Hadj 2015 : « Notre encadreur nous a abandonnés » à La Mecque
5.550 Burkinabè s’étaient inscrits pour accomplir le 5e pilier de l’Islam cette année. Le dernier vol retour a atterri le 21 octobre 2015 à Ouagadougou sans 45 pèlerins (voir encadré 3). Arrivés à bon port le jeudi 15 octobre, El Hadj Salif Kaboré et El Hadj Karim Derra, à la tête d’un groupe de pèlerins, éprouvent cependant des sentiments de frustration sur l’organisation du Hadj 2015. Ils dénoncent une « irresponsabilité » de la part des organisateurs. Nous avons approché les différents protagonistes qui n’ont guère cessé de se renvoyer la balle de la responsabilité.
Au Burkina, la question de l’organisation générale du Hadj 2015 taraude l’esprit. Certains aspects au niveau de l’organisation du pèlerinage sont de plus en plus dénoncés.
Tout est parti du lundi 19 octobre 2015, lorsque deux El Hadj, Salif Kaboré et Karim Derra à la tête d’un groupe de pèlerins, la gorge nouée par une frustration de leurs attentes, signalent des « insuffisances criardes » sur l’organisation du pèlerinage.
« Nous n’avons pas pour ambition de détruire l’affaire de quelqu’un… Nous dénonçons seulement une irresponsabilité de la part des organisateurs du Hadj, notamment les agences de voyage et surtout le Comité national de suivi du pèlerinage à La Mecque.
Nous savons que même si l’agence de voyage incriminée n’est pas la meilleure, peut-être qu’elle n’est pas la pire. Mais en toute chose, il peut y avoir des améliorations. C’est des vœux et des souhaits que nous voulons émettre à l’intention de nos frères et sœurs en Islam », précise d’ores et déjà El Hadj Kaboré, sous l’acquiescement de son compagnon, El Hadj Derra.
Ces derniers souhaitent que les organisations islamiques, le Comité de suivi et les agences de voyage s’investissent davantage dans l’organisation du Hadj afin que les « souffrances soient minimisées » pour les prochains pèlerins. Ils ne dédaignent pas cependant de voir publier les rôles et attributions du Comité de suivi et le contrat qui le lie à l’avionneur.
Contactée, la Fédération des associations islamique du Burkina (FAIB) rétorque. Cinq de ses membres font déjà partie du Comité national de suivi. Il faut noter qu’il y a par ailleurs des responsables d’agences de voyage qui font également partie de la FAIB.
Des grincements de dents, le jour de la montée sur Arafat !
« A travers des communiqués, on affirme que toutes les garanties sont prises pour assurer les déplacements interurbains jusqu’aux lieux saints. Et une fois sur place, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Les gens sont obligés de dépenser des sommes faramineuses à travers des frais de taxi et autres pour pouvoir effectuer les différents rites. Cela n’est pas juste. Ce n’est que de la publicité mensongère », s’insurge El Hadj Derra.
Et à M. Kaboré de renchérir que le jour de la montée sur Arafat, ils se sont retrouvés sans car et personne parmi eux ne connaissait le lieu du rite : « Notre seule chance, surtout qu’il y a la barrière linguistique, c’est parce que nous sommes des intellectuels et nous sommes déterminés… On (une dizaine de personnes) a donc cotisé et fait arrêter un bus qui nous a amenés jusqu’au site du Burkina Faso. Chacun a déboursé environ 10.000 FCFA ».
Et les encadreurs, où étaient-ils ? « Ils avaient tous disparu (rires). Je vous explique. Au fait, à chaque arrêt de bus, les gens se ruaient comme du bétail… Ce qui est impressionnant, quand notre encadreur a senti qu’il risque de ne plus avoir de car, il a d’abord proposé que certains montent sur les toits des cars pour effectuer le déplacement, avant de disparaître en s’engouffrant dans le dernier car et surtout en abandonnant tout le groupe restant (une cinquantaine de personnes). Notre encadreur nous a abandonnés », relate El Hadj Karim Derra.
Il ajoute avoir « surpris l’encadreur en train de ranger son porte-voix pour que l’on ne sache même plus que c’est lui l’encadreur ». M. Derra pense qu’il suffisait pourtant d’une réorganisation sur place pour trouver une solution.
Achat de moutons. Des pèlerins auraient aussi remis leur argent aux encadreurs afin qu’ils payent leurs moutons de sacrifice. « Je vous assure, jusqu’à notre retour à Ouaga, ils n’ont vu, ni le reçu de payement pourtant promis, ni le mouton. Est-ce que leurs moutons ont été achetés ? Nous n’en savons rien. Ce qui est sûr, il y a un certain tâtonnement de la part des encadreurs, qui n’inspire pas confiance », déclare M. Derra.
La question sanitaire. La « nonchalance » dans la prise en charge des pèlerins, selon les plaignants, a contribué à mettre certains sur un grabat.
Il suppose que le personnel sanitaire devrait y être préparé. Mais que nenni ! « Ils n’ont rien prescrit à personne », dit-il. Et qu’en plus, les autres pays étanchaient la soif de leurs pèlerins avec de l’eau minérale. Ce qui ne serait pas le cas au niveau de leur agence (NDLR : Sana voyage) qui aurait déposé des cruches remplies d’eau du robinet.
« C’est le même raccord utilisé pour faire les ablutions qui a été utilisé pour remplir ces cruches. Ça c’est un comportement irresponsable, surtout au nez et à la barbe du Comité de suivi », affirme-t-il.
Report récurrent des dates. Il faut rappeler que la date de départ du premier vol des pèlerins burkinabè avait été reportée de deux jours et également celle de retour repoussée de trois jours. El Hadj Derra et Kaboré jugent l’affaire louche.
Selon eux, il est inadmissible que ce soit après le départ des pèlerins, pratiquement à la fin du Hadj, que l’on négocie le retour. Ils estiment que tout cela peut être programmé comme dans un voyage normal. Ils ont également posé la question des pénalités de retard.
« Où sont-elles rentrées ? Il faut que ça aille au Trésor public… On ne va pas accuser quelqu’un gratuitement. Ils n’ont qu’à prouver que ce qu’ils ont fait-là, c’est honnête, clair et limpide. C’est une question de foi et de spiritualité. Donc, il n’y a rien à cacher », suppute M. Kaboré.
Et les pèlerins des autres agences, se plaignaient-ils ? El Hadj Derra répond : «Oui. J’ai eu à échanger avec des pèlerins d’autres agences, mais ces derniers reprochaient plutôt leur lieu d’hébergement qui était véritablement insalubre ».
Des responsabilités
Rencontré le 22 octobre 2015, le Président directeur général de Sana Voyage, El Hadj Abdramane Sana, affirme qu’il n’est pas, lui non plus, satisfait de l’organisation du Hadj 2015. « Depuis que nous sommes dans le milieu, nous n’avions jamais vu une telle mauvaise organisation », confie-t-il.
M. Sana, le premier responsable de l’agence incriminée, réfute cependant la plupart des problèmes évoqués par ces pèlerins. Plaintes qu’il qualifie d’ailleurs de « geignements ». Pour lui, bien vrai que l’agence, sur le terrain depuis plus de 30 ans, ait besoin de critiques pour améliorer ses prestations, « mais ce que racontent ces pèlerins, c’est plutôt un montage ».
El Hadj Sana jette la balle dans le camp du Comité national de suivi. « C’est le Comité qui est derrière tout ça. Il est en train de fomenter un complot contre Sana Voyage », soupire-t-il. Recontactés, les pèlerins plaignants déclarent ne même pas connaître un seul agent travaillant au sein dudit comité.
Concernant le problème de car évoqué plus haut, le responsable de Sana voyage soutient que « hormis le lieu d’hébergement, l’agence n’a pas de car à La Mecque et que dans les différents cars, il n’y a pas de numéro spécifique sur les chaises… Tant pis pour les orgueilleux ».
Il faut préciser que l’encadreur est désigné par l’agence de voyage. À écouter M. Sana, ce dernier n’a aucun intérêt à fuir. Il illustre : « Selon vous, sur 60 pèlerins, s’il arrive que 50 personnes aient trouvé un car et 10 doivent patienter. L’encadreur doit-il abandonner les 50 qui ne connaissent pas le lieu du site ou bien il doit rester avec les 10 qui attendent ? »
Affaire d’insalubrité et achat des moutons. El Hadj Sana, qui dit être le premier à vouloir que l’organisation du Hadj change, juge chimérique le fait de boire l’eau du robinet à La Mecque qui selon lui est « très salée et impropre ».
A propos de la question des moutons, il se demande « comment eux (NDLR : Pèlerins plaignants) qui n’ont pas remis leur argent à l’encadreur, peuvent être convaincus qu’il y a eu des tractations entre les autres pèlerins et ce dernier ? ».
Nos multiples tentatives dans le but d’arracher quelques mots aux responsables du Comité national de suivi du pèlerinage concernant toutes ces informations n’ont pas abouti à grand-chose. Le Président dudit comité, Cheick Oumar Boni, nous a fait savoir qu’il devrait rendre compte d’abord au ministère de tutelle avant de nous revenir. Et nos relances après plusieurs jours n’ont jusque-là pas encore abouti.
Noufou KINDO
Burkina 24
Encadre 1 : Qui devrait organiser le hadj ? : La question se pose de plus en plus dans le milieu, même si elle n’est pas encore assumée. L’Etat doit-il organiser le hadj ? Certaines voix soutiennent que le rôle du Comité, c’est de suivre les pèlerins ou le pèlerinage et non de « jouer à l’organisateur ».
Citant l’exemple du pèlerinage chrétien (Rome, Yamoussoukro par exemple), des voix préconisent qu’il ait moins d’immixtion de l’Etat dans la gestion du hadj. Qu’au fait, le rôle de l’Etat devrait se limiter au niveau de l’appui des services techniques (santé, passeports, etc.), car des acteurs peuvent détourner de l’argent au nom de l’Etat.
(N.K)
Encadré 2 : Coût du Hadj 2015 : Le gouvernement burkinabè, dans un communiqué, avait annoncé une baisse de 180.000 FCFA sur le coût initial du hadj 2015. Ce prix, qui était fixé à 2.330.000 FCFA, est revenu à 2.150.000 FCFA. Ce coût se décomposait comme suit : (1) Billet d’avion : 2.030 dollars, soit 1.183.490 F CFA (au 30 juin 2015, date du choix du Transporteur officiel : Fly NAS Charter Aviation), (2) Prestations de l’agence de voyage : 815.000 F, (3) Séjour à Mina et Arafat : 126.000 FCFA (restauration, tentes et matelas). Cette somme était subventionnée par l’Etat lors des précédentes éditions du Hadj), (4) Variation du cours du dollar et frais de transfert des fonds sur les comptes des banques saoudiennes : 25.510 FCFA. Le communiqué avait déjà précisé toutefois que ce coût de 2.150.000 FCFA « n’inclut pas le prix du mouton qui sera payé sur place en Arabie Saoudite par le pèlerin lui-même ».
(N. K)
Encadré 3 : Chute de grue et bousculade à La Mecque : Le vendredi 11 septembre 2015, la chute d’une grue sur la grande mosquée de La Mecque (en Arabie Saoudite) a fait, selon un bilan estimatif, plus de 107 morts et au moins 238 blessés. Le Gouverneur de la Région de La Mecque, le prince Khaled Al-Fayçal, avait ordonné l’ouverture d’une enquête sur l’incident. Par ailleurs, la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire du Hadj, qui a eu lieu le 24 septembre dernier lors de la lapidation symbolique de Satan a fait plus de 1.750 morts (selon les différents pays) et de nombreux pèlerins sont toujours portés disparus. Lors de ce Hadj, le Burkina a enregistré 45 morts (25 morts et 5 disparus liés à la bousculade et 15 morts par suite de maladie). Un deuil national de trois jours avait par ailleurs été décrété par le gouvernement de la Transition en hommage aux pèlerins burkinabè ayant trouvé la mort lors du pèlerinage 2015. Rappelons que la précédente catastrophe la plus grave survenue lors du pèlerinage musulman remonte en juillet 1990 quand une bousculade dans un tunnel de Mina fît 1.426 morts dont la plupart était des asiatiques.
(N.K)
Encadré 4 : Le sort de la diaspora : Un autre sujet épineux était l’impossibilité pour la diaspora burkinabè de participer au Hadj 2015 en application de la nouvelle réglementation de l’Arabie Saoudite qui demande que chaque pèlerin effectue le Hadj à partir de son pays d’origine et ce pour un quota de 5.800 pèlerins.
Comment appliquer cette décision ? Comment repartir si au moins 10.000 musulmans burkinabè de l’étranger espèrent effectuer le pèlerinage à La Mecque ?
(N.K)
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