Amplification de la lutte biologique contre la mouche des fruits dans les agroécosystèmes de l’ouest du Burkina Faso
Ceci est une étude intitulée « Amplification de la lutte biologique contre la mouche des fruits dans les agroécosystèmes de l’ouest du Burkina Faso » de Parfait K. TAPSOBA (Université d’Abomey-Calavi – Bénin), Félix OUÉDRAOGO, (INSS/CNRST Ouagadougou – BF), Boundia A. THIOMBIANO, Patrice TOE (Université Nazi Boni de Bobo Dioulasso – B.F), Madeleine KABORE/KONKOBO (INSS/CNRST Ouagadougou – BF) [email protected].
Introduction
En Afrique de l’Ouest, le poids économique des dégâts causés par la mouche des fruits (Diptera tephritidae) s’accroît aussi bien au niveau des manguiers de case que des vergers de petits producteurs ou à vocation industrielle. L’introduction et la dispersion d’une espèce de mouche (Bactrocera invadens) découverte en Afrique de l’Ouest par l’Institut International d’Agriculture Tropical (IITA) au Bénin en 2004, pourrait remettre en question les succès commerciaux engrangés récemment par cette filière. Sur les douze (12) espèces de Diptera tephritidae, l’on considère que les plus nuisibles sont Ceratitis cosyra et Bactrocera invadens (CTA, 2007, p.4). L’impact des dégâts engendrés par la mouche des fruits au sein de la filière mangue au Burkina Faso est particulièrement ressenti au niveau des exportateurs de la mangue fraîche. En effet, l’exportation de mangues fraîches vers les pays de l’Union européenne est la seconde activité pourvoyeuse de revenus au sein de la filière mangue après le séchage. En 2016, la mangue fraîche a généré environ un quart du chiffre d’affaires total de la filière, avec un chiffre d’affaires de 4 329 453 400 FCFA contre 18 732 400 000 pour la filière (APROMAB, 2016). Par ailleurs, les mouches des fruits étant classées « insectes de quarantaine », aucun fruit piqué renfermant une larve ne peut être exporté sous peine du rejet et de la destruction totale du lot de mangues par les services phytosanitaires européens (CTA, 2007, p.9). Chaque année, à cause de ces insectes, des containers entiers en provenance du Burkina Faso sont interceptés, saisis et détruits par incinération dans les ports et aéroports européens, causant un grave préjudice économique aux exportateurs (TAPSOBA, P, K.et al, 2023). En sus, une augmentation du nombre d’interceptions pourrait conduire simplement à une suspension des importations de mangue provenant du Burkina Faso au niveau de l’Union européenne, comme cela a été le cas de l’Inde et de la Thaïlande en 2014 (CNUCED, 2016, p.52).
Face à cette menace, plusieurs actions ont été menées afin de venir à bout de ces mouches inféodées aux manguiers dans l’ouest du Burkina Faso. Les mouches des fruits disposent d’une gamme de plantes hôtes variée jusque-là peu connue au Burkina Faso. Les attaques de la mangue par ces insectes constituent un fléau au niveau national. De plus, comme le mentionne la Direction de l’Agriculture et du Développement Rural (DADR) de la commission de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), “La mouche ne connaît pas de frontières. C’est ce qui explique l’orientation en faveur d’une action coordonnée, concertée et régionale”. Ainsi, au niveau sous-régional, la (CEDEAO) et ses états membres se mobilisent et conjuguent leurs efforts pour diminuer les pertes causées par les mouches des fruits et pour accroître les revenus des producteurs de fruits et légumes à travers un Plan régional de Lutte et de contrôle des Mouches des Fruits en Afrique de l’Ouest (PLMF). Dans le cadre de la mise en application de ce plan régional, plusieurs techniques de luttes intégrées contre les mouches des fruits ont été proposées aux producteurs. Face à ces constats, une question se dégage : quelles sont les opportunités de mise en échelle de la lutte biologique contre les mouches de fruits inféodées aux manguiers à l’Ouest du Burkina Faso ? Cette étude part de l’hypothèse selon laquelle dans la région ouest du Burkina Faso, et dans le cadre du plan régional de lutte contre la mouche des fruits, les actions de vulgarisation des méthodes de lutte en général et particulièrement le « Success appat » et le Timaye, ont trouvées éco auprès des producteurs et que de ce fait, ils existeraient des opportunités d’amplifier l’adoption et la dissémination de ces deux biopesticides dans cette région.
I- Matériel et méthodes
1.1. Cadre géographique
La présente étude est menée dans trois localités du Burkina Faso à savoir les provinces du Houet et du Kénédougou (région des Hauts bassins) et la province de la Comoé (région des Cascades) (Fig. 1).
Ces deux régions ont été retenues pour cette étude, car elles représentent au Burkina Faso, la zone par excellence de production de mangues et aussi des agrumes qui sont des plantes-cibles de la mouche des fruits. Ouattara en 2009 déjà affirmait que les provinces de la Comoé, du Houet et du Kénédougou constituent les zones de production arboricole par excellence au Burkina Faso et sont qualifiées de « verger du Burkina Faso ». De plus, selon le rapport spécial du réseau du système d’alerte précoce, sur les zones et profils de moyens d’existence au Burkina Faso, réalisé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), ces deux régions constituent une zone en situation de sécurité alimentaire tributaire de l’agriculture pluviale. Elles produisent de grands volumes de céréales (notamment du maïs) ainsi que du coton et des fruits (en particulier, des anacardes et des mangues), et dont les ventes contribuent à en faire une zone relativement riche (FEW NET, 2010).
1.2. Cadre méthodologique
Population d’étude, échantillonnage et méthode de recherche
La présente recherche est de type quantitatif autorisant des techniques quantitatives de collecte de données. La population d’étude a été constituée de personnes-ressources de la chaine des valeurs de la filière mangue au Burkina Faso. Il s’agit notamment des responsables d’unités de conditionnements, des acteurs au niveau de la faitière de la filière et des services déconcentrés de l’agriculture qui interviennent dans la lutte contre la mouche des fruits. Ces acteurs ont été choisis par la méthode de Boule de Neige dans les villes de Bobo-Dioulasso, Orodara, et Banfora.
1.3. Collecte et traitement des données
Deux catégories de données ont été collectées au cours de cette étude. Il s’agit des données primaires et secondaires. Les données secondaires ont été collectées à travers les bibliothèques de la ville de Bobo-Dioulasso et les revues électroniques en ligne. Ces données ont été nécessaires pour mieux cerner le sujet afin de l’aborder avec plus de pertinence. Les données primaires ont été collectées auprès des personnes-ressources. Pour ce faire, un questionnaire inspiré du guide du Scaling scan a d’abord été élaboré. Il a ensuite été digitalisé grâce à l’application Kobo collect pour une collecte informatisée des données lors des entretiens semi-structurés. Les données recueillies ont fait l’objet d’analyse au moyen du tableur Excel 2016 qui a permis de les regrouper sous forme de tableaux en vue d’une analyse basée sur la statistique descriptive et la génération des graphiques en s’inspirant du Scaling scan qui est un outil pratique pour déterminer les forces et les faiblesses des ambitions de mise à d’échelle. Il a été développé par le laboratoire de partenariat public Privé (PPPLab) et le Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) en 2017. Cet outil permet le passage de l’idée de l’amplification d’une innovation à la mise en place d’une stratégie de mise à l’échelle détaillée prête à être mise en œuvre (F. Jacobs et al., 2018, p.15). C’est un ensemble de questions construites autour de dix déterminants identifiés comme les principaux pour la mise en échelle d’une technologie/pratique. Chaque déterminant repose sur quatre axes traduits sous formes de questions. Ainsi, quatre principales questions relatives à l’état des lieux de chaque déterminant sont posées à l’interviewer. On attribue un score qui varie de 1 à 5 à chaque question selon qu’il estime que la situation évoquée par cette question est favorable ou non à la mise en échelle. La moyenne des scores obtenus par les axes de chaque déterminant constitut le score de ce déterminant. L’ensemble des scores contribueront à l’établissement d’un diagramme à barres que sera interprété selon une méthodologie précise.
L’utilisation du Scaling scan se fait en trois étapes qui sont :
- la construction des ambitions de mise à l’échelle ;
- la vérification des déterminants de mise à l’échelle (qui représentent 10 domaines d’expertise différents qui nécessitent une attention particulière pour une mise en échelle réussie (F. Jacobs et al., 2018, p.15) ;
- l’identification des points d’attention pour la stratégie de mise à l’échelle :
L’interprétation des résultats du Scaling scan s’est fait sur la base du diagramme à barres conçu en l’étape 2 et selon le principe suivant :
- Si les scores moyens sont généralement élevés (> 3), Il y’a un espoir d’atteindre les ambitions de mise à l’échelle dans le temps et le lieu donnés ;
- de même, si les scores moyens sont généralement faibles (< 3), plusieurs défis doivent être surmontés pour atteindre les ambitions de mise en échelle (F. Jacobs et al., 2018, p.15).
II-. Résultats
L’analyse des entretiens réalisés avec les acteurs clés de la filière mangue au moyen de l’outils Scaling scan (du CIMMYT) met en exergue les forces et les faiblesses de la mise à l’échelle des technologies de lutte contre la mouche des fruits dans la zone d’étude (Timaye et Success appât). Les 10 domaines d’expertise différents identifiés comme nécessitant une attention particulière pour une mise en échelle présente des scores variés : sur une échelle de 1 à 5 en dehors des variables « leadership et management, », « preuve et apprentissage » et « finance » qui présentent des scores inférieurs à trois (03), toutes les autres variables ont des scores supérieurs à trois (03).
En s’intéressant de manière spécifique aux déterminants de la mise en échelle qui ont obtenu les scores les plus faibles, l’étude révèle que ces scores sont la conséquence du faible niveau des scores obtenus par les axes qui portent ces déterminants.
De l’analyse des trois déterminants ayant obtenus les scores inférieurs à trois (03), l’on constate que tous les axes du déterminant « leadership et management, » présentent des scores inférieurs à 03. En ce qui concerne par ailleurs les déterminants « preuve et apprentissage » et « finance », les axes 1 montrent des scores supérieurs à trois (03) tandis que les axes 2 ; 3 et 4 montrent des scores inférieurs à trois (03).
III-. Discussion
L’analyse des perspectives de mise en échelle des technologies de lutte contre la mouche des fruits au moyen du diagramme fait état de l’importance relative des 10 facteurs clés la mise à l’échelle (Fig. 2). Elle montre que les domaines « leadership et management, », « preuves et apprentissage » et « finances » présentent respectivement les scores 2,2<3 ; 2,4<3 ; 2,5<3 et sont donc les trois déterminants de la mise à l’échelle les moins performants (F. Jacobs et al., 2018, p.15). L’analyse de ces déterminants les moins performants a également révélé que tous les axes du déterminant « leadership et management, » présentent des scores inférieurs à trois (03). Ce sont entre autres : l’établissement la reconnaissance et la connexion du leadership quotidien du processus de mise en échelle aux acteurs pertinents (axe 1) ; l’implication suffisante des acteurs et parties prenantes sur le processus et la prise de décision au sens large (axe 2) , l’existence des porte-parole, des messagers, des organisateurs et des courtiers en pouvoir compétents, influents et convaincants (axe 3) et enfin les possibilités de changements organisationnels / institutionnels requis (axe 4) (Fig. 3)
De même, excepté l’axe 1 du déterminant « preuve et apprentissage », les axes 2, 3 et 4 ont monté des scores inférieurs à 3. Ce sont : l’utilisation efficace des données et les outils informatiques modernes pour soutenir, analyser, partager et promouvoir le Timaye et du Success appât et conduire le processus de changement (axe 2), l’utilisation effective des données de terrain pour orienter le processus de mise en échelle (axe 3) et la possibilité d’apprentissage institutionnel (axe 4). Le dernier déterminant de la mise à l’échelle du Timaye et du Success appât le moins performant avec les axes disponibilités de mécanismes financiers pertinents, accessibles et abordables pour tous les acteurs de la chaîne de valeur (axe 2), niveau d’acceptabilité des risques financiers pour les acteurs de la chaîne de valeur et les institutions financières / investisseurs (axe 3) et enfin la présence d’un financement suffisant et durable (axe 4) (Fig. 3). Ainsi, en se référant au Scaling scan du CIMMYT, la réussite du processus de mise en échelle du Timaye et du Success appât passe par l’amélioration des scores de trois déterminants, jugés moins performants qui elle-même est fonction de la prise en compte des problématiques évoquées dans les axes ci-dessus cités (TAPSOBA, P, K.et al, 2023). A ce sujet, (L. Parrot et al, 2017, p.15) affirmaient que les mesures sont bien souvent partielles alors que l’approche devrait être globale et collective pour apporter un changement.
Conclusion
La filière mangue est une d’importante socioéconomique avérée au Burkina Faso. Caractérisée par l’exportation principalement vers les pays de l’Union européenne et aussi vers les pays de l’Afrique du Nord, cette filière est une source de devises et d’emplois pour le pays. Depuis plusieurs années déjà, la problématique de la lutte contre la mouche des fruits un devenue l’un des défis majeurs auxquels la filière doit faire face. Classée insecte de quarantaine par l’Union européenne qui est la principale destination des produits d’exportations des acteurs de cette filière, les actions contre cette mouche ravageuse sont multipliées ces dernières années. De ce fait, pendant que les conditions d’exportations vers l’Europe se durcissent, les initiatives de lutte contre cet insecte se multiplient. Des actions des producteurs à base, celles du gouvernement en passant par les structures privées toutes ont un seul objectif : réduire les pertes économiques énormes engendrées par ce ravageur. Cet objectif passe nécessairement par la diminution des interceptions des containers de mangues fraîches aux portes de l’Union européenne qui de plus en plus envisage des mesures plus drastiques à l’endroit des pays à fort taux d’infestation. Cette étude visait à déterminer les opportunités de mise en échelle des technologies de luttes contre la mouche des fruits notamment la technique du piégeage de lutte avec le Success appât et celle de piégeage de détection avec le Timaye.
Les résultats montrent que des perspectives de mise en échelle de l’utilisation du Timaye et du Success appât existent. En effet, l’analyse des dix déterminants de la mise à échelle révèle que seulement trois déterminants « leadership et management », « preuve et apprentissage » et « finance » présentent des scores inférieurs à trois (03) sur une échelle de 1 à 5 et doivent faire l’objet de mesures d’amélioration. Une prise en compte des axes à faibles scores de chaque déterminant devrait permettre une amélioration du score du déterminant et dans une plus grande mesure, la réalisation de l’ambition de mise à l’échelle de ces deux biopesticides.
APROMAB, 2016 : Rapport bilan de la campagne 2016 de la commercialisation de la mangue Burkina-Faso, 28p.
CNUCED, 2016 : Mangue : un profil de produit de base par INFOCOMM ; fonds de la CNUCED pour l’information sur les marchés des produits de base agricoles, New York et Genève 23p.
CTA, 2007 : Collection Guides pratiques du CTA, N°14 : comment lutter contre la mouche des fruits, 14 – ISSN 1874-8856, 4p.
FEW NET, 2010 : Zones et profils de moyens d’existence au Burkina Faso, un rapport spécial du réseau du système d’alerte précoce (fews net, Ouagadougou, Burkina Faso 83p.
JACOBS, F., Ubels, J., Woltering, L., 2018. The Scaling Scan- A practical tool to determine the strengths and weaknesses of your scaling ambition. Published by the PPPlab and CIMMYT, 35p.
OUATTARA S. G., 2009 : Analyse socio-économique et institutionnelle de l’adoption des technologies d’amélioration de la productivité des manguiers à l’ouest du Burkina Faso. Mémoire d’ingénieur du développement rural, Université Polytechnique de Bobo. Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, 76p.
TAPSOBA, P, K., OUÉDRAOGO.,F, THIOMBIANO, B, A., TOE, P, KABORE/KONKOBO, M.,2023, Opportunités de mise en échelle de la lutte biologique dans les vergers certifiés à l’ouest du Burkina Faso. une application du scaling scan aux deux biopesticides les plus utilisés contre la mouche des fruits : le « success appat » et le timaye, Revue de Philosophie, Littérature et Sciences Humaines Échanges, Volume 2 Revue Semestrielle N° 020, Juin 2023, Lomé-TOGO, PP.648-656
PARROT L., Biard Y., Kabré E., Klaver D., Vannière H., 2017 : Analyse de la chaine de valeur mangue au Burina Faso. Rapport pour la Commission Européenne, DG DEVCO. Value Chain Analysis for Development Project (VCA4D CTR 2016/375-804), 174p.
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