Terrorisme au Nord : Les révélations de Roger Bemahoun

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Honko Roger Judicaël Bemahoun est statisticien-économiste de formation, chercheur en science politique actuellement doctorant en économie à African school of economics (ASE) au Benin. Il est également le fondateur et le directeur général de l’Institut panafricain d’études, de recherche et de sondage d’opinion (IPERSO). Honko Roger Judicaël Bemahoun est l’auteur d’un rapport intitulé « L’extrémisme violent dans l’espace culturel du Djelgodji : facteurs associés et modalités de mitigation » publié le 16 octobre 2017 à Ouagadougou. Dans les lignes qui suivent, il analyse les attaques récurrentes dans le Sahel burkinabè. Désigné à l’origine comme le cerveau de ces assauts, de l’avis de M. Bemahoun, Malam Dicko serait désormais sous les ordres d’autres groupes terroristes « africains et mondiaux ». Et à l’en croire, le Burkina est en train de perdre sa partie Nord. En sus d’autres propositions contenues dans son rapport, le chercheur suggère aux autorités de « prendre langue avec Malam Dicko pour connaitre ses motivations ». Interview.

Burkina 24 (B24) : Pourquoi les attaques se concentrent principalement du Djelgodji ?

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Honko Roger Judicaël Bemahoun (H. Bemahoun) : L’espace culturel du Djelgodji est principalement situé dans la province du Soum et regroupe administrativement les départements de Pobé Mengao, Baraboulé, Djibo, Tongomayel, Kelbo et Nassoumbou. Pourquoi s’intéresser à l’extrémisme violent dans l’espace culturel djelgodji ? Parce qu’au cours de notre recherche effectuée par IPERSO, nous avons constaté que plus de 60% des attaques du même genre au Burkina ont été opérées dans cette partie du territoire burkinabè.

A l’analyse, on s’aperçoit que le Djelgodji est un enjeu géostratégique pour les extrémistes qui, aujourd’hui, lorsqu’on regarde leur mode opératoire et leur implantation consistent à créer des Katibas. Au Mali, ils ont déjà créé une Katiba, celle du Macina qui est sous le contrôle du Front de libération du Macina. Ils envisagent toujours leur extension.

De ce point de vue, il faut attaquer là où il y a assez de vulnérabilité et le Djelgodji est un exemple pour eux en termes de vulnérabilité, même s’il faut reconnaitre qu’à l’origine, il n’envisageait pas attaquer le Djelgodji en tant que tel. C’est la force des choses qui a contraint donc Malam Ibrahim Dicko et son groupe Ansaroul Islam d’annexer l’Etat du Burkina Faso à partir du Djelgodji.  

B24 : Vous dites qu’à l’origine, ce n’était pas prévu d’annexer cette partie du territoire burkinabè. Où avaient-ils envie de jeter leur dévolu ?

Bemahoun: Comme je vous le disais à l’origine, c’était d’abord affaiblir le Mali puisque le Mali était déjà faible avec la rébellion touareg. Il était question de commencer par l’espace culturel du Macina qui a des similarités avec le Djelgodji et par la suite, bien installé au centre du Mali, il était question d’envisager une expansion en annexant le Burkina Faso à travers donc le Djelgodji. Pourquoi donc cette approche ? Parce les deux leaders des groupes extrémistes sont de vieux amis, des compagnons d’enfance.

Ils ont fréquenté  des foyers coraniques ensemble. Il s’agit de Malam Ibrahim Dicko pour le groupe Ansaroul Islam et Amadou Koufa du Front de libération du Macina. Ils ont appris le Coran depuis le Nord du Burkina en commençant de Ouahigouya  jusqu’à Douentza au centre du Mali. Ils ont fréquenté les grands maitres coraniques, ils ont acquis la science et ils ont décidé de lancer leur annexion.  

B24 : Pour revenir à votre rapport, comment vous avez compilé les données ? 

Bemahoun: En matière de recherche, ce qui est fondamental, c’est la méthodologie. Notre méthodologie est axée sur 5 grandes recherches. La première étape a consisté d’abord à identifier les interlocuteurs dans la zone concernée et procédé par la suite à des entretiens sur la problématique parce qu’il était donc question d’identifier les facteurs et de résoudre le problème bien entendu. Nous avions quatre hypothèses de recherches qui ont été formulées sur la base de la revue de presse notamment. Une des hypothèses, c’est la complicité de la population locale et une autre hypothèse c’est l’efficacité du dispositif sécuritaire.

L’autre hypothèse, c’était de voir si l’extrémisme violent n’est pas développé sur un terreau fertile notamment est ce qu’il n’y a pas des espèces culturelles qui expliquent le fait que c’est dans cette partie du Burkina que les attaques sont concentrées.

L’équipe de recherche était composée de ma modeste personne qui était le chercheur principal, assisté par Fatimata Démé qui est juriste et Aboubakar Sarambé qui est statisticien économiste comme moi. Après les entretiens, nous sommes revenus produire un pré-rapport. C’était la 3e étape.

Lorsque nous avons fini le pré-rapport, nous sommes repartis sur le terrain soumettre ce pré-rapport à nos interviewés et  il était question de savoir s’ils se reconnaissaient dans ce qui est dit dans le rapport. Il s’agissait pour nous également d’approfondir des aspects, des questions qui nous sont revenues pendant la rédaction du rapport et ça nous a permis d’avoir un rapport final publié le 16 octobre (2017).

Lire 👉👉 Soum : Les dessous du terrorisme, selon Honko Bemahoun

B24 : A travers cette publication, vous avez conclu que les attaques n’avaient pas un contenu religieux mais dû au délaissement de la région par les autorités politiques. Pouvez-vous développer cet aspect ?

Bemahoun: Il y a une sorte de dictature dans le traitement de la question. On entend partout dire du terrorisme, du djihadisme… Cette dictature fait que finalement on assimile souvent toutes les attaques soit à du terrorisme soit à du djihadisme surtout quand les principaux acteurs se servent du paravent de la religion. Pour nous, il était question d’aller au-delà de ce paradigme et de comprendre le problème.

Effectivement, ce qui se passe dans le Djelgodji n’a pas de contenu religieux. Ce n’est pas du djihad. Cependant, ce qu’on peut dire, étant donné que les premiers leaders étant eux-mêmes des leaders religieux, ils exploitent un contexte qui est que près de 90% des populations de cette région est islamisée. Aussi, dans ses prêches, Malam Dicko soulevait des questions par exemple le fait qu’il existe des familles maraboutiques influentes dans le Djelgodji. Je veux parler des familles Cissé et Doukouré qui, selon lui, se servent de la religion pour s’enrichir. Il a voulu donc se lever contre ce qu’il considère comme étant une exploitation malsaine d’une situation.

Deuxièmement, il a soulevé d’autres questions sociales. Dans la communauté fulaphone, ils sont divisés en deux grands groupes : il y a les peulhs nobles et les descendants d’esclaves. Entre ces deux entités, il y a de plus en plus un conflit larvé qui fait que ceux qui sont considérés comme descendants d’esclaves n’ont pas droit de cité ou sont complètement exclus par rapport à un certain nombre de questions. Par exemple, il n’est pas question pour un descendant d’esclave, fut-il érudit, de diriger une prière. Cela a été exploité par Malam Dicko et son groupe pour faire rallier la population.

Mais l’autre discours, c’est que la zone est délaissée. C’est tellement sensible parce que l’électorat de cette partie du Burkina a été abusé depuis les 30 dernières années. Si vous regardez les statistiques en matière de vote, il y a toujours eu plus de 70% en faveur du parti au pouvoir qui était le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). On leur avait promis tout. Un exemple, c’est le bitumage de la route Kongoussi-Djibo. Il (Malam Dicko) a distillé un message extrêmement important. Il dit que les derniers investissements publics datent de 1974. Il parle de la route en terre rouge Djibo-Dori et du barrage de Djibo qui est actuellement ensablé. C’est devenu pratiquement un lac. Il touche du doigt ces questions qui sont perceptibles.

C’est vrai qu’il n’y a pas un contre-message à cela. Ce qu’il dit n’est pas tout pas fait exact, mais comme cela constitue les plus grandes attentes, les gens s’arc-boutent sur ça et prennent ses dires pour vérité. Il va plus loin dans son message en disant que dans le Soum en général, les investissements ne sont pas du gouvernement du Burkina Faso, mais de la Haute-Volta. Vous voyez ce jeu de mots ? C’est dire aux populations de ne pas se reconnaitre en tant que Burkinabè.

La particularité du rapport sur l’extrémisme violent dans l’espace culturel du Djelgodji, on va insister pour permettre à vous lecteurs de mieux comprendre le conteste, c’est que cette étude a été menée par ma modeste personne qui par la force des choses est devenu originaire de la localité. Mes parents se sont installés à Djibo depuis 1985 et j’ai quitté la localité en 2002.

Je connais beaucoup de personnes et c’est pourquoi la collecte des données  a été facile pour nous. En face, nos interlocuteurs avaient cette confiance à s’ouvrir. Sinon actuellement, personne n’a confiance en l’autre.

B24 : Justement, je cite un passage de votre rapport : « Le Djelgodji est complètement infesté par les extrémistes violents. ‘’Tout le monde est dedans’’ si bien que recevoir un appel téléphonique en public et se mettre l’écart pour répondre à son interlocuteur est considéré comme suspect ». C’est assez lourd comme situation…

Bemahoun: Nous soulignons cet aspect pour présenter la situation. Vous savez bien que le déficit de confiance interpersonnel ne favorise pas le développement. Le gouvernement a lancé le Programme d’urgence du Sahel (PUS). Comment peut-il y avoir de développement dans une situation où les gens ne se font pas confiance ?

C’est aussi pour montrer la capacité d’immersion de ces groupes au sein de la population. Ils ont pratiquement des oreilles partout si bien que vous ne pouvez pas dire quelque chose sans qu’ils ne soient pas au courant. Ils ont réussi à enrôler beaucoup de jeunes avec ou sans niveau d’instruction. J’ai des promotionnaires, des gens avec qui j’ai fait des études secondaires pour certains qui, aujourd’hui, font partie du groupe Ansaroul Islam. Aujourd’hui, ils ont des soutiens de prestige, de haut niveau.

B24 : Soutien politique ou au niveau communautaire ?

Bemahoun: Politique aussi que communautaire. Pour le Djelgodji, les leviers communautaires sont assez importants. Il y a un concept clé, cher aux Djelgogo, ce qu’on appelle le « soudou baba » qui désigne la famille. Quand on dit « Soudou baba », tous se reconnaissent et qui que tu sois ou où que tu sois, tu es interpellé. C’est comme nos frères ivoiriens le disent, la patrie nous appelle. C’est extrêmement puissant comme levier si fait que quand les leaders coutumiers ou religieux en font usage, ils font un ratissage assez grand.

Aussi, quand on regarde en termes de conditions de vie, c’est vrai que l’institut national de la statistique et de la démographie (INSD) classe la région du Sahel comme la 2e  région la moins pauvre. Mais les chiffres sont ce qu’ils sont mais il y a aussi la réalité où les gens n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

B24 : Vous semblez en savoir énormément sur cette organisation dirigée par Malam Dicko, désigné comme l’ennemi à abattre. Que savez-vous de l’homme ? Est-ce qu’on peut avoir des détails sur sa personne ? Vit-il toujours puisqu’une information sur sa mort avait circulé.

Bemahoun: ce qu’on retient de lui, c’est un monsieur très intelligent, qui a un tempérament assez calme et éloquent dans son discours. C’est un aspect assez important qui a permis à son association qui était reconnue légalement de se faire des sympathisants. J’étais étonné de voir certains interlocuteurs parler de lui avec une certaine admiration, une certaine fierté. En un mot, il est charismatique. Il a un discours révolutionnaire et c’est un discours qui accroche étant donné que les gens sont déjà frustrés. Et ce sont les frustrations qui font le lit du terrorisme.

Maintenant, est-ce que Malam Dicko vit ? Il est bel et bien vivant, contrairement à ce qu’on dit. Il vit et à ce qu’on dit, il est reparti au Mali parce qu’après l’opération Bayard qui a précédé l’opération Paanga, ils (les terroristes) ont essuyé des coups assez sérieux. Malam Dicko est reparti au Mali pour des soins parce qu’il a des problèmes de santé et il a donné le commandement à son frère cadet, Jafar Dicko.

Après cette cuisante défaite, ils ont changé leur mode opératoire et actuellement, ils sont en train de nouer des alliances avec de véritables groupes djihadistes au niveau africain et même mondial si fait qu’aujourd’hui, la question ce n’est plus seulement Malam Dicko. Lui-même répond d’autres personnes maintenant dans le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) actuellement dirigé par Iyad Ag Ghali de Ansar Dine. La lutte est en train de prendre une autre tournure.

B24 : Vous semblez en savoir beaucoup sur Malam Dicko et son organisation. Partagez-vous vos informations avec les autorités ?

Bemahoun: A ce niveau, j’ai été sidéré. Lorsqu’on produit un rapport de ce genre, avec des informations inédites et que jusqu’à présent, même pas les autorités sécurités ne nous contactent pas pour en savoir davantage, ça veut dire ce que ça veut dire : les gens ne travaillent pas dans notre pays. Mais nous nous ne sommes pas arrêtés là. Nous avons introduit des sollicitations d’audience auprès du ministère de la sécurité intérieure, du Chef d’état-major général des armées, du Premier ministre et même de la Présidence pour que nous puissions leur donner les détails de cette étude.

Malheureusement, nous sommes dans un pays où les gens sont toujours friands de ce qui vient de l’extérieur. Avant la publication d’IPERSO, l’ONG Crisis group a aussi produit un rapport. Mais en toute modestie, lorsqu’on met les deux rapports côte à côte, le rapport d’IPERSO n’a rien à envier à celui de Crisis group. Nous respectons leur rapport, mais en termes de pertinence, de la quantité et de la fiabilité de l’information, le rapport d’IPERSO est plus crédible.

Pour vous donner un autre exemple, le Forum national sur la sécurité, j’ai lu les recommandations. S’il faut mobiliser autant d’argent pour produire ces recommandations, ça ne valait pas la peine. C’est des deniers publics gaspillés inutilement. Il faut optimiser les ressources publiques et on peut exploiter le rapport IPERSO et nous nous mettons à la disposition de l’autorité pour aider à résoudre cette situation.

B24 : Vous vous mettez à la disposition de l’autorité mais moyennant finance…

Bemahoun: Bien entendu. La recherche a un coût. Rien que les déplacements, les séjours. Et ce rapport tel que nous l’avons fait, c’est pratiquement du bénévolat. Les assistants n’ont reçu aucun copeck. Personnellement, je le faisais parce que je rendais service à une localité qui m’a pratiquement donné tout.

B24 : On sent une volonté à lutter contre le terrorisme, mais quelque part ça cloche. Il est dit que la confiance est rompue entre Forces de défense et même de sécurité d’une part et la population d’autre part. Confirmez-vous cela ?

Bemahoun: Ça c’est réel. La collaboration entre FDS (Force de défense et de sécurité) est rompue. Il n’y a même pas de collaboration possible. Parce que malheureusement, dans la réponse que je qualifie de hasardeuse, il y a eu une violation des droits de l’Homme qui nourrit l’extrémisme lui-même. Lorsqu’on fait des patrouilles et qu’on commence à ramasser des gens qui ont un physique de peulh, c’est grave.

Dans les villages, lorsque les FDS sont arrivées, systématiquement ils se mettaient à bastonner tous ceux qu’ils trouvaient. Ayant compris qu’ils étaient ciblés, les hommes notamment, quand ils entendent n’importe quel bruit de moto ou de véhicule, ils prennent leur jambe à leur coup et abandonnaient leur famille. Cela nourrit encore la frustration si bien que des gens qui hier étaient des sympathisants de Ansaroul sont devenus des militants.

Télécharger l’intégralité du rapport : Cliquez

B24 : Ces violations ont commencé quand ?

Bemahoun: Il y a eu une première opération qui n’a pas été beaucoup médiatisée, l’opération Séguéré. C’est cette opération qui a amené Malam Dicko à se radicaliser et à prendre les armes.

B24 : Lorsqu’on regarde les cibles des attaques (édifices étatiques, positions de l’armée), l’on est tenté de se demander s’il n’y a pas de volonté de séparatisme ?

Bemahoun: Non, ce n’est pas du séparatisme ! Ils s’attaquent aux gendarmeries, les camps militaires parce que d’abord, c’est là-bas qu’on trouve les armes. Ils annexent ces camps pour d’abord se ravitailler en armement, en engins. Deuxièmement, ceux qui sont à leurs trousses, ce sont notamment les gendarmes. Donc il faut travailler à les affaiblir.

Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE et Alice THIOMBIANO (Stagiaire)

Burkina 24

 

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Ignace Ismaël NABOLE

Journaliste reporter d'images (JRI).

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Un commentaire

  1. ne voyez pas le cout du forum, mais son objectif. l’objectif visé étant l’approche participative dans la recherche des solutions. une telle a tété expérimentée en Mauritanie- ne soyez pas allergique à la contribution des autres au solutionnement des problèmes communs. un autre doctorant et juriste Burkinabè avait identifié que ce se passait dans cette localité depuis 1994, ressemble à des entreprises économiques, chacun montant ses enchères pour lui et sa suite.

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