Ici Au Faso : « Si la forge meurt, c’est toute une philosophie qui va s’éteindre » (KPG)
La forge, une veille pratique dans les sociétés africaines, se trouve en difficulté. Pour parler de ce milieu autrefois incontournable, nous avons rendu visite à Pingdéwindé Gérard Kientega alias KPG, né à Arbollé, dans le nord du Burkina Faso. Il nous parle de ce métier à cœur ouvert…
KPG de son vrai nom Kientega Pingdéwindé Gérard, est né à Arbollé dans la province du Passoré, d’une famille forgeronne. Il est conteur, écrivain, metteur en scène burkinabè. Il dit être forgeron de nature car, pour lui, c’est une mission, un devoir pour sa famille et ses ancêtres de préserver la sécurité à travers la transformation et le remodelage du fer.
« Comme dans toutes les sociétés, tout se dynamise et évolue. La forge, malheureusement, a refusé de suivre cette évolution. C’est pourquoi on tente aujourd’hui de lui donner sa place. Ce qu’il faut savoir, c’est que le forgeron et la forge jouent un rôle très important dans la société.
C’est le forgeron qui jouait le rôle du médiateur dans nos sociétés anciennes. C’est dommage qu’aujourd’hui dans nos sociétés dites modernes, on ne tient pas compte de ces réalités, c’est pourquoi aujourd’hui, le forgeron ne joue pas son rôle philosophique », explique KPG.
A l’entendre, au-delà de l’aspect philosophique, les côtés technique et pratique sont également restés en marge de l’évolution technologique ; d’où la nécessité de revoir les politiques dans ce secteur.
« C’est vrai qu’il y a certains qui essayent d’innover mais il faut dire que comme ce n’est pas structuré, cela reste difficile. C’est dans cette même dynamique d’innovation que j’ai créé mon atelier. On ne peut pas comprendre que nous ayons découvert le fer huit siècles avant Jésus-Christ et que nous achetons toujours du fer,… c’est inadmissible.
S’il y avait des innovations, nous allions extraire nos propres minerais pour travailler avec et cela est faisable. Moi, j’aurais aimé un produit aussi fabriqué au Burkina, homologué à notre nom comme les Toyota et autres. Il y a des techniques que nos ancêtres utilisaient, mais au nom d’une quelconque modernisation, nous avons délaissé cela et le milieu souffre maintenant », déplore-t-il.
Concernant la question de comment trouver des solutions à tous ces maux, Gérard Kientega propose aux acteurs y compris sa personne, de faire une halte pour voir ce qui n’a pas marché, pour comprendre quel niveau les ancêtres ont atteint et essayer de réadapter aux nouvelles réalités de la technologie.
« Les autres l’ont également fait pour parvenir aujourd’hui à des usines modernes. Être forgeron, c’est au-delà de frapper sur du fer et transformer la matière. C’est une charge, un état d’âme, une philosophie et une science que nous tentons de transmettre.
Il faut que les Africains se réveillent, il faut qu’on n’attende rien des autres. Il faut vivre avec nos valeurs. Vous savez, même l’insécurité aujourd’hui, c’est parce que nous avons oublié beaucoup de nos valeurs », poursuit le forgeron.
A ces solutions, cet artiste dit passer également par les contes pour mener ce combat de redynamisation de la forge au Burkina.
« Mon souhait aujourd’hui, c’est que tous les forgerons s’arrêtent pour réfléchir à comment faire pour avancer, travailler ensemble pour ce secteur très important. Et c’est pour ça que j’ai lancé mon appel au projet d’ailleurs.
La forge et le conte sont liés. Par le conte, j’inculque la partie philosophique de la forge à ceux qui m’écoutent. Les outils des forgerons vont te permettre de guider ta vie… En gros, c’est de la pratique au spirituel », ajoute-t-il.
Également fondateur et directeur du centre culturel Koomdi à Arbollé, ce quadragénaire, depuis 2001, anime des ateliers et fait de sa plume une source d’interpellation et de sensibilisation.
En 2017, il écrit ‘Kosyam’ qui évoque le renversement du président Blaise Compaoré. Actuellement, il tient un atelier de formation en forge à l’égard des jeunes surtout de la culture orale.
« En Afrique, on pense toujours qu’on est petit. Si on continue sur cette lancée, la forge va s’éteindre. Si la forge meurt, c’est toute une culture et une philosophie qui vont s’éteindre ; et cela serait dommage… », prévient KPG.
Abdoul Gani BARRY
Burkina 24
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