Dr Raymonde Agossou, responsable de la Division Jeunesse de l’UA : « Si on ne prépare pas la jeunesse, elle sera certainement une bombe »

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Dr Raymonde Agossou, responsable de la division Jeunesse de l'UA, à son bureau au siege de l'Union. ©Burkina 24
Dr Raymonde Agossou, responsable de la division Jeunesse de l’UA, à son bureau au siege de l’Union. ©Burkina 24

Lors du sommet de l’Union africaine (UA) tenue les 29 au 31 janvier dernier à Addis Abeba, Burkina 24 a rencontré Dr Raymonde Agossou, responsable de la division Jeunesse pour en savoir plus sur cette division et les programmes destinés aux jeunes africains. Ce qu’elle pense de la volonté politique affichée par les chefs d’Etat par rapport aux problèmes des jeunes, de l’avenir d’un continent à majorité jeune, elle nous l’a confié dans cet entretien.

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Burkina 24 (B24) : Parlez-nous de cette division dont vous êtes responsable

Dr Raymonde Agossou (Dr Agossou) : Je suis responsable de la division en charge du développement des jeunes en Afrique. Cette division fait partie du département des ressources humaines sciences et technologies et je voudrais préciser qu’il ne faut pas prendre ressources humaines comme l’endroit où on fait les recrutements du personnel de l’Union Africaine.

C’est plutôt l’endroit où on travaille au renforcement des ressources humaines au niveau du continent. Il y a un autre département qui s’occupe des recrutements.

Mon département est essentiellement responsable du renforcement de capacité des ressources humaines en Afrique y compris les jeunes d’ailleurs, à travers l’éducation, les formations techniques et professionnelles, les sciences, la technologie, les innovations technologiques.

B24 : On retrouve les questions liées à la jeunesse dans un vaste ensemble d’autres questions. Considérez-vous que l’UA accorde une place importante à la jeunesse?

Dr Agossou : Je dirais d’abord que l’UA est composée de ses Etats membres. Et si nous parlons de l’UA se préoccupant de sa jeunesse, je peux dire que politiquement oui. L’UA se préoccupe de sa jeunesse pour la simple raison qu’il y a une division entièrement à la charge du développement des jeunes.

C’est déjà un premier pas pour montrer qu’il y a une volonté politique de s’en occuper. Maintenant il y a des programmes qui sont en place pour la jeunesse qui sont approuvés par les chefs d’Etat.

Il y a un certain nombre de décisions en faveur de la jeunesse, et là aussi je peux dire qu’il y a un engagement politique à s’occuper de  la jeunesse.

Un autre engagement politique dont je peux parler c’est qu’en 2011, il a été organisé un sommet entièrement consacré à la jeunesse, à Malabo. Ce sommet s’est préoccupé des questions relatives à l’autonomisation de la jeunesse pour un développement durable de l’Afrique.

« La jeunesse africaine appartient à l’Afrique ; les questions liées à cette jeunesse devraient être une préoccupation africaine, au-delà de la volonté politique »

Tout cela mis en ensemble permet de dire qu’il y a une volonté politique de s’occuper de la jeunesse. J’insiste sur volonté politique. Je l’ai toujours dit, en Afrique nous avons cette facilité d’avoir la volonté politique. Les autorités n’ont pas de difficultés à afficher la volonté politique, qu’ils soient pris isolément ou qu’ils soient pris ensemble.

Par contre, là où je suis très déçue, c’est la durée de vie de cette volonté politique. Quand on a la volonté politique, il faut engager les actions, mettre les moyens nécessaires pour concrétiser cette volonté politique.

Nous n’avons pas souvent de ressources pour exécuter ce qui est décidé par les chefs d’Etats.

La plupart des programmes et décisions que nous avons réussi à mettre en œuvre l’ont été  généralement grâce à des appuis de partenaires internationaux et c’est assez décevant parce que la jeunesse africaine appartient à l’Afrique ; les questions liées à cette jeunesse devraient être une préoccupation africaine au-delà de la volonté politique.

Quand on a pris des décisions, quand on a affiché la volonté politique, il faut aller un peu au-delà pour espérer que les choses changent effectivement sur le terrain.

B24 : Est-ce que vous pouvez nous parler dans leurs grandes lignes des programmes à l’endroit de la jeunesse africaine ?

Dr Agossou : Il faut avant tout rappeler que l’UA est un faiseur de politiques, un faiseur de cadres d’orientation pour les Etats, de cadres d’action pour les Etats. On ne va pas jusqu’à la mise en œuvre directement mais on veille à ce que les cadres d’actions, les politiques qui sont identifiées soient mis en œuvre par les Etats.

Pour ce que nous avons mis en place pour aider les Etats à se préoccuper effectivement des jeunes, je vais commencer par la charte africaine qui est un cadre juridique mis en place pour les Etats.

Et quelqu’un disait hier au forum sur l’emploi des jeunes [Ndlr : cette interview a eu lieu le lendemain d’une rencontre des jeunes avec les chefs d’Etats, en marge du sommet de l’UA], précisément le président du Kenya, qui vient de ratifier la charte africaine de la jeunesse ; il disait ceci : « si tous les Etats regardaient en profondeur dans les détails la charte africaine de la jeunesse, on n’a plus besoin de forum, on n’a plus besoin de dialogue, on a juste besoin d’aller mettre en œuvre et de satisfaire la jeunesse africaine ».

C’est pour dire que la charte africaine de la jeunesse donne une vue assez globale de ce qui devrait être fait comme action pour aller vers l’autonomisation des jeunes, vers le renforcement des capacités des jeunes et donc vers les changements positifs que l’on attend au niveau de la jeunesse.

Mais cette charte africaine de la jeunesse ne connait pas suffisamment de mise en œuvre encore. A ce jour, si j’ajoute le Kenya, je peux dire que 34 Etats ont ratifié la charte africaine de la jeunesse, ce qui est un très bon record quand on regarde toutes les conventions qui existent au bureau du conseil juridique et qui ne sont pas ratifiées, qui ne sont pas signées, qui sont simplement oubliées par les Etats.

Quand on regarde la charte africaine de la jeunesse, elle est ratifiée par beaucoup d’Etats membres, ce qui est une très bonne chose, et dans un délai très court parce que la charte a été mise « sur le marché » en 2006 et déjà en 2009 elle entrait en vigueur.

Pour entrer en vigueur, il lui fallait avoir 15 ratifications au moins et elle a atteint ce nombre en 2009 déjà. Nous continuons à sensibiliser les Etats à sa ratification.

Les efforts que nous faisons aujourd’hui pour sa mise en œuvre, c’est pour dire aux Etats que la ratification n’est qu’une première étape du processus. Maintenant que c’est ratifié, il faut la domestiquer et l’harmoniser avec les lois nationales.

Une fois que ce sera fait, il faut aller vers la mise en œuvre parce que c’est la seule condition pour aboutir au changement. Donc la charte est un élément essentiel dans cette division.

Un autre programme que nous mis  en place, c’est le plan d’action de la décennie qui a été décidée par les chefs d’Etats africains en 2009, dans l’un de leurs sommets.

Ils ont décidé que les années de 2009 à 2018 devraient être consacrées au développement de la jeunesse et cette décision a été prise sur la demande des jeunes eux-mêmes. Les chefs d’Etat ont accepté et approuvé cette période-là comme la décennie de la jeunesse et exigé que l’UA développe un plan d’action pour aider les Etats à orienter leurs activités par rapport à ce plan d’action.

L’objectif principal de ce cadre d’action c’est d’accélérer la mise en œuvre de la charte africaine de la jeunesse.

« Il y a de l’engouement autour de nos programmes, mais nous sommes extrêmement limités par le budget »

L’autre programme que nous avons mis en place, c’est le programme des jeunes volontaires de l’UA qui aspire à exposer les jeunes à des activités, à des programmes, à des institutions qui travaillent pour le développement de façon globale.

Il aspire également à promouvoir le panafricanisme au sein de la jeunesse pour une meilleure connaissance du continent et une meilleure intégration personnelle dans le continent. Le programme sélectionne des jeunes de niveau universitaire, les forme et les déploie.

Tout jeune, faisant partie de ce programme, ayant suivi la formation, devra être déployé dans un pays autre que le sien, dans une institution qui n’est pas dans son pays à lui, et tout ça pour les exposer à d’autres cultures, à d’autre langues, à d’autres jeunes qui sont sous d’autres cieux.

Nous avons ces activités là qui sont en cours au sein de la division plus les autres affaires courantes comme le forum qu’on vient d’avoir, comme la réunion bi-annuelle que nous avons avec les ministres de la jeunesse, un certain nombre de réunions statutaires que nous tenons tous les deux ans avec ces personnes-là. Voilà un peu ce que nous faisons.

B24 : Avec les différents programmes et notamment le programme de volontariat, avez-vous l’impression que la jeunesse africaine s’y intéresse ?

Dr Agossou : La jeunesse africaine s’intéresse grandement à ce programme mais nous n’avons pas les moyens financiers, je dirais humains aussi, de couvrir les besoins.

Actuellement dans la base de données nous avons plus de trois mille (3000) jeunes qui se sont inscrits pour devenir volontaires de l’UA. Jusqu’à présent, depuis 2010 que ce programme a été lancé, nous avons réussi à faire 4 formations, et la cinquième nous sommes entrain de la prévoir pour le Gabon où le sommet de juillet se tiendra.

On n’a pas été capable pour des raisons financières de faire plus d’une formation par an et l’autre difficulté est que quand les jeunes sont formés il faut les déployer.

Le programme paye 600 dollars par mois à chaque jeune déployé pour 12 mois, le billet d’avion aller retour. A la fin du programme, les jeunes bénéficient de 2500 dollars pour les frais de séparation, pour se prendre en charge en attendant de trouver quelque chose pour leur vie professionnelle.

Donc pour chaque volontaire formé, déployé, couvert pendant 12 mois, il faut environ 13 500 dollars. Et avec ce montant, ce que nous avons eu jusque-là pour les 4 vagues, nous étions capables de déployer au total peut-être environ 200 volontaires.

On peut faire beaucoup mieux quand on a 3000 candidats dans la base de données. Il y a de l’engouement autour du programme mais nous sommes extrêmement limités par le budget et nous ne pouvons pas faire plus que ce que nous faisons tant que nous n’aurons pas davantage de ressources financières.

B24 : Vous venez d’organiser un forum en partenariat avec la fondation Olusegun Obasanjo. Est-ce que pour vous ce genre de rencontre, que vous avez qualifiée d’intergénérationnelle, c’est le meilleur moyen d’impliquer les jeunes à la résolution de leurs problèmes ?

Dr Agossou : Meilleur moyen ? Je ne sais pas. Je ne pourrai pas le dire parce que l’expérience a commencé il n’y a pas longtemps. L’idée de mettre face à face les dirigeants et les dirigés que sont les jeunes, a commencé avec Malabo [Ndlr : le sommet de Malabo de 2011, consacré à la jeunesse].

Malabo a été décidé bien avant le printemps arabe et on s’est rendu compte que ne pas communiquer entre générations pourrait être un problème au sein de nos Etats. Mais le souci de mettre les jeunes avec les dirigeants c’est également pour que les uns comprennent les autres, pour savoir ce que les uns attendent des autres. C’est l’idée initiale.

On veut espérer que cette démarche n’est pas totalement inutile. Mais dans le même temps je ne voudrais pas que cette démarche ou bien cette façon de faire les choses devienne comme un show, un spectacle.

Je veux que derrière cette démarche, cette stratégie de communication que nous avons mise en place entre les adultes et les jeunes soit une occasion pour vraiment converser sur les problèmes, sur les attentes de la jeunesse et sur la possibilité pour la jeunesse d’intégrer ces problèmes et leur résolution, ensemble avec les dirigeants.

« Nous pouvons régler nos problèmes, mais il faut que les gens se parlent »

Est ce que ça marche ? Je ne sais pas. Je crois que c’est trop tôt quand on veut analyser les impacts de la mise en œuvre d’un projet, il faut se donner le temps de faire du chemin.

On peut avoir les résultats immédiats, ce qu’on appelle « outcome », on peut les avoir tout de suite. Ils se sont parlé, ils ne sont peut-être pas contents, les jeunes je veux dire, parce qu’ils n’ont pas eu assez de temps pour parler. Mais au cœur d’un déjeuner, je ne suis pas sûr qu’il y ait suffisamment de temps pour converser effectivement.

Je leur disais hier : les prochaines fois exigez que ce soit peut-être une journée, un atelier entier où vous rencontrez vraiment vos chefs d’Etats ; on n’est pas obligé de faire ça au niveau continental, on peut le faire au niveau national pour essentiellement réfléchir ensemble sur les moyens dont on  dispose pour régler les problèmes qui sont posés.

Moi je crois que si on le fait à répétition, on le fait avec différentes structures concernées dans les Etats, c’est déjà un plus en terme de communication. Ça aurait évité les printemps arabes, ça aurait évité un certain nombre de choses parce que l’absence de communication fait qu’on pense que l’autre ne pense jamais à nous, ne fait rien pour nous.

On pense que les jeunes sont des lanceurs de pierres, des voyous qui brûlent les pneus dehors et qui sont entrain de travailler pour l’opposition, ou qu’ils sont entrain d’être recrutés pour les conflits, etc.

On peut éviter ça, en communiquant, en conversant. Je crois que ce que nous pouvons régler nos problèmes, mais il faut que les gens se parlent.

B24 : L’Afrique est considérée comme un continent très jeune, ce qui est un potentiel de développement. Mais certains pensent que si on gère mal cette jeunesse, elle peut être un danger. Pensez-vous que le continent pourra un jour transformer sa jeunesse en force de développement ?

Dr Agossou : La jeunesse, comme le disent certains, est une bombe à retardement.  Si vous n’utilisez pas les ressources qu’elle constitue aujourd’hui ça peut devenir une bombe.

Mais si vous l’utilisez à bon escient et que vous la préparez à répondre aux préoccupations de développement de ce continent on ne peut que s’en réjouir. Si on ne prépare pas la jeunesse, elle sera certainement une bombe.

En Centrafrique, c’est ce qui se passe, depuis combien de temps les écoles sont fermées et qu’il n’y a que les machettes entre les mains des jeunes au lieu que ce soit des stylos, au lieu que ce soit des ordinateurs ?

Que sera l’avenir pour cette jeunesse-là ? Elle va regarder derrière  et regretter ses actions, mais pour le moment elle n’est pas occupée, elle ne pense pas avenir, elle pense revanche justement parce qu’on n’a pas voulu réfléchir à comment utiliser cette jeune population de la Centrafrique.

Je crois qu’il est très important de faire quelque chose. Si on ne fait rien la bombe à retardement, elle, n’est plus très loin d’exploser. Elle peut exploser demain, elle peut exploser après demain, elle peut exploser à tout moment dès qu’il y a un peu plus en terme de mécontentement, c’est une étincelle qui n’attend que la goutte d’essence pour devenir un feu.

B24 : Mais il y a quand même espoir, non ?

Dr Agossou : Il y a de l’espoir en ce sens que quand je parle de ce dialogue-là, c’est déjà un pas dans le sens de l’espoir. On a conscience que la jeunesse a des compétences, la jeunesse a une intelligence et qu’il faut discuter, parler avec elle. Je crois que c’est un des éléments d’espoir.

Il ne faut pas qu’on s’arrête en si bon chemin.

Il faut continuer le dialogue. Mais du dialogue, il faut passer à l’action pour que les jeunes se sentent concernés par le développement de leurs pays.

Propos recueillis par Justin Yarga

Pour Burkina 24 

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Justin Yarga

Journaliste web qui teste des outils de Webjournalisme et datajournalisme, Media strategy consultant.

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2 commentaires

  1. Je suis totalement en accord avec ce grand principe qui est le votre Dr Agusso, qui est de dialoguer, une table et une chaise ne co?tent rien, juste la bonne volont? de se parler et d arriver ? des consensus,

  2. Courage Dr Agossou pour cet engagement que vous avez pour la cause jeune, la jeunesse a des competences, j'en conviens avec vous, nous avons besoin de cadres pour developper nos competences au profit de notre continent!

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