Tribune | « Et si nous tirons enfin leçon? », la proposition de Zakaria Bandaogo
Ceci est une tribune de Zakaria Bandaogo, Magistrat, Ecrivain, auteur du livre « La Barque du destin » et inventeur du Razball, tribune intitulée « Et si nous tirons enfin leçon? ».
Le Burkina Faso a voulu à travers ses cinq différentes constitutions, emprunter le chemin de la démocratie. Cependant, force est de constater que toutes ces constitutions n’ont pas pu maintenir le pays pendant longtemps sur cette voie. En effet, tous les présidents portés à la tête de notre jeune Etat, ont vu leur mandat écourté par des coups d’Etat :
Le 15 octobre 1987, coup d’Etat sanglant entre militaires.
Les 30 et 31 octobre 2014, opposante sanglante entre des camps politiques.
Le 16 septembre 2015, coup d’Etat sanglant contre un pouvoir transitionnel.
Le 24 janvier 2022, coup d’Etat sanglant contre un pouvoir civil
Le 30 septembre 2022, coup d’Etat entre militaires.
Le 27 décembre 2022, des arrestations pour faits de tentative de déstabilisation des institutions.
Cette situation doit interpeller toute personne soucieuse du devenir de notre nation. Faut-il continuer de bâtir les fondements de notre nation suivant cette version de la démocratie, ou bien doit-on faire des réformes courageuses et inédites pour emprunter un autre chemin ?
Si cette instabilité institutionnelle nous conduisait au développement et au rayonnement de notre pays, on pouvait s’en réjouir. Mais dès lors, que cela conduit à une désagrégation progressive des fondements de notre pays, il est impérieux d’y apporter des solutions.
Pour moi, les problèmes de notre pays sont liés à l’absence d’un « Socle gravitationnel ». J’attends par-là, une institution autour de laquelle tout le système étatique gravite et qui imprime directement ou indirectement la marche de chacune d’elle.
Le peuple burkinabè a suffisamment montré qu’il n’est pas prêt à élire un président et croiser les bras en l’observant impuissamment bafouer ses intérêts jusqu’à la fin de son mandat.
Il ne semble pas être encore disposé à appeler l’Armée à « prendre ses responsabilités » comme il l’avait fait en 1966, en 2014 et récemment en 2022. En effet, à chaque changement opéré, le peuple fait face à une nouvelle déception encore plus grande de sorte qu’il doit avoir tiré assez de leçons.
Quant aux civils politiques, je ne crois pas qu’ils accepteront encore de voir leur pouvoir obtenu suite aux élections, être brusquement interrompu par des coups de force militaires.
Au niveau de l’Armée aussi, je me demande si nous pouvons encore assister à une unité d’actions pour la prise du pouvoir.
Alors dans ces conditions, qu’adviendra à notre Etat si, face à des nouveaux coups de force, il y a des résistances civiles ou militaires ?
Ce constat signifie que si les choses restent en état, les prochaines confrontations seront davantage plus violentes que tout ce que nous avons connu jusque-là. Car, personne ne va se laisser désormais faire. Alors qu’il est évident que nous ne pouvons pas bâtir un développement durable si nos divergences se règlent toujours dans la violence.
C’est pourquoi je propose l’adoption d’une loi constitutionnelle pour créer une institution qui aura une grande légitimité au sein de toutes les composantes de notre nation. Cette institution, je l’ai nommée « Les Grands veilleurs » dans mon livre « La Barque du destin ». Ils sont nommés à vie ou jusqu’à ce que leurs conditions physiques et mentales ne leur permettent pas d’accomplir leur mission. Ils auront pour rôle de veiller aux intérêts de la nation indépendamment de tout gouvernement.
Ils apprécieront les grands engagements et les concessions importantes consentis par l’État. Ils seront habilités à demander la démission du Président du Faso lorsque les intérêts de la nation se trouvent gravement compromis par l’incompétence notoire de ce dernier. Le Président du Faso est responsable devant eux. De ce fait, ils peuvent l’interroger sur toute question d’intérêt national.
Cette institution constituera le noyau inamovible de notre politique. Elle sera ‘’l’âme’’ de notre pays et l’épicentre de notre gouvernance.
Les vicissitudes qui ont caractérisé l’Histoire de notre pays attestent que les intérêts d’un pays ne sont pas forcement liés aux intérêts des politiques au pouvoir. Elles établissent aussi la preuve que nous ne pouvons pas compter sur nos Parlements pour contrôler effacement l’action du Gouvernement.
En effet, il est absurde de demander aux investisseurs politiques de se contrôler mutuellement de sorte à préserver l’intérêt de nos États ; car, dès lors que l’intérêt de l’État ne permet pas à l’investisseur politique de rentabiliser ses capitaux injectés dans la politique, alors ses intérêts privés vont primer sur tout le reste. C’est pourquoi nos Parlements ont rarement été un contre-pouvoir capable d’influer sur la politique de l’Exécutif, cela parce qu’ils ont tous un intérêt commun qui est la conservation du pouvoir.
De plus, faire élire un président au suffrage universel et le déclarer irresponsable devant les représentants du peuple est une incongruité. Car, le peuple n’a pas élu un Premier ministre mais plutôt un Président du Faso qui doit répondre de ses aspirations.
Les Grands veilleurs dans leur mission vont rendre plus responsables et plus redevables les acteurs politiques. Ils vont constituer de régulateurs de nos divergences de sorte à éviter la mise aux prises perpétuelle des différents antagonistes politiques ou militaires. Ils éviteront à l’Etat d’être engagé dans des politiques hasardeuses. Cette institution doit survivre quelque soit ce qui arrive à l’Etat.
Elle est la gardienne de l’Etat dans ses fondements essentiels. Bref, c’est l’Etat lui-même en miniature transcendant ainsi toutes les péripéties politiques ou militaires. Elle doit être l’organe qui sonne la fin de la recréation, quel que soit le niveau de la crise.
Chaque province désigne un Grand veilleur parmi les personnes ayant fait la preuve de leur probité, de leur engagement pour l’intérêt de la nation et surtout ayant une capacité intellectuelle et physique avérée. Il doit avoir un sens élevé de l’Etat. Il ne doit pas être membre de parti politique. Et un Grand veilleur doit avoir de l’aura au sein de la province.
Le choix des membres et la désignation de la présidence doivent être organisés de sorte que l’institution échappe au contrôle de toute force ethnique, religieuse, politique et/ou syndicale.
Par exemple, si une telle institution existait, les Programmes d’ajustement structurel (PAS) ne seraient pas ainsi appliqués au Burkina Faso ; les événements de 1987, 2014, 2015, 2022, etc. pouvaient être évités.
La dénomination et le nombre des membres peuvent varier, mais il est important que le Burkina Faso se dote d’une institution ayant de tels pouvoirs si nous voulons éviter à notre pays les erreurs du passé. Laisser les adversaires politiques ou militaires s’affronter violemment pour que le vainqueur gouverne, est suicidaire pour notre pays.
Zakaria BANDAOGO
Magistrat
Ecrivain, auteur du livre « La Barque du destin »
Inventeur du Razball
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