Au-delà de la tragédie, la résilience des personnes déplacées internes à Kaya
La résilience des victimes du terrorisme au Burkina Faso est une véritable leçon de courage. À Kaya, dans la région du Centre-Nord, ville accueillant un grand nombre de personnes déplacées internes (PDI), hommes et femmes témoignent chaque jour de leur capacité à reconstruire leur vie. Malgré les épreuves, ils font preuve d’une détermination sans faille pour bâtir à nouveau leur existence.
Le doux parfum qui nous accueille fait penser à la grillade. C’est juste. En s’approchant, on peut apercevoir une dizaine d’hommes, tous occupés. Sur une grande table, certains entaillent des carcasses prêtes à passer sur la braise. D’autres veillent sur les brochettes en les badigeonnant d’huile ou de marinade. Le parfum de ses spécialités, brochettes, viande grillée, embaume progressivement la ville de Kaya le 5 juillet 2024.
Au milieu de cette ambiance, un homme supervise. C’est Zounogo Sawadogo. Il est le promoteur de la boucherie Peng-Wendé au secteur N°6 à Kaya. Originaire de la zone Barsalogho, il explique qu’il prospérait dans la boucherie. Il gérait une boucherie héritée de son père, où il travaillait avec sa famille.
Les attaques terroristes et l’insécurité croissante les ont contraints, lui, sa famille et ses 7 enfants, à se retrouver à Kaya dans la région du Centre-Nord depuis maintenant 4 ans. Zounogo a dû abandonner son commerce florissant, sa maison et tout ce qu’il avait construit au fil des ans.
À Kaya, il s’est retrouvé sans ressources financières suffisantes. Fort de ses connaissances en boucherie, il a décidé de saisir cette opportunité pour rebondir. « C’est l’insécurité qui nous a conduits à Kaya. En venant à Kaya, je ne connaissais personne. J’ai laissé derrière moi mon troupeau de bœufs et de moutons et même nos vivres. Ici la vie est très dure. Là-bas je faisais beaucoup de choses (l’élevage, l’agriculture, le commerce et la boucherie). Mais ici, c’est uniquement la boucherie.
On souffre ici avec la boucherie notamment le manque de matière première. Ce sont avec les convois militaires que l’on pouvait avoir du bétail. Mais, le convoi peut prendre presque un mois. C’est difficile d’obtenir des animaux pour la boucherie et c’est beaucoup cher. Je fais des brochettes, je vends la viande fraiche et grillée.
C’est uniquement avec la boucherie que j’entretiens mes 7 enfants et ma femme. Ici, l’intégration se passe bien. Je n’ai jamais eu de soucis, des difficultés particulières avec quelqu’un. Jusqu’à présent, ça va. Il n’y a pas de discrimination. Je rends grâce à Dieu », souligne-t-il en aiguisant deux machettes.
Les souvenirs de cette fuite sont encore vifs dans son esprit. Il se souvient des femmes, chargées de leurs biens les plus précieux, qui ont été obligées de traverser les champs, ballottées dans des charrettes branlantes, tandis que les hommes, chargés de protéger leurs familles, ont dû fuir à toute vitesse, laissant tout derrière eux. C’était une course contre la montre, une lutte pour la survie.
Appel à tous les déplacés internes
Grâce à la boucherie, il a pu réaliser son rêve d’acquérir un lopin de terre et ainsi s’installer durablement. Le fruit de son travail acharné lui a permis de quitter sa location et de construire sa propre maison. Cette acquisition représente pour lui bien plus qu’un simple bien immobilier ; c’est un symbole de renaissance et d’espoir.
Malgré les difficultés rencontrées, Zounogo Sawadogo ne perd pas de vue ses objectifs. Il envisage d’élargir ses horizons en diversifiant ses activités et en développant son entreprise. Ambitieux, il souhaite faire grandir son commerce et devenir une référence dans le secteur de la boucherie à Kaya. Avec beaucoup d’énergie, il compte bien saisir toutes les opportunités qui se présenteront à lui.
« Je lance un appel à tous les déplacés internes : mettons à profit nos compétences et notre savoir-faire pour reconstruire nos vies. Que ce soit en reprenant nos activités d’agriculture, d’artisanat ou de commerce, chacun peut contribuer à sa propre autonomie et à celle de sa communauté. Évitons de rester passifs et attendant de l’aide extérieure. En agissant, nous préservons notre dignité et donnons l’exemple.
J’invite également l’ensemble de la population, les autorités, les organisations humanitaires et les communautés d’accueil à se mobiliser à nos côtés. Ensemble, nous pouvons construire un avenir meilleur. Que ce soit en créant des emplois, en partageant des ressources ou en offrant un soutien moral, chaque geste compte.
Malgré les épreuves que nous traversons, nous ne devons pas perdre espoir. En travaillant ensemble, nous sortirons plus forts de cette crise. Ensemble, nous vaincrons le terrorisme », explique le cuistot tout en veillant sur la viande au feu.
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Si Zounogo Sawadogo a trouvé dans la boucherie un moyen de subvenir aux besoins de sa famille, les femmes, elles, ont choisi de mettre à profit leurs talents artisanaux pour s’insérer dans leur nouvel environnement.
En outre, on a tendance à dire que la pauvreté a un visage féminin. La vie des femmes déplacées internes (PDI) au Burkina Faso est particulièrement difficile en raison de la double vulnérabilité liée à leur statut de déplacées et à leur genre.
Malgré les épreuves qu’elles traversent, les femmes déplacées internes au Burkina Faso font preuve d’une résilience remarquable. Elles développent des stratégies créatives pour s’adapter à leur nouvelle réalité. Ces initiatives leur permettent non seulement de subvenir à leurs besoins mais aussi de renforcer leur estime de soi et de contribuer à la reconstruction de leurs communautés.
Dans la région du Centre-Nord, un véritable havre de résilience s’est érigé : la maison des femmes. Ce centre de formation, dédié spécifiquement aux femmes, est devenu un phare d’espoir pour celles déplacées par la crise. Pour mieux comprendre leur parcours et admirer leur détermination, nous nous y rendons
A notre arrivée, c’est le cliquetis des lisses, le battement du peigne, et le va-et-vient fluide de la navette qui crée une mélodie. Dès l’entrée, on est frappé par l’organisation soigneuse de l’atelier. Pas de temps d’une causerie, elles ne pipent mot. Elles ont décidé de s’adapter à leur nouvelle vie. Information prise après moults tentatives, nous apprenons que ces femmes sont originaires de la zone de Namissiguima, de Kelbo, de Barsalogho, de Foubé et partagent désormais la même histoire à Kaya.
Christine Dianda/Sanou est une formatrice en métier à tisser et en teinture au niveau du centre. Elle accepte sacrifier une partie de son temps pour une causette. A 66 ans, transmettre le savoir est une passion pour elle. Chargée de la formation des PDI au centre du ministère chargé de l’action humanitaire, elle encadre 45 femmes, toutes des déplacées internes.
Elle relève qu’une femme doit toujours apprendre à faire quelque chose avec ses 10 doigts et ne pas compter uniquement sur n’importe quelle assistance.
Des détails dans cette vidéo ⤵️
« Je suis tisseuse depuis pratiquement trente ans. Actuellement, je suis dans la formation mais j’ai mon propre atelier. Ici, mon travail, c’est d’apprendre aux femmes comment utiliser le métier à tisser et la confection des différents motifs. Pour leur installation, ce sont d’autres structures qui font souvent des dotations en équipements », confie-t-elle.
Fatimata Sébogo est originaire de Tougri. Assise devant un métier à tisser, elle travaille avec minutie, entrelaçant les fils pour créer des étoffes aux motifs inspirés de son village natal. Comme beaucoup d’autres femmes, elle a été contrainte de fuir son domicile avec ses cinq enfants à la recherche d’une zone plus sécurisée à cause des attaques répétées des terroristes. Les violences et les menaces vécues ont fait de sa vie une lutte pour la survie.
« C’est l’insécurité qui nous a conduits à Kaya. C’est un jour, ils (des hommes armés) sont venus nous dire de partir sur le champ. En même temps, nous avons commencé à emporter ce que nous pouvons. Nous avons tout abandonné. Avant, je n’avais pas besoin d’assistance, mais ici je dois tout réapprendre comme une enfant », relate-t-elle.
Elle relève que c’est la famille d’un parent de son mari qui a leur servi de famille d’accueil avec ses 5 enfants. Pour elle, toute personne doit s’adapter à sa nouvelle vie. Ainsi, elle décide d’apprendre le tissage.
« A Tougri, j’étais commerçante. Je vendais des condiments. Arrivée à Kaya, j’ai opté de faire le métier de tisseuse. Je pense qu’après une bonne maitrise des rouages, je vais prendre en charge ma famille et soutenir mon mari. Actuellement, je n’ai pas encore commencé à tisser pour mon propre compte. Comme c’est le début, je n’arrive pas à obtenir de marchés », fait-elle savoir avec espoir.
Selon le plan national de réponse humanitaire, à la date du 31 mars 2023, le rapport du Secrétariat Permanent du Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (SP/CONASUR) fait état de 2 062 534 Personnes Déplacées Internes (PDI), dont 47,25 % d’hommes, 52,75 % de femmes et 58,50% d’enfants. Au même moment, à la date du 30 juin 2024, il est enregistré le retour progressif de plus de 770 000 personnes issues de 120 000 ménages.
La résilience des PDI est indéniable. Cependant, il est essentiel de souligner que leur intégration complète nécessite un soutien continu de la part des autorités, des organisations humanitaires et de la société civile.
Jules César KABORE
Burkina 24
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