Le député Salam Dermé à propos de l’article 37: « Il faut s’en référer directement au peuple »

A la tête de la jeunesse du parti au pouvoir depuis le congrès de mars 2012, Salam Dermé est l’un de ceux qui ne fuient pas le débat et pour qui aucun sujet n’est tabou. Dans l’interview qu’il a accordée à Burkina 24, l’honorable député rappelle que la modification de l’article 37 est inscrite dans l’agenda de son parti. Mieux, il appelle la direction du parti à explorer les moyens pour cela et affirme le penchant de la partie jeune de ce parti pour un référendum qui départagera les différentes positions. Pour lui également, ceux qui voient dans le Sénat une institution budgétivore veulent manipuler les jeunes, tout en oubliant qu’elle va créer de l’emploi. La place des jeunes dans le parti, l’article 37, les marches-meetings de ces derniers jours et l’émergence de mouvements sociaux comme le Balai Citoyen, autant de sujets sur lesquels le député n’a pas manqué de mots ni d’arguments.

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Burkina 24: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et nous rappeler le rôle que vous occupez au sein des instances de votre parti ?

Dr Salam Dermé: Je suis le docteur Dermé Salam, pharmacien de formation. Je suis le secrétaire national chargé de la jeunesse du CDP. A la faveur des élections du 02 décembre 2012, j’ai été élu député à l’Assemblée nationale et présentement j’occupe le poste de deuxième secrétaire parlementaire, membre du bureau de l’Assemblée.

B24: Comment appréciez-vous la place des jeunes au sein de votre parti, en terme de responsabilisation?

Si vous avez suivi l’évolution du parti (Ndlr: le Congrès pour la démocratie et le progrès ) il y a eu une mutation. Le congrès de mars 2012, que nous qualifions d’historique nous a permis de réadapter notre organisation et notre appareil aux réalités sociales du moment. Nous avons adopté une nouvelle dynamique au CDP sans qu’il n’y ait de conflits de générations.

Cette nouvelle dynamique s’appuie sur la promotion de la jeunesse dans les sphères de décision du parti, dans les mandats électifs. C’est ainsi que je suis député au titre de la jeunesse.

Au sein de l’Assemblée, on peut dénombrer 4 ou 5 élus qui n’ont pas 45 ans (Ndlr: le critère de jeunesse au sein du parti étant d’avoir moins de 45 ans). Pour ce qui concerne les municipales, c’est là que vous voyez la responsabilisation des jeunes. A Ouagadougou, dans les 12 arrondissements, c’est-à-dire les 55 secteurs, si vous faites le point, plus de 50% des conseillers du parti sont des jeunes.

La vie politique a été mouvementée ces derniers temps, notamment par deux marches successives, celle de l’opposition le 29 juin, et celle de votre parti le 6 juillet. Que retenez-vous de ces deux manifestations?

Je ne voudrais pas qu’on compare les deux marches. L’opposition a appelé à une marche-meeting le 29 juin contre le Sénat, contre un certain nombre de questions de gouvernance, de vie chère. Nous, nous sommes sortis de façon gigantesque et massive pour montrer notre attachement à la paix, à la consolidation de la démocratie, et au développement. Le constat que je fais c’est que chacun a gardé sa position. Position qui est conférée par les récentes élections.

La mobilisation que vous avez vue, qu’elle soit de l’opposition ou du parti au pouvoir, si vous allez comparer de façon numérique, ce n’est qu’une reproduction de cette position que chacun occupe au sein de l’arène politique. Ce que je retiens aussi c’est que la marche que nous avons organisée le 06 juillet était une marche au cours de laquelle les populations, particulièrement les jeunes et les femmes, sont sorties massivement pour soutenir la paix.

Et le message qu’on a voulu transmettre c’est que le pays doit se construire dans le dialogue et dans le cadre des institutions républicaines. Il ne faut pas que des gens pensent qu’ils ont le monopole de la rue et que d’autres n’en ont pas.

A propos de votre marche-meeting, certains ont estimé, à la lecture de certaines pancartes et à entendre certains propos, que ce n’était pas une marche pour la paix, mais plutôt une provocation ou une réaction à la marche de l’opposition.

Je vous retourne la question: qui provoque qui ? Nous, nous sommes sortis pour marcher pour la paix, pour rappeler à toute la classe politique et à l’opinion nationale que le Burkina havre de paix, est entouré de pays en crise auxquels on ne souhaite pas ressembler.

Nous ne sommes pas sortis en réponse à qui que ce soit, mais au contraire, nous pensons que dans le cadre de la république, dès lors que l’élection est finie, et que le peuple a désigné sa majorité, les choses doivent se régler au sein des institutions républicaines. Si on quitte ces cadres, et on pense qu’il y a des possibilités de courte échelle, il est de notre devoir de montrer qu’à ce niveau également, nous sommes là.

Un des messages qu’on a pu lire sur les pancartes, était qu’on allait modifier l’article 37. Est-ce qu’il y a une position particulière des jeunes du parti et est-ce qu’il faut considérer qu’il s’agit d’une ambition du parti qui ne fait plus l’ombre de doutes ?

Vous savez, la constitution burkinabè, c’est un tout. Aucun texte n’est parfait et tout document, toute œuvre humaine est perfectible. Voilà pourquoi la constitution elle-même prévoit les voies de sa perfection, de sa modification. Donc pour moi, il faut que tous les acteurs politiques prennent la constitution comme un tout. On ne peut pas y choisir des articles qu’on aime ou qu’on sanctuarise et des articles qu’on ne veut pas qu’on mette en œuvre.

A propos par exemple du Sénat, la loi que nous avons adoptée le 21 mai, portant organisation et fonctionnement du Parlement, c’est simplement une mise en œuvre.

Sinon le Sénat est consacré par la Constitution à son article 78, depuis la loi modificative du 11 juin 2012, intégrant les réformes dites consensuelles du CCRP (Ndlr: Cadre de concertation sur les réformes politiques). Comment dans le même temps on peut accepter qu’il y ait une opinion qui est contre la mise en œuvre du Sénat et en même temps, qui dit: si vous parcourez la constitution, vous remontez  jusqu’à l’article 37, on ne doit pas toucher ?

Est-ce qu’il faut comprendre que vous vous contentez des possibilités juridiques de modifier l’article 37 ou alors, il y a une intention ferme à cela ?

L’article 37, pourquoi nous ne l’avons pas modifié en 2012 ? Parce que tout simplement au niveau du CCRP, c’est une réforme qui n’était pas consensuelle. Sinon, nous au sein de la majorité, au sein du CDP, c’était une résolution de notre 4e  congrès tenu en 2009.

Analysant les principes de la démocratie, nous sommes arrivés à la conclusion que toute tentative, visant, dans le cadre de la démocratie, le pouvoir du peuple par le peuple, à limiter le nombre d’un mandat électif, était purement et simplement anti-démocratique.

Notre premier responsable à l’époque (Ndlr: Rock Marc Christian Kaboré) l’avait dit. Ça c’est depuis 2009. Cette position a été réaffirmée au congrès extraordinaire de 2010 où nous avons investi notre  candidat. Nous sommes toujours sur cette position. Dans notre agenda politique, la modification de l’article 37 est à l’ordre du jour.

La modification de l’article 37 n’a pas fait consensus au CCRP et pour les réformes non consensuelles, le débat doit continuer, le dialogue doit se poursuivre.

En tant que premier responsable de la jeunesse du parti, nous nous demandons à la direction du parti d’explorer maintenant les voies et moyens pour la révision de cet article.

Et vous pensez à quelles voies ou à quels moyens ?

Quand vous parcourez la constitution, il y a plusieurs mécanismes pour modifier un article de la constitution. Mais nous, comme le processus de révision de l’article n’est pas en cours et que déjà ça cristallise les positions, nous, jeunesse du CDP, nous demandons à la direction de trouver les voies et moyens pour s’en référer au peuple directement.

Un référendum donc ?

Oui, un référendum. On peut consulter le peuple par ce moyen et c’est le peuple qui est le garant de la légitimité et de la légalité. Sinon d’autres voies existent. Mais comme déjà, avant même que le processus ne soit enclenché, ça cristallise les positions, il n’y a que le peuple pour départager ces positions. Et je sais que notre peuple est mûr. Contrairement à une certaine opinion, il n’y a pas de sous Burkinabè et de super Burkinabè.

L’un des arguments de ceux qui disent non au Sénat c’est que cette institution est budgétivore. En tant que jeune siégeant à l’Assemblée nationale, vous n’ignorez pas les problèmes auxquels la jeunesse burkinabè est confrontée: le chômage, l’enseignement supérieur, la formation professionnelle… Ne pensez-vous pas que cet argument pèse de tout son poids en faveur de l’abandon de ce projet de Sénat au profit d’autres priorités ?

Non. Je réponds non et je vous renvoie à la déclaration liminaire du notre premier responsable, le camarade Assimi Kouanda, à la conférence de presse que nous avons tenue après la marche. Le développement, c’est un tout. La démocratie c’est un critère même de développement. Et pour moi, le socle de la démocratie, ce sont les institutions. Il n’y a pas de démocratie sans institutions. On ne peut pas renforcer la démocratie sans élargir les cadres de dialogue. Le Sénat participe à cela.

C’est une analyse étroite que de penser que dans le cadre du budget de l’État, il faut déshabiller Pierre pour habiller Paul. Non, le Sénat a sa justification dans l’enracinement de la démocratie, dans l’élargissement du dialogue.

Quand vous considérez sa composition, toutes les couches socioprofessionnelles sont représentées et cela permet dans le cadre du dialogue, d’examiner les choses pour aboutir toujours à un développement harmonieux dans la paix et la stabilité. Parce que sans stabilité, il n’y a pas de paix, il n’y a pas de développement.

Pour moi, la question budgétaire ne se pose pas. Bien vrai, il faut trouver des investissements massifs en direction de l’emploi des jeunes qui, je suis d’accord avec vous, demeure un problème.

Le Sénat va créer de l’emploi parce que c’est tout une administration. Quel que soit ce qu’il va coûter, ce ne sont pas des devises qu’on va transporter ailleurs. C’est de l’argent qui sera injecté dans l’économie et ça va générer de l’emploi.

Déjà que le Sénat n’est pas fonctionnel, on nous dit, ce que je lis dans la presse, que ça fait 6 milliards par an, donc 36 milliards. Ce qu’on veut faire passer à l’opinion publique c’est que les 36 milliards, les 89 Sénateurs vont se les partager. Ce n’est pas ainsi.

Vous avez souvenance que la mise en place de l’Assemblée nationale, après le référendum de 1991, il y avait une opinion qui était réfractaire. Mais présentement, l’Assemblée nationale en tant qu’institution, enlevez les 127 députés, au bas mot, ce sont 300 à 500 emplois et ce sont des jeunes, des femmes, des cadres burkinabè qui y travaillent.

Il en sera ainsi du Sénat. Dans le budget 2013, pour la mise en œuvre du Sénat, ce sont 3 milliards qui sont inscrits. 3 milliards, mais j’avoue que le Sénat quand il sera mis en place, va créer de l’emploi pour les jeunes diplômés, pour les jeunes cadres, parce que c’est tout une administration.

Quel que soit ce que va coûter le sénat, ce ne sont pas des devises qu’on va transporter ailleurs. C’est de l’argent qui sera injecté dans l’économie et ça va générer de l’emploi. Il faut également qu’on prenne cette analyse en compte.

 Donc l’analyse d’un budget pour moi, c’est un tout et il ne faut pas faire l’amalgame. La réponse à la question de la jeunesse nous l’avons à travers le Programme spécial de création d’emploi.

Pour le problème des universités, nous sommes allés jusqu’aux états généraux et des recommandations ont été faites et on est conscient qu’il faut mobiliser des ressources additionnelles pour investir massivement et rapidement dans les universités. Je pense que ce sont des manœuvres dilatoires que de faire croire aux jeunes que c’est leur argent qu’on prend pour mettre dans le Sénat. Non, ce n’est pas cela.

Ces derniers temps, on assiste à la naissance de plusieurs mouvements sociaux, parmi lesquels le mouvement « Le Balai citoyen » dont surement vous avez entendu parler. Que pensez-vous de ces mouvements et en particulier du Balai Citoyen porté par deux leaders de jeunesse ?

« Balai citoyen », Smockey et Sam’s K Le Jah, qui sont les figures, moi je les respecte en tant qu’artistes et je prends acte de leur opinion, de leur vision, parce que c’est ça la démocratie. Je dois dire que ce sont des artistes de grand talent, des artistes burkinabè dont nous sommes fiers.

S’ils donnent leur opinion, nous ne pouvons que prendre acte. Mais nous leur disons: qu’ils acceptent également qu’il y ait des groupes, qu’il y ait d’autres Burkinabè qui ne soient pas d’accord avec leur opinion. C’est ça le jeu démocratique.

Je vois qu’il y a également M21, M37. Pour moi, ce sont des formes d’expressions de point de vu, ce sont des formes d’affirmation d’opinions. Mais je voudrais dire à tout le monde qu’ ici nous sommes au Faso, nous ne sommes pas au Sénégal, nous ne sommes pas ailleurs, nous sommes au Burkina Faso avec ses réalités sociopolitiques.

Smockey et Sam’s K Le Jah, je dois dire que ce sont des artistes de grand talent, des artistes burkinabè dont nous sommes fiers. Mais nous ne sommes pas au Sénégal. 

J’invite les uns et les autres à accepter que d’autres aient une autre opinion. Souvent je me dis: si  ce n’était pas nous qui avons la gestion de l’appareil d’Etat avec la sagesse, le tempérament et la modération qu’on nous connait, si c’était d’autres, est ce que ces débats, ces confrontations allaient se mener dans ce climat ?

Si le pouvoir était géré, je ne voudrais pas imaginer cela car ça n’arrivera pas. Cela n’arrivera pas, parce qu’ en réalité le peuple burkinabè est mûr. Au lieu de faire des propositions alternatives au peuple, au lieu de s’attaquer aux différentes préoccupations des populations, c’est très facile de passer tout son temps à critiquer l’action des autres.

A propos de la marche qui aura lieu le 20 (Nous avons eu cette interview le jeudi 18 juillet, deux jours avant la marche), sur la vie chère qu’elle est votre lecture de cette question de vie chère et de la démarche de la coalition ?

Je pense que la marche organisée par la Coalition nationale contre la vie chère est une marche qui s’intègre parfaitement dans la même logique que les autres manifestations, qui pour moi sont des libertés prévues par notre Constitution et notre démocratie.

La vie chère, je voudrais dire qu’elle est le résultat d’une crise mondiale que nous subissons de plein fouet, ajoutée à nos contraintes nationales. Pour moi les regroupements des travailleurs c’est dans leur droit de revendiquer des conditions de vie meilleures, notamment l’augmentation du pouvoir d’achat pour subvenir aux besoins primaires.

Mais d’un autre côté, il faut également faire remarquer que le gouvernement a fait des efforts. Nous sommes pratiquement dans la sous-région le seul pays à avoir lutté pour essayer de maintenir les prix à un certain niveau. Pour prendre l’exemple de la santé un domaine que je connais mieux, actuellement la gratuité du traitement du SIDA, c’est au minimum 10 milliards (de F CFA) par an.

Le paludisme qui est la première tueuse, la subvention du traitement de premier choix, le traitement recommandé, c’est-à-dire les ACT (Ndlr: Artemisinin-based combination therapy ou Combinaisons à base d’artémisinine), dans les centres de santé, vous les trouvez  à 100 F et 300 F. Ce sont des subventions de l’ordre de 70 à 80%. On va payer la plaquette à la CAMEG à 1000 F ou 700 F et on revend à 100 F et à 200 F.

Mais je pense que les travailleurs sont dans leur droit de manifester. Je souhaite beaucoup plus qu’ils utilisent les canaux de dialogue pour pouvoir gérer ces problèmes qui sont une réalité non seulement pour eux, mais également pour le gouvernement et pour nous, parti au pouvoir.

Interviewé réalisée par Justin Yarga

Pour Burkina 24