La Chenille légionnaire d’automne : Le « terroriste » du monde agricole

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Depuis son apparition en 2017 au Burkina Faso, la Chenille légionnaire d’automne a bouleversé le monde agricole. Entre traitements improvisés et risques de pollution environnementale, ce nuisible qui peut parcourir 100 kilomètres en une nuit a déjà causé des pertes de plus de 6 milliards de francs CFA dans la zone CEDEAO. L’ampleur du phénomène qui a touché 44 des 54 pays africains est telle que les experts proposent la création d’« un G5 Sahel Version Chenille légionnaire » afin de vaincre cet « ennemi » à l’image d’un groupe terroriste.

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  • 58 324 hectares de terres affectées au Burkina selon le Ministère de l’agriculture
  • Des pertes de 6 milliards de Francs CFA selon la CEDEAO
  • Des produits chimiques d’un coût de 4 milliards de Francs CFA au Burkina
  • 200 millions de personnes menacées par un risque d’insécurité alimentaire, selon le CILSS
  • Les espoirs tournés vers l’agro écologie, selon le Projet de lutte contre la Chenille légionnaire

En juin 2017, Bakary Sanou, producteur semencier de Gnagnama, village situé à une trentaine de kilomètres de la ville de Bobo-Dioulasso, a semé du maïs sur sa parcelle de 6 hectares. Ce producteur modèle s’attendait à une bonne récolte comme il en a l’habitude.

Mais c’était sans compter sur l’arrivée de la Chenille légionnaire d’automne au Burkina Faso. Encore appelée Spodoptera Frugiperda (nom scientifique), il s’agit d’un nuisible qui attaque les cultures céréalières et principalement le maïs.

Cet insecte ravageur dont la femelle pond entre 1500 et 2000 œufs, de l’avis des experts, laisse les producteurs dans la désolation. « Quand la chenille a attaqué mon champ, j’ai improvisé un traitement à base de savon, puis un autre à base de cendre. Mais ça n’a servi à rien », se souvient amèrement Bakary Sanou qui au bout du compte s’est retrouvé avec seulement 1/5 de son rendement prévisionnel.

Des chiffres qui corroborent bien les données du Commissaire chargé de l’agriculture dans la zone CEDEAO, Sékou Sangaré. « La Chenille légionnaire a une capacité de destruction de 73 à 100% », affirme-t-il.

Une épine de plus aux pieds des producteurs…

Au cours de cette campagne agricole, des milliers d’autres producteurs ont connu le même sort que Bakary Sanou. Selon le Ministère de l’agriculture, des aménagements hydro-agricoles du Burkina Faso, le ravageur a infecté  58 324 hectares de terres agricoles au cours de la campagne agricole 2017-2018.

Soit une superficie de 14 845 hectares dans la région des Cascades et 14 085 hectares dans le Sud-Ouest. Le Centre-ouest quant à lui enregistre 8386 hectares de terres infectées. C’est donc une épine de plus aux pieds des producteurs déjà éprouvés par un système de production peu développé.

Le secteur agricole qui emploie plus de 80% de la population est aussi confronté à l’irrégularité des pluies, la pauvreté des sols par endroit, sans oublier le non-respect des itinéraires techniques. A cause de tous ces facteurs réunis, la campagne 2017-2018 a connu une baisse de production de 1 136 802 tonnes de céréales.

Soit une production réelle de 4 063 198 tonnes en lieu et place d’une production prévisionnelle de 5 200 000 tonnes attendue, selon le ministère en charge de l’agriculture. Selon les experts de la CEDEAO, les pertes engendrées dans cette zone à cause du nuisible sont estimées à plus de 6 milliards de francs CFA.

Au cours d’une conférence sous régionale tenue en septembre 2019 à Ouagadougou sur la gestion intégrée de la chenille légionnaire, le Secrétaire exécutif du CILSS, Djimé Adoum, a évoqué une menace d’insécurité alimentaire qui pèse sur plus de 200 millions de personnes.

La Chenille légionnaire, un ennemi subtil

L’apparition de la chenille légionnaire à une période marquée par un regain d’intérêt des paysans pour la production céréalière en lieu et place du coton alors boycotté dans une partie du Burkina plonge certains producteurs dans la « suspicion ».

Ces derniers insinuent que le nuisible est une invention visant à les contraindre à la production du coton. Pourtant, la même année, des pays voisins comme le Mali, qui avait plutôt le vent en poupe dans la production de l’or blanc a subi, lui aussi, le ravage du nuisible. 

Depuis son arrivée sur le continent africain en 2016 au Nigeria, le ravageur s’est introduit dans 44 pays des 54 pays à cause du « flux des transactions commerciales et du changement climatique », selon un rapport de la FAO.

Face à cette invasion, d’autres acteurs agricoles n’écartent pas la théorie du complot. « Vous avez bien vu que les intelligences qui ont conçu les ordinateurs sont les mêmes qui nous envoient les virus. Ce sont encore les mêmes qui fabriquent les anti-virus et on nous met dans une spirale qui nous oblige à constamment dépenser de l’argent pour éviter la pollution informatique.

De la même manière, nous, nous croyons à une théorie du complot des multinationales », estime le Coordonnateur du Collectif citoyen pour l’agro écologie, Ali Tapsoba, pour qui les semences paysannes qui ont déjà bravé des volcans et autres intempéries ne sauraient succomber aux changements climatiques. A l’en croire, la nature a une capacité d’autorégulation et c’est plutôt l’ingérence de l’homme qui lui crée  souvent  un  « désordre ».

Ali Tapsoba : « Nous croyons à la théorie du complot »

Les causes de la propagation de la chenille telles que justifiées par les experts ne convainquent pas non plus Ali Tapsoba : «Je refuse de croire que le changement climatique ait provoqué la naissance d’un ravageur qui puisse se déplacer de l’Amérique pour venir happer nos champs de maïs ».

Les déclarations du défenseur de l’agro écologie nous ont conduits à Kokologho le 23 décembre 2019. Dans cette localité située à une cinquantaine de kilomètres de Ouagadougou, les propos recueillis auprès des producteurs renforcent l’énigme de cet insecte.

Au nombre de 10 personnes, nos sources sont unanimes sur un point. Elles auraient connu la chenille légionnaire avec l’expérimentation des semences améliorées. Précisément des semences de la variété hybride mise au point par l’Institut national de l’environnement et de la recherche agricole (INERA).

Dans l’objectif de développer la production agricole, le ministère apporte annuellement aux petits producteurs, une dotation en semences améliorées. Selon une source, c’est précisément des semences améliorées  « Wari » et « Barka », toutes deux de la variété hybride qui ont été offertes dans le département de Kokologho. L’INERA dispose également de semences améliorées de la variété composite. A celles-ci s’ajoutera bientôt la variété biotechnologique à travers le niébé BT qui est en phase expérimentale.

« Je qualifie la chenille légionnaire de Boko Haram »

Toutefois, les expériences de nos sources avec le ravageur sont bien différentes. Tandis que les unes affirment que les chenilles légionnaires ont ravagé les cultures de semences améliorées et de variété paysannes produites dans un même plan, les autres jurent, la main sur le cœur, que les superficies emblavées avec les semences paysannes ont résistées au nuisible en dépit de leur proximité avec les cultures de semences améliorées.     

Sans aller jusqu’à un complot, force est de constater qu’il arrive que les progrès provoquent des catastrophes ; par exemple, quand les insecticides tuent aussi les prédateurs de la chenille. La complexité du phénomène avait été évoquée au cours de la conférence du CILSS sur la gestion intégrée de la Chenille légionnaire. De ce cadre de réflexions et de partage d’expériences, l’idée de l’inefficacité d’une lutte individuelle avait resurgit.

« Je qualifie la chenille légionnaire de Boko Haram. Parce que la chenille légionnaire et les autres insectes ravageurs sont des bio agresseurs. Or les bio agresseurs sont tous ceux qui agressent l’être humain. De la manière dont les insectes agressent l’être humain à travers la destruction de sa production, qui peut conduire à sa mort, c’est de cette même manière que toutes les forces terroristes font pratiquement. Alors autant on a créé un G5 Sahel contre le terrorisme, autant nous avons besoin d’un G5 Sahel contre la chenille légionnaire », lance le professeur Ali Douma du Niger.

Ces premiers secours qui annoncent d’autres dégâts

En attendant, le Burkina Faso a déjà mis en place un Projet de lutte contre la chenille légionnaire d’automne. Il est coordonné par Lucien Sawadogo, par ailleurs Ingénieur agronome à la direction de la protection des végétaux et du conditionnement à Ouagadougou.

A l’en croire, la lutte contre l’invasion de la chenille légionnaire a d’abord consisté à l’utilisation de pesticides et se projette ensuite sur la vulgarisation des méthodes naturelles. « Quand on fait face à une situation d’invasion, la méthode de lutte la plus efficace que l’on préconise dans un premier temps, c’est la lutte chimique », explique-t-il.

A travers cette lutte chimique, plusieurs tonnes de pesticides ont été utilisées dans le pays. En 2018, par exemple, le ministère de l’agriculture, à lui seul, a effectué une dotation de 200 000 litres de pesticides dans les zones de production touchées par le nuisible. Cette riposte, selon Lucien Sawadogo a permis d’amoindrir la capacité de nuisance de la chenille en réduisant les surfaces infestées à moins de 100 000 hectares au cours de la campagne 2018-2019.

Plusieurs marques de pesticides sont disponibles

Sauf que les pesticides utilisés étaient initialement destinés au traitement du coton et des cultures maraichères. La PROPHYMA (une entreprise de distribution d’intrants agricoles et animaux) annonce l’arrivée de pesticides formulés spécifiquement pour le traitement de la chenille destructrice de céréales en 2020.

Contrairement à ses concurrents, l’entreprise SAPHYTO procède à la formulation de ses produits sur place dans la ville de Bobo-Dioulasso. Mais que ce soit les matières premières ou les produits finis, les pesticides chimiques proposés au Burkina Faso proviennent généralement des continents européens et asiatiques.

https://youtu.be/vPtXZ-dQ5N8

La riposte contre l’invasion de la chenille implique des charges supplémentaires pour les agriculteurs en termes d’efforts physiques. Et le traitement d’un champ infesté nécessite surtout l’achat de pesticides. Dans la ville de Bobo-Dioulasso, plusieurs marques de pesticides sont disponibles sur le marché, avec d’une part des produits bio et d’autre part des produits chimiques.

La société PROPHYMA, qui se réclame « leader » de la commercialisation des produits de traitements anti-chenille dispose d’un kit de 4 traitements dont les prix vont de 13.500 à 17.500 francs CFA par hectare pour les produits chimiques et des coûts  allant de  48.000 à 52.000 francs CFA par hectare pour les produits bio.

L’utilisation de produits phytosanitaires nécessite également le respect de l’itinéraire technique. Pour mieux le réussir, l’entreprise Saala Monde Rural propose un accompagnent technique aux producteurs.

A qui profite la chenille ?

Malgré les dégâts écologiques et les pertes considérables chez les producteurs, la chenille ne fait pas que des malheurs. Elle génère aussi une manne financière repartie entre les acteurs de la chaine de production et de distribution d’intrants et de matériels de traitement des nuisibles. Selon un expert qui a requis l’anonymat, le coût de traitement des 356.800 hectares de cultures infestées au cours de la campagne 2018-2019 se chiffre à environ 3.568.000.000 de francs CFA.

Cependant, Lucien Sawadogo, le coordonnateur du Projet de lutte contre la chenille légionnaire d’automne, annonce que des méthodes  de lutte écologiques contre la chenille sont en phase d’expérimentation à l’Institut national de l’environnement et de la recherche agricole (INERA). Il s’agit de l’utilisation du sable fin, de l’eau simple, de l’huile de neem et du Push-Pull.

« Le Push-pull a permis un taux de succès de 100% »

Le professeur Karamoko Diarra du Sénégal définit le Push-Pull comme étant une forme de végétalisation qui favorise le développement de beaucoup d’ennemis naturels contre la Chenille légionnaire.  Cette technique agro écologique consiste à planter des herbes qui sont censées repousser les ravageurs et d’autres herbes qui sont censées les attirer. Toujours est-il que les larves des ravageurs  sont tuées une fois au  niveau de ces herbes.

En d’autres termes, c’est au milieu de ces herbes qui sont en fait des plantes pièges qu’on sème le maïs. Grâce à la méthode Push-Pull, d’autres insectes (des ennemis naturels) s’attaquent  aux chenilles et les détruisent de la même manière que le ferraient les pesticides.

« Contre toute attente, l’utilisation du Push-Pull dans un champ-école nous a permis d’avoir un contrôle à 100% en l’espace de trois semaines. Mais au-delà de l’effet Push-Pull, la végétalisation du maïs favorise le développement des ennemis naturels. In fine, il y a de l’autocontrôle et la nature fait son travail », conclut le professeur Karamoko Diarra.

A quand la fin de la chenille ?

Dès la campagne 2017-2018, le Burkina a mobilisé des moyens importants qui ont permis de mettre les équipes de lutte sur le terrain pour appuyer les directions régionales et la formation des agents qui ont par la suite effectué un transfert de technologies aux producteurs sur comment gérer ce nuisible.

L’Etat a mobilisé un budget dont 500 millions de francs CFA ; rien que pour les pesticides. L’élaboration d’une stratégie nationale d’une gestion durable de la chenille légionnaire d’automne. C’était une recommandation de la conférence sous régionale organisée par le CILSS et le Burkina était déjà en avance.

Le Burkina dispose de cet outil qui a été validé le 29 mai 2019 au plan national. Il est assorti d’un plan d’action d’un cout de 16 milliards pour une durée de 5 ans. Il comprend toutes les composantes notamment la recherche, l’appui aux producteurs et l’organisation de la lutte.

Sur financement de la BAD, la FAO a accordé une enveloppe de 2 milliards de francs CFA au Burkina Faso dans le cadre de la lutte contre la Chenille légionnaire. Au plan régional, la contribution de la FAO, selon  son coordonnateur Robert Gouantoueu Guei, s’élève à 25 milliards de francs CFA.

Mais ces ressources suffisent-elle pour vaincre le ravageur ?

Aminata SANOU

Correspondante de Burkina 24 à Bobo-Dioulasso

(*NB : Cette enquête a été réalisée dans le cadre du PAGOF en partenariat avec CFI Média International, vous pouvez retrouver des articles similaires à la radio Bagrépole  et au journal  le Quotidien)

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Rédaction B24

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