Mariam Tiendrébéogo, la déplacée interne entrepreneure, reine du fer à Bobo-Dioulasso
Longtemps considérée comme un métier d’homme, la soudure connait peu à peu l’adhésion de la gent féminine. Si la plupart des femmes s’intéressent à la coiffure, la couture, etc., Mariam Tiendrébéogo brise les liens du conformisme et s’adonne à la soudure dans la deuxième ville du Burkina Faso, Bobo-Dioulasso. Ayant fui son village, dans la Boucle du Mouhoun, du fait de l’insécurité, pour trouver refuge dans la ville de Sya, elle garde la tête sur les épaules. Elle se lance dans la soudure malgré son âge (la quarantaine). Après une dizaine de mois de formation intense en soudure à l’Atelier Nature Forge (ANF), elle est désormais apte à voler de ses propres ailes. Si elle semble fière de son petit parcours, cela n’a pas été un long fleuve tranquille. Entre refus de sa famille de la voir embrasser une carrière dans la soudure, et les pesanteurs socioculturelles, Mariam Tiendrébéogo triomphe de ce labyrinthe. Son parcours est à la fois captivant, motivant et impressionnant. A la rencontre d’une femme déplacée interne entrepreneure !
Fondre le fer par-ci, le ramollir par-là, le taper pour qu’il ait la forme souhaitée… Nous sommes dans un bruit… de fer. Entendez par là, un atelier de soudure. Dans ce tintamarre assourdissant qui allie force physique et solidité, nous assistons au montage d’une machine agricole. Eh bien ! Nous sommes à l’Atelier nature forge (ANF) sis à Bobo-Dioulasso.
Une silhouette d’une apparence féminine nous intrigue. Chose rarissime dans les ateliers de soudure. Les cheveux soutenus à l’arrière à l’aide d’un foulard. Un teint marron clair avec les stigmates du travail par endroit sur la peau, elle a le regard fixé sur son objectif et reste imperturbable. C’est Mariam Tiendrébéogo.
La soudure, un rêve d’enfant
De loin, sa taille d’environ 1m80 impose le respect. Entre deux montages de machine, elle dit apprendre la soudure par passion. La quarantaine bien sonnée, cela est difficilement reconnaissable.
Peut-être grâce à son physique qui ne présage rien de son domaine d’activité. Mariam est mariée et mère de sept enfants. Nous en sommes abasourdis. Eh oui ! Des femmes exerçant dans les métiers dits longtemps réservés aux hommes, ça existe.
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Mais apprendre un nouveau métier après la quarantaine et assez physique, nous prêtons allégeance. Native de Bobo-Dioulasso, Dame Mariam poursuit qu’après avoir stoppé brusquement les études au primaire, elle s’est vu propulser au statut de femme au foyer quelques années plus tard.
« J’ai arrêté les études en classe de CM2 à Bobo, à la suite du décès de mon père. Faute de moyens, je me suis retrouvée au village. A proximité de notre maison d’habitation, il y avait un atelier de soudure et j’étais impressionnée par leur savoir-faire. C’est de là qu’est né mon amour pour la soudure. Deux ans plus tard, je suis revenue vivre à Bobo-Dioulasso et on m’a donnée en mariage. Après le mariage, je suis repartie au village vivre avec mon époux », informe-t-elle.
Notre brave dame raconte qu’aussitôt, l’amour de la soudure commence à germer en elle. Mais, il y a problème ! En effet, Mariam relate qu’elle est issue d’une famille musulmane. Il était donc inconcevable pour ses parents de la voir côtoyer un milieu à domination masculine.
Les péripéties…
Toutefois, elle prend son mal en patience, enfouit secrètement son rêve dans son cœur, avec l’espoir de le réaliser un jour. « Quand la famille a refusé que j’apprenne la soudure, j’ai vu mon rêve s’envoler. Mais la passion qui était en moi me consumait à telle enseigne que je me suis juré que tôt au tard je le ferais. Certes, le temps passait et j’en ai profité pour faire mes enfants », dit-elle, le regard dans le vide.
Cependant, pour s’occuper et digérer le véto infligé par sa famille, Mariam aide son mari cultivateur dans les travaux champêtres. Tout se passe bien dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où ils fuient leur village du fait de l’insécurité qui prenait de l’ampleur. Par la force des choses, elle se retrouve finalement à Bobo-Dioulasso avec le statut de personne déplacée interne.
Dès lors, les cartes sont redistribuées ! Retour à la case départ avec une autre réalité. Néanmoins, l’espoir renaît. « Quand on a fui le village pour Bobo, on s’est fait enregistrer à la mairie pour avoir le statut de personne déplacée interne. A l’époque, nous étions près de 300 femmes. Coup de bol pour moi, j’ai été retenue par un projet qui milite pour l’émancipation financière des femmes. Et c’est grâce à ce projet que j’ai pu réaliser mon rêve d’enfance à savoir suivre une formation en soudure », se souvient-elle toute souriante.
Quadruple résilience d’une déplacée interne…
Le proverbe « tout vient à point à qui sait attendre » colle bien à l’histoire de dame Tiendrébéogo. Elle peut être fière, sa patience a payé. Toute fière du fruit de son abnégation et de sa résilience, Mariam Tiendrébéogo peut commencer sa formation. De ce fait, elle troque ses tenues conventionnelles de femme contre une tenue de service composée de pantalon et de chemise.
Et le voile échangé aussi avec un petit foulard. Malgré ce changement, Mariam n’en démord pas. Elle informe qu’après avoir vaincu le refus de sa famille, elle voit un autre mur s’ériger contre son évolution professionnelle.
Surprise ! Cet obstacle n’est ni plus ni moins que de son mari. La douche froide, reconnait-elle. Dame Tiendrébéogo raconte qu’avec la nouvelle configuration, et les difficultés financières qu’ils rencontrent, elle ne s’attendait pas à son refus.
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Mais le bout du tunnel n’est pas loin. Il fallait résister et elle a résisté, au point de faire abandonner « l’adversaire« . « Je partais du principe que quand Mr et Mme mènent des activités, cela contribue au bien-être familial. Grande fut ma surprise quand il a refusé que je fasse la formation en soudure. Pour mon mari, la femme doit faire soit la couture, soit la coiffure, mais pas la soudure.
Son refus était très catégorique. Mais je lui ai tenu tête. Je me suis battue pour mon rêve. Pendant plus de deux mois, il ne m’adressait pas la parole. On était comme des étrangers à la maison. L’adversité était plus qu’une motivation. Face à ma détermination, il a abdiqué et j’ai poursuivi la formation avec sa bénédiction », raconte-t-elle fièrement.
La réalité du terrain
Dame Tiendrébéogo indique qu’à la suite de ce passage tumultueux, et avec désormais la bénédiction de son mari, elle entame une nouvelle vie. Une vie qui, selon elle, ne sera pas tout à fait rose. Dans un milieu à prédominance masculine. Mariam assure ne pas fléchir. A l’ANF, du nom de leur atelier, elle se retrouve être la seule femme. Entre le tract et le désir d’apprendre, elle relate s’être faite petite pour acquérir toutes les connaissances.
« La première fois que j’ai mis les pieds dans l’atelier, j’étais gênée. J’étais perdue, je ne faisais que tourner en rond ; je me suis posée la question à savoir comment j’allais y arriver. Et être la seule femme ne me rassurait pas non plus.
Quelques jours après, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de différence entre nous. J’étais tout aussi capable de faire le même travail que les hommes. Je posais des questions pour élucider les zones d’ombre. Mon sens de curiosité avait atteint son paroxysme. Et tout c’est bien passé jusqu’à aujourd’hui », se remémore-t-elle.
En vérité, je sais fabriquer … même un motoculteur
Des hauts et des bas, Mariam dit en avoir connus. Après des mois de formation, les voyants sont désormais au vert. Mariam affirme qu’elle est capable de confectionner une panoplie d’objets en lien avec la soudure.
« En vérité, je sais fabriquer une porte, des fenêtres, des tables bancs, des brouettes, des fourneaux et même un motoculteur. Moi, je suis très contente parce que depuis ma venue ici, je ne fais qu’apprendre. Vraiment je ne sais pas comment l’expliquer. J’ai le sentiment de vivre utile », dit-elle avec une joie contagieuse.
En outre, la jeune soudeuse notifie que malgré les péripéties qu’elle a connues, elle n’a jamais cessé de croire en ses capacités de réaliser son rêve, et ce, en dépit de son âge. D’ailleurs, elle ne manque pas d’encourager ses sœurs à se battre pour leur bien-être financier. Toujours avec le sourire aux lèvres, elle invite les femmes à retrousser leur manche pour explorer tout leur potentiel afin d’être financièrement indépendantes.
La femme ne doit pas rester peinarde sans rien faire
« La femme ne doit pas rester peinarde sans rien faire, soit disant qu’il n’y a pas de travail. Il faut que nous, femmes, prenions conscience que nous sommes le socle de la famille. Par conséquent, on doit donner l’exemple. Nous, femmes, devons acquérir notre indépendance financière de façon digne pour tracer le chemin à nos enfants. Il n’y a pas de sot métier. Si tu cherches, tu vas forcément trouver.
Par exemple, le métier que j’ai choisi, il y aura forcément des gens qui diront que ce n’est pas un travail de femme. Mais moi je m’y plais bien, c’est ça le plus important. Il n’y a pas de travail dit pour homme ou femme. J’avais un rêve. J’étais comme un oiseau dans un coquillage. Le projet m’a aidée à déployer mes ailes. Je suis convaincue que je vais y arriver par la force de mon travail », clame-t-elle.
Le projet, élément déclencheur de la formation de dame Mariam est de l’ONG Empow’her à travers le projet Bloom. Bamitin Soulama, chargé de formation dudit projet, nous apprend que l’équipe projet a accueilli très positivement le choix de Mariam de se lancer dans la construction métallique.
Selon ses explications, il s’agit d’une première pour une bénéficiaire du projet de choisir la soudure, un métier traditionnellement perçu comme masculin. De ce fait, pour soutenir pleinement son choix, tout a été mis en œuvre afin de faciliter et d’optimiser sa formation dans ce domaine.
Nous avons été inspirés par sa passion
« Ce qui nous a motivés à accompagner Mariam dans son souhait de faire de la soudure, c’est d’abord son engagement et sa détermination à entrer dans un domaine souvent perçu comme difficile d’accès, surtout pour les femmes. Nous avons été inspirés par sa passion et son désir de surmonter les défis pour acquérir une compétence technique valorisante.
Aussi, accompagner Mariam à entrer dans le domaine de la soudure pourrait être une manière de soutenir l’égalité des genres et d’encourager l’autonomisation des femmes. Elle deviendra un modèle et une source d’inspiration pour les autres femmes qui hésitent toujours à se lancer dans les métiers que la société attribue aux hommes », explique-t-il.
Au moment de notre entretien avec dame Mariam, elle finissait son stage à l’Atelier Nature Forge (ANF). Le cœur rempli d’espoir, avec le soutien de son mari et ses enfants, elle garantit être confiante de l’avenir.
D’ailleurs, son abnégation et sa motivation lui ont permis de bénéficier d’un financement pour ouvrir son propre atelier de soudure. Eh oui ! L’occasion lui est donnée de transformer ses compétences en un projet durable et impactant.
…Nous avons vu en elle un potentiel énorme
« Nous avons décidé d’accompagner Mariam dans la création de sa propre entreprise, parce que nous avons vu en elle un potentiel énorme. Mais aussi elle a montré une grande passion et une détermination constante tout au long de sa formation, et il était clair qu’elle avait non seulement les compétences techniques, mais aussi la vision nécessaire pour diriger une entreprise.
En l’aidant à lancer son entreprise, Nous souhaitons non seulement lui donner les moyens de réussir, mais aussi contribuer à la création d’opportunités pour d’autres femmes dans la communauté », indique Bamitin Soulama.
Tel un oiseau, Mariam Tiendrébéogo est donc prête à s’envoler avec la bénédiction de son désormais ex patron et de son ex maître de stage. Entre encensements et encouragements, ces derniers ne tarissent pas d’éloges envers celle qu’elle qualifie de combattante dans l’âme.
Aboutissement d’un rêve parsemé d’embuches…
A en croire le patron du centre de formation, Odou Sangaré, des rares apprenties de la gent féminine qu’il a reçues dans son centre, aucune n’avait le courage et la hargne de Mariam Tiendrébéogo. Même appréciation pour son maître de stage, Karim Koumaré.
« Elle était très curieuse, ne restait pas en retrait quand il s’agissait de travailler. Également, elle était assidue, avait le courage et cela nous motivait à vraiment lui apprendre les tenants et les aboutissants de la soudure. Je lui souhaite vraiment bon vent et vivement que son apprentissage lui soit un tremplin », émet-t-il comme souhait.
Ainsi, une larve, devenue chenille puis papillon, est prête à voler de ses propres ailes dans le quartier… de Bobo-Dioulasso. Mariam Tiendrébéogo, la déplacée interne d’une localité de la Boucle du Mouhoun, est en train d’ouvrir son atelier de soudure à Bobo-Dioulasso.
Bon vent, championne !
Aminata Catherine SANOU
Burkina 24
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En réalité Sj elle à 40 ans c’est une des élèves « lire au Burkina » les tous premiers je dirais entre la 4em et la 5em promotion. Cela pour dire que le CEPE des années 90-95 est du même niveau que le baccalauréat actuel dans un sens pratique comme les travaux manuels et autres travaux techniques.