes sont mariées avant 18 ans et 10% avant 15 ans.

Après avoir présenté la méthodologie adoptée, il est présenté les principaux résultats et les pistes de suggestions.

  1. METHODOLOGIE

Dans le but de récolter un maximum d’informations pour notre étude, nous avons choisi une approche mixte, c’est-à-dire une approche quantitative et qualitative.

Nous nous sommes servi de la méthode quantitative par l’utilisation des questionnaires pour s’adresser aux Directeurs d’école, aux enseignants, aux filles à partir de la classe de CM, aux parents d’élèves en vue de recueillir leurs avis.

Nous avons aussi utilisé la méthode qualitative qui a consisté à recueillir des informations auprès des chefs des Circonscriptions d’Éducation de Base (CEB) de Fada N’Gourma et Manga. Nous avons focalisé notre étude sur des personnes, acteurs de l’éducation pour l’échantillon de l’étude. La taille totale de l’échantillon est de 132 individus. La taille de l’échantillon de l’enquête quantitative est de 130 personnes. Elle représente 98,48% de l’échantillon à enquêter.

La taille de l’échantillon se justifie par le fait que notre thème d’étude se focalise sur cette couche de personnes.

La technique d’échantillonnage utilisée a été le choix aléatoire pour l’enquête questionnaire et le choix raisonné pour les entretiens. Au total, l’enquête a été menée dans dix (10) écoles primaires. Par école, les enquêtes ont touché deux (02) parents d’élèves, cinq (05) filles, un (01) directeur, cinq (05) enseignants.

En ce qui concerne la taille de l’échantillon de l’enquête qualitative, elle est de deux (02) personnes. Ces deux personnes sont les Chefs de circonscription d’éducation de base (CCEB) des deux Circonscription d’éducation de base (CEB) de Fada N’Gourma et Manga. Ce choix a été motivé par leur proximité donc un choix raisonné.

Les données recueillies seront regroupées en quatre (04) groupes dans des tableaux pour être analysées. Ces tableaux sont, celui des parents, celui des filles, celui des Directeurs d’école et les enseignants, enfin celui des CCEB.

En ce qui concerne les instruments de traitement et d’analyse des données collectées, nous avons utilisé le logiciel « sphinx ».

  1. PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE

2.1. Le mariage d’enfants au Burkina Faso : phénomène connu

Il ressort de nos enquêtes que le phénomène de mariage d’enfant est connu de tous. En effet, 72% des filles ont une définition claire du mariage des enfants c’est-à-dire marier une fille avant l’âge de 18 ans et 80% des parents enquêtés affirment que la pratique régulière des mariages d’enfants dans les villages.

Quant à leur appréciation de la pertinence du mariage des enfants est une bonne chose, 75%, des enquêtés reconnaissent que ce n’est pas une bonne chose. Ils justifient leur choix par le fait que la fille qui se marie précocement peut avoir une grossesse à risque qui nécessiterait une intervention pendant l’accouchement.

À propos des causes du mariage des enfants, 61.66% des enseignants affirment que la principale cause est d’ordre culturel, (30%) avancent des raisons d’ordre religieux. Quant aux encadreurs, 76% d’entre eux justifient également le mariage précoce par les pesanteurs socio-culturelles. Mais, pour 32 % des filles interrogées justifie le mariage précoce par la pauvreté des parents. Elles affirment que, c’est à cause de la dot que les parents leur donnent précocement en mariage. Par contre, la majorité des parents (75 %) ont évoqué le risque de grossesses hors mariages et précoces pour justifier leurs actes.

Nous pouvons dire que, bien que les parents soient convaincus que le mariage des enfants n’est pas une bonne chose, les populations continuent de le pratiquer en s’appuyant sur les pesanteurs culturelles, religieuses et sociales.

Les résultats d’une étude commanditée en 2018 par Plan international Burkina Faso intitulée « Étude pour des interventions basées sur des évidences et un modèle de programme pour réduire les mariages d’enfants en Afrique de l’Ouest : Cas du Burkina Faso » ont montré que plusieurs causes profondes sont à l’origine du mariage d’enfants ou précoce. Ce sont entre autres, les insuffisances des textes et lois réglementant le mariage et leur faible application, la méconnaissance de ces textes par les communautés notamment les filles mariées précocement ou de force, les croyances religieuses, les pratiques sociales et pesanteurs socioculturelles néfastes. À cela, s’ajoute la faible opérationnalisation de la stratégie nationale de prévention et d’élimination du mariage d’enfants 2016-2025. Le mariage d’enfants est une violation des droits humains fondamentaux des filles., Plusieurs instruments africains des droits humains condamnent le mariage d’enfants avant l’âge de 18 ans.

2.2. Les conséquences du mariage des enfants

  • Impacts négatifs sur la fréquentation des filles à l’école : 65% des enseignants déclarent que la présence régulière des filles mariées à l’école n’est pas du tout satisfaisante. Et 65% des parents enquêtés vont également dans ce sens. En plus, 55% des enseignants ont indiqué qu’elles ont un très mauvais impact sur les performances et les résultats scolaires des filles.
  • Impacts négatifs sur le maintien et la réussite des filles à l’école: il ressort des données de l’enquête que pour des raisons de mariage plus de 3/4 des filles enquêtées redoublent les classes et parfois abandonnent définitivement l’école. Pour 83.33% des enseignants, le mariage des enfants occasionne les abandons scolaires. « Les filles mariées avec le temps finissent par abandonner l’école pour se consacrer à leur vie de couple » témoigne une responsable de l’Association des mères éducatrices (AME) de Manga. Aussi, plus de la moitié des enseignants (61.66%) enquêtés ont prouvé que pour des raisons de mariage les filles redoublent les classes. La question de savoir si une fille mariée peut suivre normalement les cours et avoir le Certificat d’études primaires (CEP), les réponses laissent voir que la majorité des filles enquêtées (80%) ont répondu par la négative. 65% des parents enquêtés affirment qu’une fois mariée la fille ne peut plus continuer son parcours scolaire jusqu’au CEP. Le taux de déperdition de ces filles mariées est élevé (40% des enseignants enquêtés) voire très élevé soit 9 enseignants sur 60 soit 15% ont remarqué cela dans leurs classes.

2.3. Les difficultés rencontrées par les acteurs de la lutte

L’Analphabétisme vient en première position comme difficulté rencontrée pour mettre fin aux mariages d’enfants selon 58.33% des enseignants enquêtés. En plus les enquêtés (51.66%) ont soulevé les pesanteurs culturelles qui jouent négativement dans la lutte contre le mariage des enfants. Enfin, certains enseignants (11.66%) estiment que les autorités n’appliquent pas les textes en matière du code de la famille qui interdissent le mariage des enfants.

Parmi les principales difficultés qui entravent la lutte contre les mariages d’enfants, les parents (55%) ont d’abord cité les pesanteurs culturelles. En se basant sur les réponses des parents, cette population reconnaît les mariages d’enfants comme une valeur culturelle, voilà pourquoi on rencontre fréquemment cette pratique dans la commune. Ensuite il y a la pesanteur religieuse ,45% des enquêtés l’ont souligné. Population islamique, nous pouvons dire que c’est également une des raisons. Les filles (68%) affirment que le principal obstacle à l’abandon du mariage précoce est l’analphabétisme des parents. Comme ils ne sont pas instruits, ils s’adonnent toujours à des pratiques anciennes. À cela s’ajoute la non-application des textes interdisant les mariages d’enfants. Lorsque les autorités appliquaient la loi les parents ne pratiqueraient plus le mariage des enfants. Enfin, 22% des filles enquêtées soulèvent les pesanteurs religieuses. L’islam étant la principale religion pratiquée par la population elle favorise la pratique des mariages d’enfants. Quant aux encadreurs, ces difficultés sont surtout liées à la mentalité de la population car tout ce qui concerne les traditions est très sensible et difficile à abandonner par la population. Il y a également le contexte sécuritaire qui empêche les ONG d’intervenir dans toutes les écoles de la commune.

Nous pouvons dire que la population à majorité analphabète constitue un obstacle pour lutter contre certains maux qui minent la société en occurrence le mariage des enfants. En plus, certaines cultures reconnaissent le mariage des enfants comme une valeur et ce qui le cas des Peuls dans les communes de Fada N’Gourma et Manga.

2.4. Quelques suggestions pour l’éradication des mariages d’enfants

Pour éradiquer le mariage des enfants, la majorité des enseignants enquêtés (85%) ont suggéré la sensibilisation. Comme la population n’est pas instruite, elle reste hostile au changement et la sensibilisation peut changer les mentalités. Néanmoins, on doit appliquer la loi à travers des réprimandes et sanction à l’encontre des fautifs a signalé 10% des enquêtés. Tous les parents enquêtés qui se sont prononcés ont suggéré la sensibilisation.

Les filles enquêtées 78% proposent la sensibilisation des parents. En plus de la sensibilisation, certaines filles (8%) suggèrent de réprimer les parents fautifs. Les encadreurs proposent que la sensibilisation soit le principal moyen car les pesanteurs culturelles s’enracinent profondément et doivent être traitées avec tact. Cependant, on doit appliquer la loi afin de réprimer les fautifs.

On peut retenir que l’analphabétisme de la population fait qu’elle est hostile au changement et la sensibilisation doit dominer sur les réprimandes qu’on doit aussi appliquer pour intimider.

Après analyse des résultats obtenus, nous pouvons affirmer que :

  • Le phénomène n’est pas lié à une absence de stratégie locale, en référence au volet tentative d’éradication des mariages des enfants : Les actions que mènent les enseignants en faveur des filles mariées sont basées essentiellement sur la sensibilisation. On ne doit pas perdre de vue le suivi des filles.
  • Les parents priorisent également la sensibilisation. Quant aux filles, 34% des enquêtées disent que bien travailler à l’école peuvent amener les parents à les laisser continuer leurs études. Les encadreurs ont cité des ONG comme Save The Children, Plan Burkina, Humanités & Inclusion (HI) qui militent pour la cause des filles.
  • Le phénomène du mariage des enfants est lié à l’insuffisance d’actions et d’implication des acteurs.

CONCLUSION

En conclusion, il faut noter que des milliers d’enfants burkinabè sont toujours en marge du système scolaire dû au mariage des enfants, surtout dans la région du Sahel et précisément dans la commune de Fada N’Gourma et de Manga. Les taux croissants des redoublements, des échecs, des abandons scolaires en sont des illustrations concrètes.

Les principales difficultés rencontrées pour l’éradication des mariages des enfants sont l’analphabétisme et l’ignorance des parents. Ensuite, les enquêtés ont identifié les pesanteurs culturelles comme jouant négativement pour la lutte contre le mariage des enfants au Burkina Faso. Enfin, de nombreux enquêtés estiment que les autorités n’appliquent pas les textes en matière de droits des filles et des femmes.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

AYISSI, A., MAIA, C. & AYISSI, J. (2002). Droits et misères de l’enfant en Afrique : Enquête au cœur d’une « invisible » tragédie. Études, 397, 297-309. https://doi.org/10.3917/etu.974.0297

GIRLS NOT BRIDES (2018). L’éducation, clé de la fin du mariage des enfants au Sahel

Institut National des Statistiques et de la Démographie (NSD) (2009). Le recensement général de la population et de l’habitat de 2006 dans son thème 4 : Éducation, Instructions, Alphabétisation-Scolaire publié en octobre 2009 par Jean François KOBIANE Démographe ISSP et Moussa BOUGMA Démographe INSD

Kaboré A. (2021). État des lieux des textes, des lois, des politiques et stratégies sur l’éducation des filles et la lutte contre le mariage d’enfants au Burkina Faso. Rapport final, FAWE Burkina Faso.

Kaboré A. (2022). Analyse des causes profondes de la persistance des mariages d’enfants d’âge scolaire dans les régions de l’est et du centre sud du Burkina Faso, in « La revue des Sciences Sociales « Kafoudal », n°2, 4e Année – Juin 2022

Ministère de la femme, de la solidarité nationale et de la famille (2015). Stratégie nationale de prévention et d’élimination du mariage d’enfants 2016 – 2025

Ministère de l’Education Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (MENAPLN) (2020). Plan d’urgence pour l’éducation au Burkina Faso,

Ministère de la femme, de la solidarité nationale et de la famille (2017). Stratégie nationale de promotion et de protection de la jeune fille au Burkina Faso 2017-2026, MFSF.

OUEDRAOGO S. (2020). L’Abolition du mariage précoce au Burkina Faso, bientôt une réalité, URL : https://blogs.worldbank.org/fr/youth-transforming-africa/labolition-du-mariage-precoce-au-burkina-faso-bientot-une-realite

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