Tribune | En attendant les « preuves édifiantes »… (Yoporeka Somet)

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Ceci est une tribune de Yoporeka Somet, Professeur, Dedan Kimathi University of Technology, Nyeri/Kenya, sur l’actualité au Burkina Faso.  

En attendant toujours les preuves qui devraient nous « édifier définitivement » sur cette énième tentative supposée de déstabilisation de la Transition, des opérations d’enlèvements ont touché plusieurs officiers et civils le dimanche 14 janvier2024 à Ouagadougou.

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Sur plusieurs réseaux sociaux, le cerveau de ce nouveau complot ne serait autre que l’ancien Président de la Transition le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, toujours réfugié à Lomé au Togo, suite à son renversement par le MPSR2. Dans un communiqué daté du 18 janvier, le gouvernement burkinabè mentionne, sans plus de détail, « un réseau de déstabilisation » qui devait « créer des troubles favorables à l’intervention d’un commando venu de l’extérieur ».

Autant le dire tout de suite : à supposer même qu’il en ait eu la volonté, je ne crois pas du tout en la capacité opérationnelle de l’ancien Président Damiba à organiser, de là où il se trouve actuellement, une action de déstabilisation contre les dirigeants actuels. Et j’ai encore plus de mal à croire en sa capacité d’entraîner à sa suite, la dizaine de personnes civiles et militaires qui ont été mises aux arrêts ce dimanche.

Beaucoup parmi « ceux qui gardent les ronds-points » se réjouissent et applaudissent chaque fois qu’il y a de tels enlèvements extrajudiciaires, quel que soit le prétexte. Je pense qu’ils se trompent lourdement et entraînent dans leur erreur ceux qu’ils croient soutenir et protéger. Force doit rester à la loi ; et la loi, ce n’est ni l’arbitraire, ni la volonté d’un seul homme, fut-il le chef de l’État.

Le hasard fait que j’ai eu l’occasion de rencontrer l’un des officiers arrêtés dans le cadre de cette affaire, il y a un peu plus d’un mois, lors d’un court séjour au pays. J’avais alors accepté l’invitation d’une petite association dénommée YIKRÉ (se tenir debout, en langue moore) qui fait, avec peu de moyens, des choses tout simplement extraordinaires.

Je n’avais jamais entendu parler de cette association avant qu’elle me contacte pour prendre part à un Talk-Show en ce début décembre. Le sujet pour lequel j’ai été sollicité concernait, pour aller vite, l’actualité de l’Égypte ancienne et la manière dont elle pouvait inspirer la renaissance africaine. C’est une invitation qu’il m’était difficile de décliner, malgré un agenda très chargé. J’ai donc considéré cela comme une contribution au combat pour la liberté.

L’événement, baptisé « Tedx Ouagadougou 2023 » eut lieu le jeudi 7 décembre à Canal Olympia, à Ouaga 2000, à la grande satisfaction des organisateurs et des spectateurs venus nombreux. C’est en sortant de cette présentation que j’eus la surprise d’être présenté au Lieutenant-Colonel Evrard Somda, par un ami commun venu lui-aussi assister à ma présentation.

Comme beaucoup de Burkinabè, je connaissais bien sûr la réputation de ce jeune officier courageux et dévoué, sans l’avoir jamais rencontré auparavant. J’ai entendu son nom et eu vent de ses actions héroïques pour la première fois lors de la résistance au coup d’État du Général Diendéré en septembre 2015, puis lors des attentats terroristes de janvier 2016 et août 2017 sur l’avenue Kwame Nkrumah. Ces événements malheureux ont inscrit dans mon esprit la figure légendaire d’un jeune officier patriote prêt à donner sa vie pour son pays et la cause qu’il a choisie de défendre.

Conformément à l’image décalée que je m’étais fabriquée de lui, je m’attendais donc à voir ce soir-là plutôt un monsieur de grande taille, fort et baraqué. Au lieu de cela, c’est un jeune homme un peu frêle et de taille moyenne qui se tenait devant moi, avec un large sourire, les yeux pétillants d’intelligence, le tout sur un visage d’enfant. Il s’est mis à me parler longuement, disant être venu pour me remercier de tout ce que je faisais.

J’étais surpris, voire un peu gêné. Et comme il ne s’arrêtait pas de parler, j’essayai de l’interrompre, en lui parlant en langue dagara, pour dévier la conversation sur des présentations réciproques plus formelles. J’ai ainsi donné le nom du village de mes parents en lui demandant de quel village il venait, et de quelle famille (chez les dagara, deux personnes même inconnues l’une de l’autre sont frères dès lors qu’elles appartiennent à la même famille : kpièlè, kusiele, mètuolè, etc.). A ma grande surprise, il répondit que ses parents étaient originaires de Kpaï, le village où j’ai passé une partie de mon enfance.

Pour en apprendre plus sur lui, j’ai alors proposé que nous allions ensemble, avec les deux autres amis, prendre un verre. Il se faisait déjà assez tard, peut-être 23h ou minuit. Il s’excusa en expliquant qu’il ne pouvait pas rester « tard dehors » en raison de la situation, mais qu’il trouverait un moment pour m’inviter à déjeuner…

C’est ainsi qu’avec les deux mêmes amis communs, nous nous rendîmes le dimanche suivant à son invitation. La rencontre fut cordiale, simple et chaleureuse, avec une très agréable ambiance, comme si nous nous connaissions de longue date… J’en suis reparti avec une impression positive renforcée, en raison de la qualité de nos échanges et de la bonne impression qui s’en dégageait.

Tout ceci pour dire, en me fondant sur mes seules impressions, que je ne crois pas un seul instant qu’un jeune homme aussi intelligent, compétent, patriote et intègre ait pu concevoir, même pendant une fraction de seconde, un projet aussi fou et stupide que d’opérer un coup d’État. Je ne crois pas davantage à l’hypothèse plus absurde encore qu’il ait pu être entraîné dans ce projet de déstabilisation par l’ancien président Damiba, à qui tout l’oppose, ou par une quelconque puissance impérialiste. Ce serait, là aussi, faire injure à son intelligence.

Ce que tout le monde sait, en revanche et de façon péremptoire, c’est qu’aussi bien le MPSR1 que le MPSR2 ont été auteurs de coups d’État avérés et consommés. Le philosophe Kant (1724-1804) a écrit que « le réel ne contient rien de plus que le simple possible ». Mais ceci n’est qu’un sophisme dont il s’est lui-même rendu compte puisqu’il précise immédiatement qu’avec 100 thalers réels, on achète infiniment plus de choses qu’avec 100 thalers possibles ! Donc, que je sache, un coup d’État « possible » n’a jamais carbonisé aucun convoi présidentiel par un tir d’hélicoptère de combat, ni entraîné la déstabilisation des institutions d’aucun pays…

À l’opposé du MPSR1 et 2, le Lieutenant-Colonel Somda n’a jamais, quant à lui, ni de près, ni de loin participé à aucun coup d’État. Il a, au contraire, comme nous l’avons déjà dit, été du côté des officiers patriotes qui se sont opposés au coup d’État réactionnaire des Généraux Diendéré et Bassolé en septembre 2015. Par conséquent, son attitude est cohérente, républicaine et digne de respect.

C’est peut-être bien pour cette raison qu’il fait tellement peur, au point qu’on ait eu besoin de mobiliser une véritable armada pour aller l’enlever, à son domicile, en brutalisant sa femme et ses enfants, là où une simple convocation aurait suffi. En ce qui me concerne donc, et sans connaître l’état d’esprit de l’armée burkinabè en ces moments de très grandes difficultés, je ne crois pas qu’un officier digne de ce nom puisse vouloir s’en prendre aux autorités actuelles de la Transition, surtout à moins de six mois de la fin de celle-ci.

Mais si un tel risque existait, ce qu’à Dieu ne plaise, il ne pourrait venir que de l’intérieur même du MPSR2 comme on l’a déjà vu avec le MPSR1. Et encore une fois, il y a beaucoup mieux à faire pour une armée qui se respecte, qui a encore le sens de l’honneur et de la patrie et surtout, qui a tant à faire sur le terrain du seul combat qui vaille.

Il faut donc le dire, le redire et le répéter, même si cela doit déplaire : ce qui se passe actuellement au Burkina où l’autorité et les moyens de l’État sont mobilisés en permanence pour traquer de simples citoyens est grave, indigne et inacceptable. La lutte pour la reconquête du territoire national ne doit, en aucun cas, être un prétexte pour intimider, museler, traquer et procéder à des enlèvements de citoyens en raison de leurs opinions et en dehors de tout caractère légal. Il est tout simplement illusoire de vouloir gagner la guerre contre le terrorisme qui endeuille chaque jour nos compatriotes toujours plus nombreux, en voyant des ennemis imaginaires partout en ville.

Il est encore temps d’avoir le courage de regarder les choses en face et de tirer les conclusions qui s’imposent : aucune armée qui est plus préoccupée à se combattre elle-même ne peut gagner même une bataille, à plus forte raison le type de guerre asymétrique qui est menée contre nous. Il faut donc se recentrer, sans délai, autour des objectifs de la Transition au lieu de sombrer dans la paranoïa du complot permanent et de glisser ainsi lentement mais inexorablement vers une dictature à la Blaise Compaoré.

Yoporeka Somet,

Professeur, Dedan Kimathi University of Technology, Nyeri/Kenya.

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