Zakaria Guingané sur la mort de Norbert Zongo : « Des gens vont payer, tôt ou tard »
Il est enseignant. Aujourd’hui, il a le statut d’élève-conseiller à l’Ecole normale supérieure de Koudougou (ENSK). Il milite dans plusieurs organisations syndicales et de la société civile comme la F-SYNTER, la CGT-B et l’ODJ (Organisation démocratique de la jeunesse du Burkina) où il occupe le poste de secrétaire adjoint à l’information et à la presse et rédacteur en chef par intérim d’un journal associatif. Sa plume prépare son premier roman « Débâcle et espoir d’une république ». Mais Zakaria Guingané a surtout été délégué général du lycée départemental de Garango, en 99-2000, à l’époque où la lutte pour la justice pour le journaliste Norbert Zongo faisait rage. Celui qu’on appelait « Guing Zak », élève alors en classe de Terminale, revient sur cette période de sa vie. Il donne aussi, dans cette interview, sa lecture de l’évolution du dossier judiciaire du journaliste. 18 ans après, l’élève devenu enseignant n’a pas perdu sa verve et ne fait toujours pas dans la langue de bois.
Burkina24 (B24) : Comment avez-vous appris le décès de Norbert Zongo ?
Guingané Zakaria (G.Z) : En 1998, j’étais dans le bureau du comité des élèves du lycée départemental de Garango en tant que responsable à l’information. C’est en 99-2000 que j’ai été délégué général du bureau des élèves.
L’information de l’assassinat de Norbert Zongo nous est parvenue par le biais de notre professeur d’histoire-géo, monsieur Dembélé. Il était en classe avec nous. Il était mal à l’aise. Le cours a été suspendu. Nous connaissions l’homme pour sa prise de position à travers les exemplaires de son journal « L’indépendant » qui parvenaient au lycée et que nous lisions.
B24 : Vous étiez en quelle classe à l’époque ?
G.Z : En 1ere A4.
B24 : Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ?
G.Z : En 1998, nous étions déjà dans la lutte, à travers le Conseil pour le règlement des dossiers pendants de droits humaines, créé par la CGT-B, le MBDHP, l’UGEB, l’AESO et beaucoup d’autres organisations et certains partis politiques, au lendemain de l’assassinat de nos camarades, les deux élèves de Garango. C’est l’ancêtre du Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques (CODMPP).
De ce fait, on était déjà préparé dans la lutte et on a rejoint nos professeurs qui étaient en majorité syndiqués. Il y a Dr Vincent Ouattara qui a écrit « L’ère Compaoré ». Il m’a cité parce que j’ai été interviewé par L’Observateur Paalga à l’époque. Il disait que le lycée de Garango avait 98% des militants de la F-SYNTER ! Nous avons effectivement appris la lutte avec nos enseignants.
C’est avec eux et les autres forces du mouvement démocratique et révolutionnaire que nous avons constitué le relai. Au lendemain de la forfaiture du 13 décembre 1998, il y a eu la création du CODMPP. Il y a eu des antennes régionales, provinciales, communales et bien évidemment, il y avait un embryon à Garango. Nous y étions actifs avec les autres membres du peuple qui s’y battaient.
B24 : Quand est-ce que la lutte a atteint sa vitesse croisière ?
G.Z : On savait déjà que c’était un assassinat. Dès que les choses se sont avérées, on a commencé à se battre. En 99-2000, les choses se sont empirées. On ne savait pas qu’on allait passer tant de temps sans avoir une élucidation sur le dossier.
En plus de cette lutte pour avoir justice et vérité, il y avait aussi des problèmes traditionnels auxquels les élèves étaient confrontés pour lesquels nous devions nous battre. Cela a entraîné une ébullition socio-politique nationale, pas seulement à Garango, qui a poussé le pouvoir, bien qu’ayant mis en place une commission d’enquête dirigée par le juge Wenceslas Ilboudo qui n’inspirait pas confiance, à mettre en place la commission d’enquête indépendante dirigée par Kassoum Kambou qui est aujourd’hui à la tête de la Cour Constitutionnelle.
B24 : Pourquoi avez-vous décidé de devenir délégué général du lycée ?
G.Z : Je dirais que c’est dû à un concours de circonstances. Peut-être que les camarades ont vu, pas le talent, certains intérêts, notamment la défense des causes. Il y a eu une forte compétition. On était trois. Certains venaient avec des vestes, d’autres des cravates. Moi je venais avec mon simple habit. Je ne partais pas prendre un pouvoir pour moi-même, mais pour défendre la cause des faibles. Et c’est ce que j’ai fait.
Dans les débats, ils n’ont pas pu passer. On m’a élu. J’ai dirigé les élèves. Les résultats peuvent être appréciés. Je ne pourrai pas le faire moi-même de peur d’être un fanfaron.
B24 : Vous n’avez pas reçu de menaces ou des pressions pour votre engagement ?
G.Z : Je me rappelle, juste après la mort de Norbert, j’ai passé mes congés ici à Ouagadougou. Lisant les journaux, j’ai vu qu’il y avait beaucoup d’hommages. A l’époque, les technologies n’étaient pas beaucoup développées. Je n’ai donc pas pu informer mon délégué général.
J’ai écrit un article dans lequel j’ai demandé, au nom des élèves, qu’on rebaptise le lycée départemental de Garango, « lycée Norbert Zongo ». Cela a fait couler beaucoup d’encre. Dès que j’ai mis pied à Garango, le député m’a appelé au téléphone disant que le ministre veut me voir, infirmer à la télé qu’on ne doit pas donner le nom Norbert Zongo à ce lycée parce qu’étant public.
Nous pensons que ceux qui ont volé, ont tué les fils et les filles de ce pays, ceux qui continuent de voler, payeront tôt ou tard.
Ma famille avait reçu effectivement des menaces. Je me rappelle que mon oncle, mon père étant décédé en 1991, m’a dit d’aller au Ghana. J’ai répondu que je n’irai pas. Si c’est à cause du fait que j’ai demandé qu’on rebaptise le lycée en lycée Norbert Zongo, je serai alors le cinquième à être tué après Norbert Zongo.
J’ai été aussi le président de l’Association des scolaires de Garango, à l’image des associations scolaires au niveau national. On avait eu une grève qui n’a pas plu à nos parents. Ils ont tenu une assemblée générale à laquelle nous n’avons pas été invités. Vous ne pouvez pas parler de notre situation sans nous. C’est un peu aberrant. Au finish, ils nous ont acceptés. Dès que j’ai pris la parole, des parents se sont levés pour me frapper. L’AG a pris fin.
Ce sont donc ces types de pression, sur mon oncle, sur ma maman. Mais elle m’a toujours soutenu jusqu’à présent.
B24 : Mais vous avez eu le courage de continuer ?
G.Z : Oui. Juste après le baccalauréat, quand je suis arrivé à l’Université, les camarades ont décidé que je puisse faire partie du bureau exécutif national de l’ANEB. J’ai été le vice-président à la culture, de 2001 à 2003 et de 2003-2005, j’étais responsable à la presse de l’UGEB. Je me dis que si ce que nous avions fait au lycée était mauvais, peut-être que nos camarades de l’Université n’auraient pas mis à l’idée que je puisse faire partie de ce bureau. Je pense que j’ai donné le peu que je pouvais donner et je donne toujours au sein d’autres organisations.
B24 : Beaucoup s’interrogeaient, à l’époque, sur l’avenir professionnel de « Guing Zak », votre surnom.
G.Z : Beaucoup étaient surpris d’apprendre que j’ai eu le concours après l’Université. Je m’étais inscrit au département d’anglais. Certains pensaient que j’allais continuer au niveau du journalisme. Je suis allé pour déposer mon dossier en arts et communication, mais le délai était déjà échu.
C’est surtout dans ma famille que les gens s’inquiétaient. Mais lorsque je regardais autour de moi, ces genres de propos ne m’inquiétaient pas. J’étais avec des camarades qui avaient pris cette voie, sinon plus engagés que moi, mais qui travaillent.
Les gens pensent que ceux qui s’engagent sont des nullards. Mais tu te dis que si tu ne te bats pas, tu donneras raison à ceux qui pensent que le militantisme est une voie périlleuse.
Mais en 2007, c’était un démenti, j’ai été admis au concours de l’enseignement secondaire. Je suis allé faire ma formation. Là aussi on m’a responsabilisé délégué général des stagiaires. (…) Au niveau donc de l’école, il était dit qu’on ne grève pas et qu’on ne manifeste pas. Mais nous avions démontré que là où il y a oppression, vol, impunité, injustice, il y a lutte forcément. Que les gens veuillent ou pas, c’est naturel. On n’a jamais choisi de lutter.
Lorsqu’on lutte, on perd des choses. On le voit. Mais cela ne nous empêche pas d’aller. Il y a une cause commune, une communauté de destin qui nous oblige à y aller. C’est dans ce sens que nous avons pris l’engagement de lutter.
B24 : Qu’est-ce que vous connaissiez de Norbert Zongo en 1998 ?
G.Z : En 1998, on n’avait pas beaucoup de connaissances de Norbert Zongo, sauf son journal « L’Indépendant ». C’est 1993 que le journal a été créé. En 1995 déjà il s’occupait de nos camarades, Sidani Blaise et Zigani Emile (tués à Garango en 1995, NDLR). Sidani était en 4e, je le connaissais très-bien. Zigani Emile était en 6e cours du soir.
Voilà quelqu’un qui était loin de Garango, et qui s’intéressait tant à ce dossier. Que cette personne, qui parle de nos camarades et demande qu’il y ait justice, vienne à être éliminée, même en étant dans un état démentiel, on peut se poser mille et une questions. C’est à l’issue de ces interrogations qu’on s’est dit qu’il faut qu’on se batte.
Norbert Zongo nous a aussi inspiré. Nous avions par notre modeste personne créé un journal à 13 jours de l’assassinat de Norbert Zongo : Le « Taa’dri ». En bissa, cela veut dire « indépendant ». Nous avions tenté d’expliquer parce qu’il y avait deux expressions « taadri », qui veut dire libertinage et « taa’dri », l’indépendance. Mais comme il y avait des problèmes de compréhension, nous avions changé le nom et c’était désormais « Le Scolaire ».
Le premier numéro est sorti le 30 novembre et c’était sous l’inspiration du journalisme d’instigation. On a eu effectivement pas mal de tracasseries. Je me rappelle que chaque fois j’étais à la gendarmerie ou à la police pour répondre. Mais cela ne nous empêchait pas d’aller de l’avant, parce que justement Norbert Zongo nous donnait ce tonus.
C’est ainsi que nous l’avons connu et c’est de cette manière que nous nous sommes dits que, même si nous n’avons rien à donner à sa famille, c’est de nous battre pour l’élucidation de cette autodafé pour que cette forfaiture ne se reproduise plus au Burkina.
La lutte n’a certes pas encore totalement payé, mais nous sommes confiants et fiers aussi des acquis que nous avons engrangés au niveau national. La liberté de presse au Burkina est à un bon niveau aujourd’hui. Les gens croient que cette liberté a été enlevée de la poche de Blaise Compaoré ou de son régime pour être donnée à la presse. Non. C’est le sang qui a coulé et la sueur de ceux qui se battent qui a entraîné cela.
B24 : Le lycée de Garango a payé le prix de cette lutte. Il y a eu une année blanche. Aujourd’hui, quel regard jetez-vous sur cela ?
G.Z : Le lycée de Garango a payé tout comme tous les lycées au niveau national et tous les combattants de la liberté et tout le peuple. Tout le monde a payé pour cette lutte. Pour ce qui est spécifiquement du lycée de Garango, nos luttes de 99-2000 nous ont amenés à une année blanche, décrétée par le pouvoir en place.
Non seulement on n’avait pas assez d’enseignants, mais il y avait eu beaucoup de mouvements au niveau national. Nous ne regrettons pas cela. Et j’ai dit à certains camarades qui n’ont pas pu passer leurs examens, si c’est à recommencer, Zakaria Guingané sera le premier à le faire.
Pas de professeurs, beaucoup de mouvements, au finish, les programmes n’ont pas été achevés. Et ce n’est pas la décision des élèves du lycée départemental de Garango de boycotter ou du moins de ne pas aller à aller à l’examen. C’était une décision prise avec toute la lucidité par nos mouvements au niveau national : l’UGEB, le SYNTER. Nous avons convenu que c’était une bonne attitude de ne pas aller, parce que si on partait, cela allait être une hécatombe scolaire.
Ce n’était pas un refus. La SYNTER, la F-SYNTER aujourd’hui, avait demandé à ce qu’on prolonge l’année de deux mois. Les professeurs étaient prêts à faire les cours gratuitement. Toutes les propositions ont été faites au pouvoir qui a balayé cela du revers de la main.
Au niveau national, environ 4 800 élèves n’ont pas pu composer. Ce n’était pas le lycée de Garango seul. Mais c’est Garango qui a été le premier. La presse en a fait échos. J’ai été interviewé le 1er août 2000 par L’Observateur Paalga et le titre était vraiment insultant : « Garango, l’épicentre de la désobéissance scolaire ».
Mais en fait, on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs. Les luttes que nous menons actuellement sont nobles. Nous sommes conscients qu’il y a des désagréments. Les camarades du SYNTSHA viennent de rentrer de leur grève qui a causé des … On n’est pas content. Mais qui est responsable ? On ne doit pas tirer à boulets rouges sur les camarades du SYNTSHA parce que quelqu’un n’a pas fait son travail, amenant ces camarades à aller au front.
Au niveau national, la F-SYNTER, quand on va en grève, on perd des cours. Mais c’est pour le bien de ce pays parce que le droit positif nous confrère ce droit d’aller en mouvement pour réclamer nos droits (…).
B24 : Vous pensez qu’un jour justice sera rendue à Norbert Zongo ?
G.Z : Je ne suis pas une personne négative. Je crois que lorsqu’il y a un obstacle quelque part, on peut désespérer. La situation que nous avons vécue sous l’ère Blaise Compaoré, peut-être depuis la fausse indépendance, cette indépendance donnée, est moindre que ce que les Sud-Africains ont vécu. (…) Certains étaient réduits au rang d’animaux. Ils se sont battus et ils s’en sont sortis (…). Aujourd’hui, l’Afrique du Sud n’est pas un paradis, c’est vrai. Mais allez là-bas. Les gens sont libres (…).
Je suis plus que certain que la vérité va s’éclore sur les dossiers Norbert Zongo et beaucoup d’autres dossiers. Peut-être sans nous. La lutte ne doit pas être une lutte égoïste. Il ne faut pas s’inscrire pas dans logique que si je ne bénéficie pas des retombées de ses dividendes, je ne vais pas m’y engager.
J’ai dit dans mon document que la vie doit être positive de A à Z. Pour Norbert Zongo, ce n’est qu’une question de temps. Le problème, c’est que Blaise Compaoré qui était au pouvoir était lié par sa famille dans ce crime. C’est un crime politique.
Ceux qui l’ont remplacé, la Transition était encore liée au pouvoir déchu. J’ouvre une parenthèse. Lorsqu’il y avait une brouille entre Thomas Sankara Premier ministre et Jean-Baptiste Ouédraogo, président, qui était ministre des affaires étrangères ? C’était Michel Kafando, qui a organisé une rencontre ici à Ouaga avec Guy Pen, le conseiller politique de François Mitterrand. Par la suite, Thomas Sankara a été arrêté et envoyé à Dori. Les autres Lingani et Henri Zongo étaient à Dédougou. En ce moment, Blaise Compaoré était à Pô avec son adjoint qui était Diendéré.
L’arrestation a eu lieu dans l’espoir de l’arrêter. Lorsque le coup d’Etat de 1983 que les gens appellent de façon éhontée la Révolution s’est mené, Blaise Compaoré est parti prendre son ami et l’a mis au pouvoir. Michel Kafando a fui aller au Bénin. Ce qu’on n’a pas dit au peuple, c’est qu’il ne devrait pas être à la tête de la transition, mais nous comprenons. Puisque la transition n’était pas pour le peuple. Ce n’est qu’en 1988 que Michel Kafando est revenu au Burkina pour être envoyé à New York au siège de l’ONU. Il y a même passé l’âge de la retraite.
Blaise Compaoré est tombé. Le RSP a repris son pouvoir le 2 novembre avec l’accord et l’aide de certaines organisations dont je ne vais pas faire la publicité ici. A la limite, Blaise est parti et resté.
Sous Blaise Compaoré donc, on ne pouvait pas avoir (justice) parce que son régime était lié à la mort de Norbert Zongo. Ceux qui l’ont remplacé sont ses amis. Ils ne vont jamais, au grand jamais le faire. Et ceux qui s’étonnent aujourd’hui qu’il n’y a pas de justice, cela ne nous émeut point, au niveau des mouvements démocratiques et révolutionnaires. C’est une logique. Mais cela ne veut pas dire que nous devons nous asseoir et dire qu’on ne doit plus lutter.
Après cela, il y a eu ce que moi j’ai appelé des élections de remplacement. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, je ne les insulte pas. C’est la vérité. Ça se trouve écrit quelque part. 97-98, qui était vice-président du CDP ? C’est celui qui est là au pouvoir aujourd’hui à Kossyam, après avoir été maintes fois ministre de Blaise Compaoré. En 1997, il était conseiller spécial du président.
Salifou Diallo était où ? Ministre de l’environnement et de l’eau dans la période de la tuerie Norbert Zongo. Simon Compaoré était où ? Maire de Ouagadougou, depuis 1995. En ce moment, nos camarades (Sidani Blaise et Zigani Emile) étaient tués à Garango.
Je ne dis pas que tous ceux que j’ai cités ont tiré sur Norbert Zongo, sur les autres ou volé, mais ils ont une responsabilité. Lorsqu’il y a un fait malheureux qui se passe, il y a un coupable, il y a un responsable. Aujourd’hui, ils sont responsables pour avoir mangé dans la même gamelle que Blaise Compaoré. Ils doivent répondre de ces tueries et de ces vols devant la justice.
Mais là encore, elle nous fait rire cette justice. Là-dedans, il y a des gens qui sont honnêtes, qui veulent travailler. Il y a des gens qui ont peur de dire la vérité et des gens qui ont l’impossibilité de dire la vérité. Peur de ceux-là qui mangent dans la même gamelle du pouvoir qui les a nommés. Quant à ceux qui sont sincères mais qui ne peuvent pas, ils ne sont pas à un poste électif. J’ai dit dans mon roman, quand on te nomme en haut, on te gomme en bas. Avec cette situation, ce n’est pas possible que nous ayons vérité et justice pour Norbert Zongo.
Mais ce n’est pas impossible que la vérité s’éclate, tôt ou tard. C’est le vocable des combattants de la liberté. Pinochet a fait le dur jusqu’à faire le malade pendant une trentaine d’années. Son dossier l’a rattrapé.
Le jour se lèvera sur ce dossier Norbert Zongo. Des gens vont payer. Même si c’est pour sceller des tombes, nous le ferons. Je peux être mort en son temps. Mais le peuple dans sa lutte va faire le travail. C’est ce que veut dire vivre positif, être une personne non négative.
B24 : La situation scolaire est marquée par l’incivisme. Des élèves ont déchiré un drapeau et s’en prennent à leurs enseignants. En tant qu’enseignant et ancien élève, quelle est votre appréciation ?
G.Z : J’ai l’obligation de rectifier quelque chose dans ce que vous venez de dire. En aucun cas les élèves de Nagaré n’ont déchiré le drapeau. Des enquêtes peuvent être menées.
C’est vrai, il y a eu des violences entre élèves et enseignants, des violences entre enseignants, entre enseignants et d’autres acteurs qu’on appelle de manière éhontée « l’incivisme ». Moi, l’incivisme doit avoir une autre définition. D’abord, l’incivisme est politique. Et lorsque cet incivisme disparaît, tout ce qu’on appelle incivisme disparait.
Il n’y a pas d’incivisme chez les élèves. Ils ne font qu’exprimer leurs desiderata. Qu’on les résolve et on verra qu’il n’y aura plus de problèmes. A Gounghin, l’année passée, c’était un problème d’examens blancs. Les textes disent aujourd’hui que ce n’est plus une obligation de le faire. Mais aujourd’hui, tous ceux qui travaillent savent que l’examen blanc a été un baromètre et une période de préparation psychologique, matérielle et à tous les domaines de l’élève. Que vous ayez bénéficié de cela avec la bourse que l’Etat vous donnait, que vous avez refusée aux garçons en 1996 et 1997 aux filles, il faut souffrir que les élèves expriment leur ras-le-bol (…).
Le proviseur a fait le dur jusqu’à ce qu’un élève se suicide. On ne dit pas cela. C’est à l’issue de cela, avec le refus catégorique de l’administration, que les élèves ont dit trop c’est trop (…).
Lorsque vous êtes dans un pays où on tue des gens, qu’on brûle quelqu’un qui a 95 kg, que sa cendre pèse 5 kg et que jusqu’à 18 ans, sans qu’on ne dise mot, il n’y a pas de justice…
Lorsque vous inscrivez votre enfant à l’école, qu’est-ce que vous voulez de lui ? Qu’il apprenne. L’apprentissage, ce ne sont pas les mathématiques, ce n’est pas l’anglais. C’est de l’enseignement. Au-delà de l’enseignement, l’éducation. L’éducation, ne n’est pas seulement en famille, c’est dans la société. Dans cette société, ils vivent avec des gens qui racontent ce qui se passe. Qui disent que le pouvoir est un pouvoir qui n’est pas démocratique, qui tue et que des gens ont volé des milliards sans qu’il n’y ait justice. Qu’est-ce que vous voulez ? Il est évident que l’enfant que vous avez mis à l’école pour qu’il apprenne, apprenne effectivement qu’il y a de l’injustice et qu’il y a des gens qui se battent et qu’il doit se battre.
Il y a effectivement des débordements, mais qu’on ne prenne pas ces débordements pour la généralité. Pour moi, si on apure tous les dossiers pendants et que les crimes sont jugés et les coupables punis, vous verrez que dans ce pays, on ne parlera plus d’incivisme.
C’est récent. L’incivisme, on ne parlait pas de ça au lycée à notre époque. C’est en l’espace de dix ans, juste après la mort de Norbert Zongo, qu’on parle d’incivisme. Cet incivisme a une histoire, une cause, ses responsables et ce sont ceux qui sont au pouvoir, ceux qui volent l’Etat, ceux qui pillent nos richesses (…).
L’incivisme est à rechercher au niveau de la tête de notre pays et non au niveau du bas peuple, de ceux qui se battent pour conquérir leurs droits.
B24 : A voir l’image peu optimiste que vous avez des dirigeants du pays, quelle est votre lecture du chemin emprunté par le Burkina en ce qui concerne son développement ?
G.Z : Je vais vous contredire. Je n’ai jamais dit que j’ai une image négative. Je suis un homme positif. Pour moi, l’espoir est permis. Dans la lutte, il y a trois catégories de personnes. La première catégorie pense que les résultats de lutte sont immédiats. La deuxième catégorie est médiane. On va un peu souffrir mais ça ne va pas aller loin. Je suis de la troisième catégorie, celle des combattants de la liberté. La lutte d’une longue haleine. Ceux qui croient que ça ne va pas être facile mais ça aboutira.
Pour moi, aujourd’hui, certes il y a de multiples difficultés, mais nous avons espoir que ça va aller. Le mouvement « trop c’est trop » après Norbert Zongo, tout a commencé là. L’éveil des consciences. Se battre contre la dictature. Cela nous a amenés aux 30 et 31 octobre 2014 avec l’insurrection populaire qui a entraîné la chute de Blaise Compaoré et son régime, mais qui malheureusement a été récupérée par l’impérialisme français. C’est ce qu’il faut dire. Et qui a tout fait pour que le RSP reprenne le pouvoir avec Zida, qui par la suite a balisé le terrain pour le MPP. Il faut le dire. Cet impérialisme continue toujours de se battre.
Mais le peuple est plus fort que l’impérialisme, que les dictateurs. Pour moi, il y a une voie. C’est la mobilisation, la lutte. Mais la lutte scientifique, éclairée. Il faut se donner une chance. On doit lutter, certes, mais dans des organisations authentiques. Pas dans des organisations qui à toute direction du vent partent pour s’alimenter (…).
97-98, qui était vice-président du CDP ? C’est celui qui est là au pouvoir aujourd’hui à Kossyam, après avoir été maintes fois ministre de Blaise Compaoré. En 1997, il était conseiller spécial du président.
Salifou Diallo était où ? Ministre de l’environnement et de l’eau dans la période de la tuerie Norbert Zongo. Simon Compaoré était où ? Maire de Ouagadougou, depuis 1995. En ce moment, nos camarades (Sidani Blaise et Zigani Emile) étaient tués à Garango.
Nous nous battons pour qu’il y ait un changement véritable, pour qu’il y ait certes une insurrection (…), mais pas dévoyée. Une insurrection où le peuple va avoir le dessus sur l’impérialisme. Cela peut paraître utopique, mais les gens nous ont dit la même quand on se battait après la mort de Norbert Zongo : «Dans ce pays-là, vous ne pouvez pas chasser Blaise Compaoré ». Aujourd’hui, ils font profil bas et pire, je n’ose pas dire mieux, ils croient que l’insurrection est venue parce qu’ils ont travaillé plus. Cela nous fait rire. Nous n’avons pas besoin de revendiquer une paternité.
Pour nous, le jour va se lever et ce sont nos petites luttes qui emmèneront la grande. (…) La révolution ne se décrète pas. Elle vient avec toutes les conditions possibles et ce pays va l’expérimenter. Que les gens continuent de faire la fête et pensent qu’ils sont arrivés à destination. Nous pensons que ceux qui ont volé, ont tué les fils et les filles de ce pays, ceux qui continuent de voler, payeront tôt ou tard. Ils payeront à la hauteur de leur forfaiture, que nous soyons vivants ou morts.
Propos recueillis par Abdou ZOURE
Burkina24
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Suivre la chaine
Restez connectés pour toutes les dernières informations !
Restez connectés pour toutes les dernières informations !