Education au Burkina : Analyse d’un inspecteur à la retraite
Ernest Conombo est inspecteur de l’enseignement du premier degré à la retraite. Il est le Président de l’Association nationale des éducateurs pour la vie qui regroupe des retraités qui, par ses activités, « voudrait encore contribuer au développement du système éducatif du Burkina ». L’Association regroupe une quarantaine de membres « pour le moment » et a vu le jour en 2005. Le lundi 23 avril 2018, il a été reçu dans les locaux de Burkina 24 pour apporter sa touche critique sur le système éducatif burkinabè.
Burkina 24 (B24) : Au Burkina Faso, nombreux sont ceux qui estiment que le niveau d’instruction est en baisse. Le ressentez-vous aussi ?
Ernest Conombo : Oui, on sent la baisse du niveau. Rien qu’à écouter les élèves actuellement dans leurs productions orales, rien qu’à lire leurs écrits, on sent que le niveau baisse.
B24 : Selon vous, qu’est ce qui a été à l’origine de la baisse de ce niveau ?
Ernest Conombo : Les raisons sont plurielles. On est passé d’une sélection à outrance à une démocratisation outrancière. Dans le temps, sur 1 000 élèves qu’on prenait au CP1, moins de 200 arrivaient au CM2. On épurait rapidement et on ne retenait que les meilleurs. Cette forme de sélection a été décriée dans la mesure où il fallait scolariser tous les enfants. Partant, on a étendu les choses au point qu’on ne renvoyait plus comme par le passé. Du même coup, la qualité a pris un coup et on sent bien que les choses ne sont plus comme avant.
Des raisons, il y en a beaucoup et particulièrement, c’est au niveau des enseignants. Les enseignants dans le temps étaient formés dans les cours normaux où ils étaient reçus durant six ans pour être préparés à la fonction enseignante. Le premier Cours normal de Koudougou a été créé en 1945. Ensuite il y a eu Ouahigouya. Les enseignants n’étant plus formés dans la rigueur du métier, il y a eu cette baisse sensible du niveau.
Aussi, avec l’âge d’admission à l’école des enfants, à l’époque on allait à l’école à l’âge de sept ans révolu. Maintenant, on trouve des enfants de moins de cinq ans. L’un dans l’autre, ceci peut expliquer la baisse du niveau dans l’éducation.
Education au Burkina – Les problèmes selon Ernest Conombo
Burkina 24
B24 : Abordons la question des enseignants. En quantité, on voit des centres de formations pousser. Est-ce que cette ouverture peut être l’une des causes de la baisse du niveau ?
Ernest Conombo : Je ne pense pas que l’ouverture sur le plan quantitatif soit la raison. C’est plutôt sur le plan du contenu de la formation. Je me dis que les enseignants, tels qu’ils sont formés, que ce soit dans les structures publiques ou privées, ne reçoivent pas ce dont ils ont besoin pour bien fonctionner.
Pour moi, on devrait, dans les ENEP (Ecole nationale des enseignants du primaire, ndlr), former les enseignants de manière à ce qu’ils puissent prendre en charge et de façon intégrale les élèves dans leurs classes. Pour moi, il y a deux principes essentiels qu’il faut inculquer aux jeunes enseignants à savoir que personne ne peut comprendre et apprendre pour autrui. Partant, il y a une attitude que l’enseignant doit avoir par rapport aux enfants puisqu’il ne peut pas apprendre à leur place. Il ne peut pas comprendre à leur place.
La différence essentielle qu’on observe entre les élèves qui réussissent et ceux en difficulté, est que les premiers ont des stratégies pour comprendre et apprendre. Et les seconds ne savent que faire. Le rôle des enseignants devrait surtout être de proposer des stratégies d’apprentissage et de compréhension aux élèves.
Le deuxième principe est qu’il faut que les enseignants intègrent dans leur subconscient pédagogique, que ce qui est appris, doit être utilisé. Nous avons tous en mémoire des leçons de géographie sur l’orientation, par exemple, sur les quatre points cardinaux. Mais sur 100 adultes, actuellement, si on leur demande de situer la Maison du Peuple par rapport au marché Rood Woko, peu sont capables de dire que la Maison du Peuple est au Nord de Rood Woko. On apprend donc des choses qu’on n’utilise pas. Il faudrait qu’à l’école de formation, on intègre cela dans l’esprit des enseignants que ce qui est appris doit être utilisé et par conséquent, il faut créer des cadres dans lesquels ils vont utiliser leurs acquis.
On apprend à lire pour lire. On apprend à écrire pour écrire. On apprend à calculer pour calculer. On apprend à chanter pour chanter. Mais si j’apprends à lire et que je n’ai aucune opportunité de lire, c’est un peu comme si je n’avais pas appris à lire. Dans tous les cas, je ne serais pas un lecteur compétent.
Aussi, l’un des problèmes que je vois, c’est l’intégration des enseignants dans leur milieu. Il faudrait veiller à ce que les enseignants ne soient pas juste de passage pour donner des cours dans le milieu et qu’ils essayent de s’y intégrer. C’est ainsi qu’ils peuvent avoir un impact sur le développement des populations du village par exemple où ils exercent.
Il y a aussi dans le système un personnage clé qui, pour moi, est le directeur d’école. Lorsque dans une école tout va bien, lorsque les résultats sont bons, tout le monde est content, c’est à cause du directeur. Là où aussi rien ne va, c’est à cause du directeur. Former ce personnage de manière à ce qu’il joue correctement son rôle, pourrait amener une meilleure qualité de l’éducation.
B24 : Il y a de cela quelques mois, le monde éducatif a traversé une crise avec plusieurs mois perdus dans le calendrier scolaire. Comment l’avez vécu ?
Ernest Conombo : C’est comme pour tout le monde, c’est une crise qui a été profonde, qui a interpellé pas mal d’acteurs de l’éducation. Je me dis que ces grèves auxquelles on a assistées étaient comme un effet de mode auquel les enseignants ne pourraient se soustraire. Il était légitime qu’ils portent leur problème à l’autorité.
Je crois qu’ils ont tiré leçon du passé parce que je me rappelle qu’en 1980, le syndicat des enseignants avait lancé une grève illimitée par rapport à un problème de statut particulier et par rapport à un problème de concours organisé pour envoyer des camarades en stage et qui n’avait pas respecté les normes.
Mais on a surdimensionné l’appui dont on pouvait bénéficier de la société en prenant cette décision parce que le gouvernement s’est vite fait de nous affamer. A partir de fin octobre, il n’y avait plus de salaire. Ceux qui reprenaient en novembre voyaient leur salaire débloqué. C’est ainsi qu’ils ont brisé la grève. Le 13 novembre 1980, on a essayé de renforcer la lutte par une marche qu’on voulait organiser à Ouagadougou. Elle a plus ou moins réussi, car on a été dispersé par les CRS. On a décidé de reprendre les cours le 24 novembre.
A partir de là, les sit-in de 72 et 92 heures n’avaient plus d’effets car ils ont trouvé la formule pour boycotter les évaluations. Ce qui, du même coup, s’inscrivait dans la durée et obligeait par conséquent tous les acteurs à chercher des solutions consensuelles avec les autorités. Je suppose qu’ils ont trouvé un terrain d’entente car le ministre de l’éducation est là pour suivre la mise en œuvre de ce protocole d’accord. Vivement qu’ils s’entendent et que les choses reviennent dans l’ordre.
B24 : Les revendications datent de plusieurs années. Pensez-vous que le milieu enseignant est moins écouté que les autres ?
Ernest Conombo : C’est sûr ! Il y a un ministre des finances qui a eu à déclarer que l’éducation est un secteur improductif. Vu sous cet angle, ce n’est pas étonnant qu’on mette les revendications des enseignants dans les tiroirs puisque leurs grèves n’ont pas d’effets immédiats. Quand les infirmiers grèvent, il y a des morts. Mais quand ce sont les enseignants, les enfants sont à la maison et il n’y a pas d’effet immédiat sur les gens. C’est tout à fait normal qu’on ait l’impression que les autorités ne se pressent pas pour résoudre les problèmes des enseignants.
B24 : Le Nord du Burkina est plus touché par le terrorisme. Plusieurs écoles fermées, des milliers d’enfants ont déserté les classes, des enseignants ont replié vers d’autres villes. Quelle est votre analyse de la situation ?
Ernest Conombo : La situation est très grave parce que l’onde de choc dépasse de très loin les limites de la zone du Sahel. Il est question de la frontière avec le Mali. Tous les enseignants qui sont à des frontières, ressentent la situation comme si c’était eux qui la vivaient. Cette situation a beaucoup duré et je pense que les autorités cherchent les moyens de résoudre la question.
Ce n’est jamais tard, mais idéalement, il faut sécuriser la zone, pas seulement pour l’éducation, mais aussi pour les activités économiques et toute la vie même de la nation. Les spécialistes de la sécurité doivent savoir ce qu’il faut faire. Même s’il faut faire revenir des contingents qu’on a envoyés dans d’autres pays pour qu’il y ait des effectifs importants sur cette zone, il faut le faire. C’est parce que le Burkina Faso existe qu’on envoie des contingents pour soutenir d’autres peuples. Les Nations-unies comprendraient qu’on rappelle notre contingent parce que chez nous, ça brûle et qu’il y a urgence à sécuriser cette zone.
Les enseignants (qui ont déserté le Sahel) seraient à peu près 900. On ne peut pas trouver de solutions durables sans leur participation. Il faut les rencontrer, jouer sur leur fibre patriotique, les écouter, voir quelles sont leurs conditions de reprise. Il y a aussi les parents d’élèves, il y a des élèves qui ont été traumatisés. A leur niveau, il peut y avoir des réticences à ce que les choses reprennent. Il faut les rencontrer, même les populations pour voir comment s’organiser pour apporter plus de sécurité.
Il est demandé aux populations de dénoncer tout fait insolite, mais les gens ont encore peur de la tenue qui charrie une valeur de brutalité et de force. Mais si les populations sont organisées en quartiers, villages, on est nombreux dans la chaîne et on est plus sécurisé.
Dans cette situation, il y a des élèves qui sont surement allés ailleurs pour poursuivre leurs études. Il serait intéressant de décréter une année blanche pour tous ces élèves en attendant, par les contacts avec les principaux, on puisse ramener tout le monde à partir de la rentrée prochaine.
B24 : Revenons à votre association de retraités. Est-ce qu’il arrive que vous soyez sollicités pour contribuer à rehausser le niveau de l’enseignement au Burkina ? Ou bien quand on est retraité, c’est fini ?
Ernest : Effectivement, quand on est retraité, c’est après avoir quitté le train-train quotidien qu’on considère les choses avec une certaine hauteur et un esprit critique. On voit les failles du système. Mais je n’ai pas souvenance qu’on ait eu directement recours aux services de l’association dont je suis président depuis le 11 mars passé.
On est en train de s’organiser pour écrire le plan d’action pour contacter toutes les autorités qui sont dans l’éducation pour nous présenter et voir comment collaborer. Mais de façon isolée, il y a des camardes qui sont sollicités par des ONG, associations et même par le ministère.
B24 : Nous nous en voudrions de terminer sans vous demander ce que vous pensez du continuum.
Ernest Conombo : Je me dis que le continuum est une nécessité parce qu’il faut voir l’éducation comme un tout. Et la fractionner de la façon dont cela se fait, c’est plutôt créer des blocages à certains niveaux. J’ai participé à la naissance de l’enseignement de base en 1988 à Koudougou. Il y a eu un séminaire qui a défini le contenu de l’enseignement de base. On en faisait un cycle terminal. C’est-à-dire qu’à l’époque, il y avait moins de 10% des élèves de CM2 qui allait en 6e. Il fallait faire en sorte qu’au sortir du CM2, l’enfant soit capable de se prendre en charge.
Ça veut dire qu’on a conçu les programmes de 1989 sur cette base. Ce qui fait qu’ils étaient bien touffus et chargés. Il y avait trop de choses, quelques fois inutiles, qu’on demandait aux enfants. Des choses qu’ils rencontreraient peut-être quelque part au cours de leur cursus s’ils avaient la chance de poursuivre. Comme les partenaires techniques et financiers mettaient l’accent sur ce cycle de l’enseignement de base, il a fallu de façon stratégique, pour bénéficier de ces subsides, d’étendre l’obligation scolaire à 16 ans. Ce qui du même coup a donné naissance au continuum.
Je me dis qu’on devrait même continuer à faire progresser le continuum de manière à ce qu’il y ait comme une tracée normale du préscolaire à l’université. Parce qu’il y a des problèmes didactiques tels que l’enseignement de la grammaire qui ne se fait pas au primaire comme elle se fait au secondaire. Ce qui se fait au primaire semble plus difficile. Il y a même la question du calcul et des maths modernes. Je ne suis pas sûr que les curricula en expérimentation aient pris entièrement ce volet en charge.
B24 : Il faut donc améliorer les curricula ?
Ernest Conombo : Il y a une amélioration qui est en cours d’expérimentation. On verra ce que ça va donner.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE et Esther Lawali-Ki (Stagiaire)
Burkina 24
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