Une journée avec un ministre d’Etat
Il préfère ne « rien à dire » mais seulement « bien faire et laisser dire ». « Ne pas croire les gens sur parole » mais « aller faire le check sur place ». Ne surtout pas s’asseoir derrière son bureau et attendre parce que « la confiance n’exclut pas le contrôle ». Et s’il est sur le terrain tous les jours, c’est pour dit-il s’assurer que « les consignes données sont exécutées ». Si vous n’avez pas encore deviné, lui c’est Simon Compaoré, ministre d’Etat, ministre de l’administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure du Burkina Faso. A quoi peut ressembler la journée d’un ministre ? Surtout celle de celui qui semble être le plus actif du gouvernement Paul Kaba Thiéba. Une question qui a poussé la rédaction à demander à passer une journée avec Simon Compaoré. La demande agréée, le reporter de Burkina24 l’a suivi de 5h à 20h ce 25 octobre 2016, à l’orée de la commémoration de l’An II de l’insurrection populaire, pour vérifier les dires de certains de ses collaborateurs. Par exemple, qu’il se lève « plus tôt que tous pour se coucher tard ». Qu’il est « souvent calé à 3h quand la situation nationale est bizarre » et que ses agents n’ont de journée relaxe que les mercredis, jours de conseil des ministres. Constat.
25 octobre. 5h00. Domicile du ministre d’Etat à Gounghin.
Le ministre Simon Compaoré ouvre la porte de sa maison principale, sort et referme. Il est habillé d’une chemise, d’un pantalon et de souliers. Il les gardera toute la journée.
Un élément de sa garde rapprochée accourt. Il récupère son sac à main et des dossiers. Ils échangent un « bonjour ». Le ministre se dirige dans une autre maison située aux abords d’une piscine. Il prend d’autres affaires et c’est le départ pour le bureau. Pas de petit-déjeuner ? « Tous les jours, c’est la nuit que je mange », répondra-t-il plus tard.
5h05
Il n’y a pas assez d’usagers sur la route. L’allure des deux véhicules, celui du ministre et celui de l’unité d’intervention, est vive.
Au tournant du Rond-point des Cinéastes, les policiers municipaux positionnés, reconnaissent Simon Compaoré. Ils se mettent au garde-à-vous. Ce sera le cas pour tous les policiers déployés un peu partout dans la ville.
5h10
Le ministre arrive au cabinet, situé Avenue de l’Indépendance. Il est quasiment désert. Le bureau du ministre est au quatrième étage. Avant d’y arriver, il passe par la première salle d’attente, déserte aussi. Ce n’est pas le cas du secrétariat où il fait escale. Une femme et un jeune homme passent des coups de serpillère et d’aspirateur. « Bonjour Naaba », salut la femme.
Le ministre s’assoit sur une chaise en face d’une table et commence à lire et parapher des documents. Sa journée de travail vient de commencer.
5h30
Les premiers visiteurs commencent à arriver. « Il y a des jours ici, c’est bourré », affirme un agent du protocole en secouant la tête de bas en haut.
En attendant, les agents décident de casser la croute. Du pain empli de brochettes de viande. « Mon frère, faut manger ça. Tu as toute la journée hein ! », prévient un élément de la sécurité qui tend la moitié de son pain au reporter de Burkina24.
6h00
Le ministre rentre dans la salle d’audience. Une radio est posée sur la principale table de la pièce. L’info en langue locale passe. Cela parle de CODER, de CFDC et de MPP. Les visiteurs commencent à entrer. Les premiers sont deux officiers des forces armées nationales.
6h30
Simon Compaoré rejoint son bureau. Une vaste pièce. Il est prévu qu’il se rende à Absouya pour assister à la cérémonie de lancement du programme présidentiel d’aménagement de 5 000 km de pistes rurales dans les 13 régions du pays. Clément Ouongo, le directeur de cabinet, arrive et s’engouffre dans le bureau. Après quelques moments d’entretien, il ressort. Le ministre n’ira plus à Absouya. « Il n’y a plus de points, ni de pointillés. C’est devenu vide », s’est-il contenté de dire.
6h40
Retour dans la salle d’audience. « S’il vous plaît ! », s’exclame le ministre. Un rendez-vous non programmé s’est invité dans le calendrier de la journée. Il était censé se dérouler la veille, mais le protocole n’a pas été informé auparavant. L’un de ceux qui devraient être reçus arrive avec quelques minutes de retard. Ce qui réussit à faire mettre hors de lui le ministre d’Etat. « Vous m’énervez ! Vous savez comment on travaille », dit-il à l’un d’eux dont le service est rattaché directement au ministère.
7h15
Le ministre quitte son cabinet pour le site de l’ancienne assemblée nationale pour y rencontrer le comité d’organisation de la cérémonie d’hommage aux martyrs tombés lors de l’insurrection populaire. C’est « pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’incident », dit-il lors des échanges avec les membres dudit comité.
Mais à peine a-t-il traversé le bitume pour s’y rendre, qu’il remarque une femme pleurant à un feu tricolore. Elle discute avec des éléments de la police. A-t-elle commis une infraction ? Le ministre lui fait signe. Elle approche de la portière. Il descend sa vitre et échange quelques mots avec elle avant de lui donner un billet de mille francs. Pour prendre le taxi ?
7h20
Sur le site de l’ancienne assemblée, les discussions durent pendant plus d’une demi-heure. Tous les membres des sous-commissions sont invités à prendre la parole, pour exposer leurs préoccupations, ou pour suggérer une modification. Le tout sous les « est-ce qu’on est tous d’accord » du ministre de la sécurité qui veut s’assurer que « tout se passe bien ». « En allant sur place, cela permet de résoudre bien de problèmes et de faire les réglages nécessaires », expliquera-t-il plus tard dans la soirée.
8h45
Après le site de l’ancienne assemblée, direction le monument des martyrs à Ouaga2000. Là aussi les imperfections irritent le ministre, par ailleurs président du comité d’organisation de la cérémonie d’hommage aux martyrs de l’insurrection et du putsch manqué.
Des réponses du genre, « on lui a dit » ne satisfont pas Simon Compaoré qui prévient qu’il repassera « pour voir ça ». Le président du comité demande à chacun de « jouer sa partition et à temps ». « La sécurité, qui sont ceux qui s’occupent de ça ? », demande-t-il. « Les gens vont venir. Il faut qu’ils se sentent en sécurité », dit-il aux responsables de la sous-commission sécurité.
Le passage du cortège présidentiel met un terme aux échanges
Le gyrophare de la Garde de sécurité présidentielle (GSPR) réussit à interrompre les discussions autour de ce qui doit être revu parce que « tout peut se passer ». Le Président du Faso, qui devait se rendre dans la région du Plateau central à la cérémonie de lancement de son programme d’aménagement de routes rurales, est en train d’y aller. Le ministre dégaine son téléphone, se met à l’écart et lance un appel. Au bout de deux minutes, il raccroche et les échanges reprennent.
« Le gars voit son gombo »
La présence des chaines autour du monument sur lequel sont inscrits les noms des 43 martyrs est mal perçue. Or instruction avait été donnée par les autorités militaires à l’agence de contrôle de veiller à ce qu’elles soient enlevées.
Le représentant de ladite agence de contrôle tient à justifier leur présence vu qu’elles sont incluses dans le contrat de départ. « Est-ce que vous pouvez vous calmer », lui demande calmement le ministre avant d’ajouter « on ne vous en veut pas ». Les militaires ayant expliqué que « la symbolique des chaînes, c’est pour des gens qui se sont suicidés », le ministre a insisté pour qu’elles soient enlevées parce qu’« il s’agit d’une cérémonie officielle » et qu’« on ne veut pas qu’un certain dispositif entache cette cérémonie ». D’où son appel à « faire confiance » au colonel Sibiri Coulibaly et à ses hommes.
Devant l’insistance du représentant de l’agence, le ministre a commencé à élever le ton. « Ecoutez monsieur ! C’est des voix autorisées qui vous disent que ce n’est pas bon. Où est votre problème ? Votre responsabilité est dégagée ».
Deux membres du comité d’organisation engagent une causette un peu à l’écart. « Le gars voit son gombo (son argent, ndlr)», dit l’un deux. Et l’autre de répliquer : « si tu viens présenter et puis on dit que y a pas ça là, tu fais comment ? Il n’y a aucun papier qui justifie. Ce jour-là, eux ils ne vont pas être là ».
9h30
Le ministre se rend au cimetière municipal de Gounghin où se trouvent déjà « les femmes de Simon ». Cette appellation est donnée à ces femmes qui veillent à la propreté des rues de la capitale depuis les années où le ministre présidait le conseil municipal de la capitale. Il y explique en langue mooré le bien-fondé de l’opération de nettoyage.
10h05
Le ministre quitte le cimetière pour son domicile. Il y arrive à 10h10. 15 minutes plus tard, il repart au cabinet.
11h25
Le directeur général de la police Lazare Tarpaga entre dans la salle d’attente. Cinq minutes plus tard, il est reçu par le ministre de la sécurité.
Il est ressorti une demi-heure après. Ensuite, c’est au tour du Chef d’état-major adjoint de la gendarmerie nationale, le colonel Serge Alain Ouédraogo.
12h29
L’heure du déjeuner. Le directeur de cabinet Clément Ouongo avance et dit au reporter de Burkina24, sourire aux lèvres : « S’il ne mange pas, vous aussi, vous n’allez pas manger ». Le ministre ne mangera pas en effet. Après avoir reçu les responsables de la gendarmerie et de la police nationale, il enchaîne avec une rencontre avec ses collaborateurs pour traiter les dossiers qui seront soumis en conseil des ministres le lendemain mercredi.
14h30
Le ministre quitte la salle de réunion suivi des membres de son équipe. Pendant que certains vont au réfectoire, lui rentre dans l’ascenseur. Direction l’hôpital national Blaise Compaoré pour la levée du corps (à 15h) de Hervé Attiron, Président du tribunal de grande instance de Ouagadougou. Il suit le convoi jusqu’au domicile familial (16h35) à Dapoya avant de repartir pour le bureau (16h50).
A peine 5 minutes après son arrivée, le ministre est ressorti pour se rendre à la direction générale de la police pour, comme il le dira plus tard dans la soirée, « s’assurer que les consignes qui sont données, sont exécutées ».
Compte rendu au chef de l’Etat
17h30
Après avoir rencontré le personnel de la police nationale, le cap est mis sur le palais présidentiel de Kossyam. « Je me devais de faire le point sur tout », révèlera plus tard, Simon Compaoré.
18h30
Un cortège quitte la présidence. C’est celui du Premier ministre. Simon Compaoré ressortira plus tard à 19h et repartira encore au bureau. Les rendez-vous ne sont pas finis. A peine est-il entré dans son cabinet, qu’il est rejoint par son collègue Dieudonné Bonanet de l’habitat et de l’urbanisme à 19h30.
Simon Compaoré, le « one man show »?
19h56
Après le départ de son collègue de l’habitat, alors qu’il empile ses dossiers pour, dit-il, « encore aller retravailler avant de dormir », il accepte enfin accorder un petit bout de son temps au reporter de Burkina24. Mais pas totalement de bon gré : « Il est train de me voler mon temps ! Or moi je dois rentrer manger, dormir et revenir demain matin très tôt parce qu’il y a le conseil des ministres », dit-il lorsque son protocole a franchi l’entrée du bureau avec le journaliste.
Mais n’est-ce pas justement parce que ce dernier est là que la journée a été menée au pas de course ? Voici la réponse de l’intéressé : « je voulais vous rassurer d’une chose. Ce n’est pas parce que vous êtes là, que je suis surbooké. C’est comme cela. Je ne fais pas ça pour que vous sachiez que je suis surbooké. La situation m’oblige. Vous constatez, il n’y a pas que moi. Il y a tout mon personnel. Là, ils sont toujours là ».
Du reste, se considérant comme n’étant « qu’un ministre », Simon Compaoré dit ne pas comprendre l’intérêt accordé à une journée de sa vie professionnelle. « On est nombreux à être ministres », ajoutera-t-il.
« Bien faire et laisser dire »
A ceux « qui parlent, qui machinent, qui estiment qu’il y a des gens qui dorment », « qui n’ont aucune responsabilité, sinon de parler », le ministre de la sécurité a déclaré n’avoir rien à leur dire mais « bien faire et laisser dire ».
Avant de remballer ses dossiers pour la maison, l’homme à la soixantaine sonnée conclut qu’il ne va pas se laisser voler son temps pour rien. « Je veux suffisamment poser d’actes pour que l’histoire prenne date. C’est tout. S’il y a des actes, ce sont les gens mêmes qui seront tes défenseurs ».
20h00
Le ministre d’Etat quitte son cabinet. Il fait éteindre les lumières. Dans le couloir qui mène à l’ascenseur, il appuie sur l’interrupteur d’une ampoule par ci ou d’un brasseur par là. C’est la fin de la journée d’un ministre d’Etat. Même s’il emporte des documents sous son bras, vers son domicile.
Oui KOETA
Burkina24
Simon Compaoré : « Bien faire et laisser dire »
A la fin de la journée, le ministre d’Etat a eu un peu de temps pour le reporter de Burkina24. Quelques questions pour comprendre quelques articulations de la journée.
Burkina24 (B24) : Nous avons constaté que vous n’avez pas mangé de toute la journée.
Simon Compaoré (S.M) : Ce n’est pas exceptionnel. Tous les jours, c’est comme cela. Tous les jours, c’est la nuit que je mange. (S’adressant à son protocole, NDLR). Il est train de me voler mon temps. Or moi je dois rentrer manger, dormir et revenir demain matin très tôt parce qu’il y a le conseil des ministres. Je dois regarder mes dossiers.
B24 : Vous êtes allés sur les différents sites liés à la commémoration de l’insurrection. Vous voulez vous assurer que tout est bien organisé ?
S.M : J’ai la responsabilité de suivre tout cela et moi je ne fais pas de demi-mesure. Quand on me confie une tâche, je vais exécuter avec célérité et faire en sorte que tout se passe bien. Il ne faut pas croire les gens sur parole.
Il faut aller faire le check sur place. En allant sur place, cela permet de résoudre bien de problèmes et de faire les réglages nécessaires. On ne s’assoit pas derrière son bureau et puis on note seulement que ça va alors que ça ne va pas. La confiance n’exclut pas le contrôle.
B24 : Pour vous qui avez vécu le putsch, cela vous a fait quoi de vous retrouver au monument des martyrs ce matin ?
S.M : Ce n’est pas seulement aujourd’hui. Chaque fois que je passe dans un endroit où je me rappelle l’insurrection populaire, j’ai la chair de poule. Je me dis que Dieu nous assiste. On a eu la veine, sinon on allait être parmi ces martyrs.
Nous respectons aujourd’hui ce qui a été fait pour qu’aujourd’hui nous puissions dire qu’on veut voir l’avenir avec sérénité.
B24 : Vous avez fait beaucoup d’aller-retour. Vous avez fait beaucoup de rencontres. Est-ce les raisons sécuritaires du pays qui vous emmènent à faire le tour des services impliqués dans la question sécuritaire ?
S.M : Bien sûr. Si on est responsable de la question sécuritaire, je dois m’assurer que les consignes qui sont données sont exécutées, que cela se passe comme nous souhaitons.
B24 : Après une journée bien chargée, vous êtes repartis à Kossyam. Etait-ce pour rendre compte au Président du Faso… ?
S.M : Ça vous n’avez rien à voir. Je ne dis rien. (C’est) pour travailler. Je n’ai rien à vous dire. C’est le travail qui se poursuit. Il y a le Président du tribunal qui est mort. On a été à la levée du corps. Je me devais de faire le point de tout cela. Tous ceux que vous entendez, qui parlent, qui machinent, qui estiment qu’il y a des gens qui dorment, vous êtes maintenant fixés pour savoir qui dort, qui ne dort pas.
Je suis en train d’emmener les dossiers du conseil à la maison. Tout ce que vous avez vu dans la journée, je vais encore aller retravailler avant de dormir.
B24 : Justement, à ceux qui ne savent pas ce que vous faites au quotidien, qu’avez-vous à leur dire ?
S.M : Moi je n’ai rien à dire. Bien faire et laisser dire. Dans tous les cas, s’il y a des résultats, on sera bien obligé même si on ne nous aime pas de constater qu’au finish il y a quelque chose qu’on peut constater.
S’il y a des résultats, même si on n’est pas content, on sera obligé de dire ben oui, « on ne les aime pas, mais il y a des résultats ». C’est vrai qu’on ne peut pas ne pas parler, mais il faut surtout travailler. Il y a des gens qui n’ont aucune responsabilité, sinon de parler.
Moi je ne vais pas laisser voler mon temps pour rien. Je veux suffisamment poser d’actes pour que l’histoire prenne date. C’est tout. S’il y a des actes, ce sont les gens mêmes qui seront tes défenseurs.
B24 : Vous avez pour habitude de revenir sur “where there is a will, there is a win”…
S.M : Non. “Where there is a will, there is a way”. Là où il y a la volonté, il y a du chemin. En d’autres termes, vouloir c’est pouvoir.
B24 : Qu’est-ce que cela vous fait qu’on s’intéresse à votre journée de travail ?
S.M : Je trouve ça curieux. Chercher à s’intéresser au programme de ma journée. Je ne suis pas grand-chose. Je ne sais pas justement. C’est à moi de poser la question pourquoi on cherche à savoir mon emploi de temps, qu’est-ce que je fais dans la journée. Je voulais simplement vous dire merci. Vous êtes sans doute fatigué comme moi, puisque vous avez fait des va et vient avec moi.
En attendant que vous me disiez ce qui vous a amené à vous intéresser à mon emploi du temps, je voulais simplement vous dire un grand merci pour cette marque de considération pour quelqu’un qui n’est que ministre. On est nombreux à être ministres.
Ce n’est pas extraordinaire. Je voulais vous rassurer d’une chose. Ce n’est pas parce que vous êtes là, que je suis surbooké. C’est comme cela. Je ne fais pas ça pour que vous sachiez que je suis surbooké. La situation m’oblige. Vous constatez, il n’y a pas que moi. Il y a tout mon personnel. Là, ils sont toujours là.
Oui Koueta
Burkina24
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