Newton Ahmed Barry : « Le fichier électoral des Burkinabè vivant à l’étranger sera élaboré en 2018 »
Le samedi 25 mars 2017, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Newton Ahmed Barry (NAB) était dans les locaux de Burkina 24 pour un entretien. Au menu, tout ce qui entoure les élections partielles et complémentaires du 28 mai 2017 et l’un des grands chantiers de la CENI, le vote des Burkinabè de l’étranger. Si NAB s’est prêté à répondre sans modération sur les questions ayant trait à ce qui est dit plus haut, il est resté néanmoins muet (réservé, dirons-nous) sur les questions d’actualité.
Burkina 24 (B24) : Des Burkinabè bourdonnent pour dire que 1, 2 milliard de F CFA pour des élections partielles et complémentaires, c’est trop. Qu’en dites-vous ?
Newton Ahmed Barry (NAB) : C’est moi-même qui suis le premier à avoir donné les chiffres. Si je les ai donnés, c’est à dessein. Parce que vous savez que sur l’ensemble du processus jusqu’à présent, les coûts des élections, ce n’est pas quelque chose sur lesquels on communique. C’est moi qui ai donné le coût des élections en sachant que c’est élevé mais, il y a un certain nombre d’éléments qu’il faut prendre en compte.
Nous avons 350 000 électeurs qui vont être concernés par la reprise. Nous avons 900 bureaux de vote. Quand vous prenez au niveau des bureaux de vote, 6 personnes par bureau de vote le jour des élections, quand vous faites 6 x 900, vous vous retrouvez avec 3 600 personnes qu’il faut prendre en charge. Ça, ce sont des dépenses sur lesquelles vous ne pouvez rien faire.
Il y a aussi le matériel électoral, pas les urnes, mais vous avez les bulletins, l’encre indélébile qu’il faut acheter au prorata du nombre des bureaux de vote et au prorata des électeurs. Je prends un exemple très concret de l’arrondissement n°4 (de Ouagadougou) où il y a 19 partis qui sont en lice. Pour chacun des 19 partis, il faut produire autant de bulletins qu’il y a d’électeurs potentiels, environ 100 000 électeurs. Il faut aussi produire quelques bonus. Donc, il y a un certain nombre de choses comme ça sur lesquelles il n’y a pas de réduction de dépenses possible.
Je vous donne encore un autre élément de comparaison. Par exemple, sur le processus de soutenabilité que nous engageons depuis notre arrivée en responsabilité au niveau de la CENI, si vous prenez la reprise de février 2013, il y avait 110 000 électeurs qui étaient concernés, 250 bureaux de vote. Cette fois-ci, je vous dis que ça fait 900 bureaux de vote. A l’époque, il a fallu mobiliser 700 millions de F CFA. Dans 900 bureaux de vote, il y a combien de fois 250 ? Si vous faites le rapport, vous vous rendez compte de l’énorme effort que nous avons fait.
Si vous regardez aussi au niveau des standards internationaux, parce que les coûts à ce niveau sont établis. En général, une élection au niveau des normes et standards internationaux, le coût par électeur est d’environ 3 500 F CFA. Si vous multipliez cela par les 350 000 (électeurs) vous vous retrouvez autour de 1 milliard 400 millions de F CFA environ.
Ça peut paraître cher, mais nous avons volontairement donné (le montant) aux gens pour que ça serve de pédagogie. Dans un pays pauvre comme le nôtre, la classe politique doit être responsable. Les citoyens doivent être responsables. Parce que sur un certain nombre d’éléments de crise des communes, s’il y avait un minimum de responsabilité, on aurait pu éviter d’aller à la dissolution. Voilà ces éléments de pédagogie et c’est aussi des éléments d’explication qui permettent à chacun de se faire une opinion.
B24 : Vous avez évoqué la responsabilité des partis politiques, pensez-vous que la classe politique est actuellement mûre pour qu’on puisse éviter les dérapages connus l’année passée ?
NAB : Je ne peux pas juger de la maturité de la classe politique, je l’interpelle. Mais je me dis, chacun étant interpellé sur ses responsabilités, je suis en situation de penser que chacun va s’assumer. Pour l’instant, quand on regarde le déroulement du processus, je dois dire qu’on est satisfait. Il y avait trois étapes importantes et crisogènes.
Il y avait d’abord la mise en place des démembrements, on a pu le faire sans accroc. Il y avait la prestation de serment qui, parfois, grippe. On a pu le faire. Il y avait également au niveau des dépôts des dossiers de candidature, cette fois, sur les 19 communes, on a pu déposer les dossiers de candidature sans problème. On peut donc dire qu’il y a une évolution des mentalités et il y a des dispositions favorables à la tenue des élections.
B24 : En pensant aux communes de Bouroum Bouroum, Zogoré et Beguedo, toutes les conditions sont-elles réunies pour des élections claires, transparentes et apaisées ?
NAB : Claires et transparentes, c’est la responsabilité de la CENI. A ce niveau, il n’y a aucun souci. Maintenant, le cas du maintien de l’ordre ne relève pas de la CENI. Cette distinction, il faut aussi la faire.
B24 : Mais qu’adviendra-t-il si par hasard, la CENI n’arrive pas à organiser les élections partielles ou les complémentaires dans certaines communes ?
NAB : En ce moment, il faut s’en référer à la loi. En cette matière particulièrement, il faut s’en référer au Code général des collectivités qui dit qu’une deuxième tentative qui échoue, la commune tombe en délégation spéciale.
B24 : Une délégation spéciale qui se renouvelle chaque année. Cela n’est pas à l’avantage des communes qui veulent amorcer un plan de développement durable…
NAB : Absolument ! Si on est parti aujourd’hui à la communalisation et à la décentralisation, c’est parce que l’impératif du développement local a été pensé comme un élément devant être endogène. Si malheureusement il n’y a pas un consensus au niveau local, je crois qu’il ne reste plus à l’administration qui est en charge de l’administration du territoire que d’appliquer la loi et, malheureusement, d’aller en délégation spéciale.
On espère, comme je l’ai dit tout à l’heure, jusqu’à présent, tous les éléments nous montrent qu’on peut éviter la délégation spéciale.
B24 : Seytenga est dans la région du Sahel. Est-ce que la situation sécuritaire pourrait impacter sur l’organisation des élections ?
NAB : Pas seulement Seytenga. Vous avez Barani, Koubori qui sont à l’extrême Nord, et pour lesquelles nous avons quelques préoccupations sécuritaires. Mais je crois qu’il y a une commission sécurité qui a été relancée dès l’annonce de la reprise des élections et cette commission sécurité travaille en étroite collaboration avec la CENI. Je peux vous dire que des dispositions sont prises pour que ces questions ne viennent pas perturber le scrutin.
B24 : Des dispositions, peut-on avoir quelques détails ?
NAB : Malheureusement, en termes de sécurité, on ne donne jamais les dispositions ou des détails.
B24 : Vous l’avez dit à vos débuts, le vote des Burkinabè de l’extérieur est votre cheval de bataille. A combien évaluez-vous le nombre de Burkinabè à l’étranger ?
NAB : Nous avons fait du travail sur cette question depuis notre arrivée en responsabilité, parce que la question de départ et la question fondamentale, c’était que si on veut organiser des élections à l’étranger, il faut qu’on ait une évaluation des électeurs potentiels. Ce travail, nous l’avons fait.
Nous pensons aujourd’hui qu’au regard des chiffres plus ou moins officiels, en recoupant les informations, on peut évaluer la diaspora burkinabè à environ 7 500 000 (personnes). Autour de ces 7 500 000, selon les informations toujours recoupées, vous pouvez avoir un corpus électoral d’environ 2 500 000 (électeurs). Quand vous regardez aussi la configuration de la diaspora burkinabè, vous vous rendez compte qu’elle est davantage sous régionale. C’est-à-dire que l’émigration au Burkina n’est pas lointaine.
Sur les 7 500 000, 4 millions sont en Côte d’ivoire, le reste davantage dans l’espace CEDEAO et un tout petit peu, dans le Nord (Occident). L’autre élément fondamental sur lequel il fallait aussi réfléchir lorsqu’on parle du vote des résidents à l’étranger, c’est, est-ce que tout Burkinabè vivant à l’étranger est éligible au vote ? Cette question, il fallait l’étudier et trancher.
La question de la norme au niveau international aussi, pour qu’un résident étranger vote, il faut d’abord qu’il soit en règle vis-à-vis du pays qui l’accueille. Vous ne pouvez pas aller faire voter vos clandestins aux Etats-Unis ni en France. Or l’élément en cette matière, c’est l’immatriculation au consulat ou à l’ambassade.
Le deuxième élément qui matérialise cela aussi, c’est la possession de la carte consulaire. Voilà les éléments sur lesquels on assoit l’élection du résident à l’étranger. Ce travail, nous l’avons fait et vous vous rendez compte que sur les 7 500 000, vous n’avez qu’environ 1 100 000 qui sont immatriculés dans les différentes ambassades, vous avez moins de 900 000 qui ont une carte consulaire. Donc ça réduit sur le potentiel de 2 500 000 d’électeurs qu’on a. Voilà les réalités sur lesquelles on peut tabler.
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Burkina 24
Mais là, ce sont des études que nous avons faites. Nous allons demander au Parlement de le prendre en compte dans le cadre de la loi électorale. Si ces éléments sont introduits dans le cadre de la loi électorale, nous avons en ce moment là matière à agir et c’est en ce moment qu’on va informer nos compatriotes sur les conditions de vote des Burkinabè vivant à l’étranger pour qu’ils puissent se préparer à remplir les conditions.
Selon notre chronogramme, le fichier électoral des Burkinabè vivant à l’étranger va être élaboré en 2018. Donc, nous devrions avoir cette année, après le vote de la loi, la révision du Code électoral qui introduit ces nouvelles données, avoir le moyen d’aller informer et sensibiliser les Burkinabè vivant à l’étranger et de leur donner le temps nécessaire de remplir les conditions pour qu’en 2018, quand nous allons repartir pour le fichier électoral, beaucoup soient en situation de s’inscrire sur le fichier électoral s’ils le désirent.
B24 : Avec ce nombre de Burkinabè de l’étranger que vous avancez et vu le désintérêt au niveau national pour les scrutins, l’avenir politique du pays pourraient se décider plus à l’extérieur qu’à l’intérieur…
NAB : Il faut espérer que non. Aujourd’hui, effectivement en interne, nous avons un fichier électoral d’environ 5 500 000 (électeurs). Or, potentiellement, nous avons un corps électoral national d’environ 9 à 10 millions. Il y a un travail interne à faire pour essayer de remonter ce chiffre.
Mais plus globalement, on pense aussi que si les gens ne votent pas, peut-être qu’ils n’avaient pas confiance au système et peut-être qu’il n’y avait pas une éducation à la citoyenneté très poussée. Je pense que l’un dans l’autre, si les élections acquièrent de la crédibilité au fur et à mesure et que le citoyen se rende compte que son vote est important, à mon avis, il n’y a pas de raison qu’il refuse d’accomplir son devoir de citoyen ou qu’il le délègue, parce que s’abstenir, c’est demander aux autres de décider à sa place.
B24 : L’occasion faisant le larron, vous êtes journaliste et nous allons profiter poser des questions d’actualité. Par rapport à la situation sécuritaire, le gouvernement réagit. Selon vous, est-ce que cette réaction rassure ?
NAB : Il y a quelques mois, je vous aurais répondu avec beaucoup de plaisir. Sauf qu’ici, on ne peut pas faire la différence entre la qualité de président de la CENI et le journaliste que je suis. Donc sur ces questions, je me réserve.
B24 : 2020 a l’air d’être éloigné. Est-ce que la CENI y pense déjà ?
NAB : Nous y pensons tellement que la première des choses que nous avons faites dès que nous sommes arrivés en responsabilité, c’est d’établir un chronogramme qui va nous y conduire et sur lequel nous avons déjà arrêté les principales étapes. La première des étapes justement, c’était d’abord de comprendre les enjeux des votes des résidents à l’étranger. Cette question est plus ou moins résolue aujourd’hui et nous permet de proposer des dispositions à mettre dans le Code électoral pour mieux prendre cela en compte. Si cette étape est franchie, 2017 va nous permettre d’engager la sensibilisation de nos compatriotes à l’étranger.
B24 : Est-ce qu’on sait déjà combien tout cela va coûter ?
NAB : Nous avons des estimations. A ce niveau aussi, il y a des normes standards. EN général, ce qui est admis, c’est que si le vote du national coûte 1 franc, il faut le multiplier par 5 ou 10 quand il s’agit du vote du national résident à l’étranger. Pour donner une idée, si vous prenez sur la base de 1 500 000 électeurs potentiels à l’étranger, ce qui parait très probable en ce qui concerne le Burkina, pour l’électeur interne, c’est 3 500 F CFA. Il faut le multiplier par 5 ou par 10 pour avoir le coût total à l’étranger pour les élections à venir.
B24 : Alors, de rédacteur en chef d’un journal à président de la CENI, comment s’est faite la transition ?
NAB : Non, en fait, je fais partie de ceux qui ont, au début des années 90 bataillé dans le cadre des associations de défense des droits humains pour l’avènement d’une institution de gestion des élections indépendantes du gouvernement. C’est pour cela d’ailleurs qu’en 1998, quand la première CENI a été installée, j’ai fait partie de ceux-là qui avaient été appelés à la gestion de cette commission. J’étais directeur de la communication.
J’étais aussi avec d’autres personnes qui sont restées après moi comme Michel Moussa Tapsoba. La première commission, nous étions ensemble avec le pasteur (Samuel) Yaméogo, qui était le président. Ce n’est pas un domaine étranger par rapport à ce que je faisais. Pour ceux qui ont suivi mon parcours, je ne suis pas dépaysé en venant à la CENI.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE
Burkina 24
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