Agriculture hors-sol dans la région du Centre-Nord : Ces femmes déplacées qui refusent la précarité
L’agriculture hors-sol joue un rôle crucial pour améliorer la sécurité alimentaire des personnes déplacées internes (PDI). Ces dernières vivent dans des camps ou des zones surpeuplées où l’espace pour l’agriculture est limité. L’accès à la terre devient un réel défi. Mais ces braves dames ont trouvé la parade : l’agriculture hors-sol pratiquée dans des petits espaces. Et ça promet ! Cela réveille même, en certaines femmes déplacées, une fibre entrepreneuriale… Découverte !
Dans une cour anodine et inaccessible aux ruminants ambulants, des femmes, le dos courbé sous un soleil de plomb, fauchent vigoureusement des mauvaises herbes dans des récipients tout aussi anodins. Un dur labeur qu’elles exécutent pendant des heures, dira un œil non averti.
En réalité, ce n’est qu’un jeu d’enfant pour ces habituées de la terre. Bien organisées dans un espace sécurisé, ces dames sont dans leur élément. Ce sont des femmes déplacées internes qui ont trouvé ici gîte et couvert et qui sont en train de vivre une nouvelle expérience. Et cela se passe à merveille.
Au Burkina Faso, la crise humanitaire a entraîné le déplacement de nombreuses personnes à l’intérieur du pays. Des rapports récents indiquent que des centaines de milliers de Burkinabè ont été contraints de quitter leurs foyers, se retrouvant souvent sans accès à des ressources essentielles comme la nourriture et l’eau.
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Au secteur N°4 de la ville de Kaya, c’est une cour de fortune d’environ 240 m2 qui reçoit notre visite. Transformée par le contexte en champs d’agriculture hors-sol, elle est exploitée par une trentaine de femmes déplacées internes. A vue d’œil, cette habitation n’a rien de spécial et ne présage aucune activité du genre.
La résilience chevillée au corps et dans l’optique de s’alimenter, les femmes déplacées produisent multiples variétés de légumes pour leurs besoins. Des pneus usagés, des morceaux de bidons, des sacs, des sachets et des seaux, sont des outils que ces dames utilisent pour produire de l’arachide, de l’oseille, du gombo, de l’aubergine sauvage, du niébé, etc.
A notre arrivée le 5 juillet 2024 dans le centre de production de l’Association Baark-Zaaka du Sanmatenga (ABZS), une organisation basée à Kaya qui se consacre spécifiquement à soutenir les femmes déplacées internes, ce sont des plantes mises dans des sacs qui captent notre attention.
Plus d’une vingtaine de femmes nous accueillent. Subdivisées en petits groupes, certaines font la cueillette, les semis et d’autres procèdent au nettoyage du site. Peu de temps, les dernières femmes arrivent à vélos, des bébés au dos pour débuter leur journée de travail. Rien n’est fait au hasard ici.
…A la recherche d’une zone plus sécurisée à cause des attaques répétées des terroristes
Pioche en main pour les unes et des paniers pour les autres, ces femmes n’ont pas le temps pour la causerie. Elles ne pipent mot. Elles ont décidé de s’adapter à leur nouvelle vie. Information prise après moults tentatives, nous apprenons que ces femmes sont originaires de la zone de Namissiguima, de Kelbo, de Barsalogo, de Foubé et partagent désormais la même histoire à Kaya.
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Minata Bamogo, âgée de 40 ans, vivait dans la commune rurale de Namissiguima dans la province du Sanmatenga. Elle accepte sacrifier une partie de son temps pour une causette.
Comme beaucoup d’autres femmes, elle a été contrainte de fuir son domicile avec ses quatre enfants à la recherche d’une zone plus sécurisée à cause des attaques répétées des terroristes. Les violences et les menaces vécues ont fait de sa vie une lutte pour la survie.
Arrivée à Kaya, elle apprend à ses dépens que les réalités sont toutes autres. Une réadaptation s’impose. Elle trouve un abri de fortune. Mais les conditions de vie sont précaires. C’est un accès limité à l’eau potable et à la nourriture.
Elle vivait principalement de l’agriculture dans sa zone d’origine. Impossible pour elle de pratiquer aujourd’hui cette activité en zone urbaine. Malgré les difficultés, Minata montre une résilience remarquable pour éviter la mendicité.
C’est ainsi qu’elle décide de rejoindre un groupe de femmes, organisées en association pour produire dans un jardin communautaire. Elle affirme qu’avec la population hôte, la cohabitation se passe en parfaite harmonie.
« Nous sommes issus d’ethnies diverses. A notre arrivée, tout le monde pouvait nous identifier facilement à travers nos comportements. A l’heure actuelle, personne ne peut faire la différence entre nous, personnes déplacées internes, et population hôte. Nous avons été bien accueillis par nos frères et sœurs. Nous formons un tout actuellement », précise-t-elle.
Après nos échanges avec Minata, une autre femme accepte partager son histoire. Pingréwaoga Ouédraogo, est aussi membre de l’association. Elle est originaire de Namissiguima, et trouve sa pitance quotidienne grâce à la culture hors-sol. Cela fait plusieurs mois qu’elle pratique cette technique de production qu’est l’agriculture hors-sol. En plus d’avoir un revenu constant grâce à cette activité, elle contrôle également ce qu’elle consomme.
« Ça fait plus de 6 mois que j’ai débuté l’agriculture hors-sol ici. Cette technique est très pratique. Je produis de l’oseille, les feuilles du niébé, de l’aubergine sauvage, du gombo, etc. Depuis que j’ai commencé à produire, je n’achète plus de condiments au marché. C’est très bénéfique pour moi.
Au lieu d’acheter des condiments, c’est moi qui les commercialise. Après la commercialisation, le reste, je fais la cuisine avec. Cette pratique agricole a permis d’améliorer la qualité de mes plats. Avec mes économies, j’arrive à acheter les semences et à aider mon mari et à prendre soin de mes enfants », relate-t-elle. Elle révèle que pour chaque récolte, elle peut avoir entre ses mains 4 000 F CFA. Elle met en exergue un autre aspect.
Le travail communautaire, à l’entendre, est organisé dans une bonne ambiance et permet un tant soit peu d’oublier leur nouvelle condition de vie en ville. « C’est bien vrai quand j’étais dans ma localité d’origine, c’est l’agriculture qui était notre principale occupation. Cela nous permettait d’approvisionner notre grenier. Nous vivions sans assistance. On n’achetait pratiquement rien pour notre alimentation. Mais depuis que nous nous sommes déplacés à Kaya, nous avons de multiples soucis. On est obligé de tout acheter.
Mon souhait, c’est surtout le retour de la paix. Quand je repartirai, je pratiquerai cette agriculture hors-sol qui ne prend pas trop d’espaces, et qui ne demande pas beaucoup d’efforts. Par exemple, en saison sèche, on peut pratiquer cette technique qui permettra de cueillir des feuilles vertes pour notre alimentation », indique-t-elle.
Mariam Ouédraogo, également membre de l’association, est originaire de Namissiguima. La cinquantaine bien sonnée et mère de 8 enfants. Elle a été contrainte de fuir son village aussi avec sa famille en raison de l’insécurité.
Elle laisse derrière elle, sa maison, des terres agricoles et ses souvenirs. Arrivée à Kaya, elle fait face à des conditions de vie précaires et une incertitude constante de l’avenir de sa famille.
C’est très rentable l’agriculture hors-sol
Pour trouver son pain quotidien et vivre dignement, en plus de la pratique de l’agriculture hors-sol, elle s’outille dans la transformation du Soumbala. « A la maison, je produis du niébé, de l’oseille, le gombo et d’autres produits. Pour les condiments, je n’ai plus de souci. Je fabrique aussi du Soumbala et j’améliore le goût de mes plats. J’ai été outillée par l’OCADES pour la fabrication du Soumbala.
On nous appris beaucoup de choses dans le cadre de la résilience notamment la conservation de la tomate et la transformation des produits non ligneux. Depuis lors, je suis financièrement épanouie. Ma famille mange à sa faim. Quand on était chez nous (à Namissiguima), c’était avec les autres femmes que l’on achetait.
A notre retour, nous allons plutôt vendre avec les autres femmes. En saison sèche on peut produire pour la commercialisation et la consommation. C’est très rentable l’agriculture hors-sol. Pour produire, on doit créer des espaces entre les jours pour les semis afin que l’on puisse récolter graduellement dans le temps. Pendant les évènements sociaux, je commercialise mes feuilles », souligne-t-elle fièrement.
Originaire de Barsalogho, 26 ans et mère de 5 enfants, Alizéta Sawadogo, soutient que l’agriculture hors-sol est très bénéfique. « Avec un petit espace, on arrive à produire plusieurs variétés. Même avec les caprices de la pluviométrie, on arrive à produire sereinement. Avec cette technique, on n’a même pas de souci. Ma prière est le retour de la paix », dit-elle en arrachant de mauvaises herbes dans son espace.
Pour comprendre l’histoire de la mise en place de ce centre, nous rencontrons la première responsable de l’Association Baark-Zaaka du Sanmatenga (ABZS), Rasmata Ouédraogo. Avec un léger sourire au coin, elle explique que l’association est née en 2020 suite à la détérioration du climat sécuritaire avec son corollaire de déplacement de la population. Dame Ouédraogo informe que l’association organise des programmes de formation professionnelle et d’entreprenariat pour aider les femmes à acquérir des compétences pratiques.
« Dès le début de la crise au Burkina Faso, précisément dans la région du Centre-Nord à Kaya avec l’accroissement des personnes déplacées internes, l’association a initié des activités génératrices de revenus avec des femmes déplacées internes. La culture hors-sol est notre domaine. Ici les femmes font la transformation des graines de néré en Soumbala, des sacs biodégradables et la confection des serviettes réutilisables pour la gestion des menstrues.
Dans la région, les pluies sont rares. Comme les femmes PDI produisaient dans leur localité d’origine et ici il faut tout acheter, c’est dans ce cadre que j’ai initié cette méthode. Au moins, chaque femme arrive à produire pour sa consommation personnelle », clame-t-elle.
Elle ajoute que l’agriculture hors-sol se fait sans produit chimique. « Ce sont les graines de niébé utilisées pour la fabrication du Soumbala qui constituent la fumure. Pour pallier les caprices de la pluviométrie, c’est l’eau de l’ONEA que les femmes utilisent pour alimenter leurs cultures », insiste-t-elle.
Rasmata Ouédraogo précise que l’agriculture hors-sol se fait dans des outils sans contact direct avec le sol et permet aux familles à faibles revenus notamment les PDI d’y produire des légumes, de disposer en toute saison de condiments et de fruits frais et sains pour la consommation familiale à moindre coût.
En outre, la présidente de l’association, souligne qu’avec les revenus de cette culture, l’organisation arrive à prendre en charge les évènements sociaux des membres. « La dernière fois, une femme (ndlr : membre de l’association) a perdu son enfant. Quand l’enfant était malade on était obligé de l’aider. D’autres femmes n’avaient pas d’abris. On était obligé de les aider avec des tentes. Ce sont les retombées de la culture hors-sol que l’on a utilisées pour l’ensemble des réalisations », note Rasmata Ouédraogo.
Elle informe que l’association dispose d’un terrain qui est en attente d’une mise en valeur. Et cela permettra la construction d’un centre, d’un hangar et d’un forage pour une mise à l’échelle de l’agriculture hors-sol selon leur vision.
L’agriculture hors-sol offre ainsi une voie prometteuse pour renforcer la résilience des femmes déplacées, en améliorant leur sécurité alimentaire, en créant des opportunités économiques, et en soutenant leur bien-être psychologique et social. Elle constitue une piste, parmi tant d’autres, à l’atteinte de la souveraineté alimentaire…
Jules César KABORE
Burkina 24
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