Analyse juridique des violations des droits fondamentaux commises par le R.S.P
Ceci est une analyse proposée sur le passé de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), dont des éléments ont perpétré le putsch du 16 septembre 2015.
A l’occasion du putsch manqué du Général Diendéré à la tête du Régiment de Sécurité Présidentielle, de nombreuses violations des droits fondamentaux ont été commises. Les plus graves concernent les atteintes aux droits indérogeables que sont le droit à la vie et l’interdiction des peines ou traitements cruel, inhumains ou dégradants. L’analyse juridique proposée par Pierre Claver MILLOGO met en lumière la gravité des actes de ces militaires. Le droit à la vie : valeur fondamentale des sociétés démocratiques.
Le droit à la vie fait partie intégrante de la protection due à l’intégrité de la personne[1]. Il concourt au respect de la dignité humaine dont la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) affirme qu’elle est avec la liberté de l’Homme « l’essence même de la convention »[2]. Après avoir affirmé que le droit à la vie est « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le conseil de l’Europe »[3], la cour EDH a consacré sa « prééminence » parmi les dispositions de la convention qu’elle juge « primordiales », soulignant « le principe du caractère sacré de la vie protégée par la convention »[4]. Il convient de préciser que malgré sa valorisation, « la vie » n’est pas définie par les différents textes internationaux.
Le droit à la vie prévu par l’art 2 de la CEDH est renforcé par l’interdiction de la peine de mort laquelle a été abolie seulement en temps de paix par le protocole n° 6 à la CEDH du 28 avril 1983 puis en toutes circonstances par le protocole 13 à la CEDH adopté le 2 mai 2002 et entré en vigueur le 1er juillet 2003. Le droit à la vie est envisagé sous deux aspects: D’une part il prohibe la privation arbitraire de la vie (exécutions sommaires ou arbitraires) et d’autre part il encadre les conditions dans lesquelles il peut être fait application de la peine de mort dans les pays qui ne l’ont pas encore abolie.
Dans le cadre du mécanisme africain de protection des droits de l’Homme, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples protège le droit à la vie à l’art.4 et la dignité de la personne humaine à l’art. 5. A plusieurs reprises, la Cour ADHP a souligné le caractère sacré du droit à la vie. Les exécutions sommaires commises par les militaires du R.S.P. sont des actes passibles de lourdes sanctions juridiques.
Selon les juridicitions internationales telles la Cour EDH et la Cour ADHP, le droit à la vie est un droit indérogeable même dans les circonstances les plus exceptionnelles telles que la lutte contre le terrorisme et le crime organisé.
Le fait donc de réprimer violemment les actes de citoyens s’opposant à un coup d’Etat militaire est punissable en droit pénal burkinabè d’abord puis ensuite par les textes internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux. Il en est de même de la répression des activités de la presse privée et publique.
Lors de l’affaire Communication 102/93 – Constitutional Rights Projet c/ Nigeria, la Cour ADHP a jugé que la détention de militants des droits de l’Homme, sans inculpation et sans possibilité de libération sous caution, constitue selon la Commission une privation arbitraire de leur liberté, et ainsi une violation de l’article 6.
Dans cette même décision, la Commission a considéré que, compte tenu du fait que la loi nigériane comporte toute les dispositions traditionnelles relatives aux procès de diffamation, l’interdiction de la publication d’un journal était une violation du droit à l’information garanti par l’article 9 de la Charte.
Du point de vue du droit à la vie, les actes du R.S.P. sont totalement condamnables et aucun tribunal digne de ce nom ne saurait cautionner de tels actes. Venons en maintenant à l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants.L’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants : droit indérogeable. Ce droit fondamental a été énoncé en des termes pourtant lapidaires et similaires par les conventions générales[5]. Il revêt 3 concepts différents qui sont relatifs aux conditions de détention, à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants[6].
La cour EDH a d’abord précisé que l’intensité des souffrances infligées à des victimes permet de distinguer entre les types de « traitements » relevant de l’art 3 emportant une différenciation du champ d’application de ces concepts: torture, traitements inhumains, traitements dégradants.
Mais elle a rappelé que contrairement à une certaine opinion qui s’est dégagée, il n’y a pas de hiérarchisation entre ces droits qu’elle protège tous de la même manière. Selon certains Etats, les méthodes modernes d’interrogatoire utilisées telles que la privation de sommeil, la soumission à des bruits et ou à des températures extrêmes et les positions forcées ne sont pas des actes de torture mais « seulement » des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants admis dans certaines circonstances exceptionnelles mais la Cour EDH a rejeté cette conception[7].
La cour a défini le traitement inhumain comme celui qui provoque volontairement des souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière et le traitement dégradant comme celui qui « humilie l’individu grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience » ou qui abaisse l’individu « à ses propres yeux »[8].
Quant à la qualification de torture, elle est réservée à « des traitements inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances », qu’elle marque « d’une spéciale infamie »[9] et elle n’a pas lieu d’être même en cas de lutte antiterroriste.
Dans le cadre du mécanisme africain de protection des droits fondamentaux, c’est le même son de cloche. Il s’agit de droits fondamentaux indérogeables en toutes circonstances même les plus exceptionnelles. De ce point de vue, les actes commis par les militaires du R.S.P. tombent également sous le coup des textes internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux.
Dans l’affaire Communication 232/99 – John D. Ouko c/ Kenya, le plaignant soutenait qu’il avait été arrêté et détenu sans jugement pendant 10 mois dans le Département des services secrets de Nairobi, dans une cellule où une ampoule de 250 watts restait constamment allumée, et sans toilettes. La Commission africaine des droits de l’Homme a décidé que cette détention était arbitraire et constituait un traitement inhumain et dégradant en violation des articles 5 et 6 de la Charte.
Dans une autre affaire, la Commission africaine s’est prononcée en faveur de la protection contre les traitements cruels, inhumains et dégradants. Il s’agit de l’affaire Communication 64/92 – Achuthan et Autres c/ Malawi. La Commission a considéré que la détention dans un endroit totalement isolé, l’enchaînement dans les cellules, la mauvaise qualité de l’alimentation et le refus d’accès à des soins de santé adéquats, doivent être qualifiés de traitements inhumains et dégradants, contraires à l’article 5 de la Charte.
Au total, il ressort de cette analyse que les actes commis par les militaires du R.S.P. drogués qu’ils étaient ou pas sont en violation claire des droits fondamentaux non seulement au regard du Code Pénal burkinabè mais aussi au regard des textes internationaux relatifs à la protection des droits fondamentaux.
Pierre Claver MILLOGO
Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université Ouaga II
[1] V. L. SERMET, « Le droit à la vie, valeur fondamentale des sociétés démocratiques et le réalisme jurisprudentiel », RFDA, 1999, p. 988 ; L. MILANO, Le droit à un tribunal au sens de le Convention européenne des droits de l’Homme, thèse, Nouvelle bibliothèque des thèses, 2006
[2] SW c/ Royaume Uni, 22 novembre 1995, §44 GACEDH, n°36; C. Goodwin c/ Royaume Uni, 11 juillet 2002, §90, GACEDH, n°42
[3] Mac Cann c/ Royaume Uni, 27 septembre 1995, §47 n°10
[4] Pretty c/ royaume Uni, 29 avril 2002, §37 et 65, GACEDH n°43
[5] « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains ou dégradants » art.3 CEDH, art. 7 PIDCP, art. 5 Charte ADH
[6] Selmouni c/ France 28 juillet 1999, GACEDH, n°13
[7] Dans l’affaire Tomasi c/ France 27 août 1992, A. 241, §1, l’intéressé était détenu parce qu’il faisait l’objet de soupçons de mener des activités terroristes. La Cour EDH à propos des brutalités policières qu’il a subies durant sa garde à vue énonce désormais le principe « qu’à l’égard d’une personne privée de liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le propre comportement de la dite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’art. 3 ». V. aussi Ribitsch c/ Autriche 4 décembre 1995, A.336, §38 ; Tekin c/ Turquie 9 juin 1998
[8] Tyer c/ Royaume Uni, 25 avril 1978, A.26, §29 et 32
[9] Irlande c/ royaume Uni, 18 janvier 1978, §167
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