Pérégrinations de Bélélé | Avortement clandestin : Un mal de jour à la vérité souterraine
L’actualité faisant, mais loin des débats de positions tranchées et d’intérêts singuliers, nous nous permettons d’aborder cette question qui mérite d’être posée. L’avortement, quel rapport à la société africaine ?
Tout d’abord, est-il indiqué de parler d’avortement au singulier ? Etant donné que le fait est au pluriel si nous convenons qu’il existe plusieurs formes d’avortement. Ainsi, différentes situations semblent autoriser à considérer qu’il y a avortement. Il s’agit, d’une interruption qui s’est réalisée indépendamment de la volonté humaine, de manière spontanée. On parle alors de « fausse couche ». Ou lorsque les raisons de l’interruption, sciemment faite, sont d’ordre biomédical, s’il est avéré que l’arrêt de la grossesse est la meilleure solution pour sauver la mère en danger de mort ou pour éviter que le futur enfant ne vienne au monde avec un handicap majeur notamment une maladie grave ou incurable, etc. l’expression « avortement provoqué » est ainsi utilisée.
Ce cas de figure est connu sous l’appellation d’« interruption volontaire de grossesse » (I.V.G.), selon le jargon médical.
Enfin, l’avortement est dit « clandestin » lorsque l’interruption s’est faite en dehors de toute légalité, que le demandeur ou le praticien se cache afin d’échapper à la peine sociale ou légale. C’est cette dernière forme d’avortement qui nous intéresse en ce sens que c’est à travers elle que la société confabule.
Un problème sourd
Un mal de jour dont la vérité est enterrée par la société qui demande à ses membres, sans en être consciente, de tuer au prix d’un soi-disant ordre ou équilibre désiré. À cet égard, comprendre l’avortement clandestin, c’est le considérer comme un fait social en vue de l’aborder objectivement. C’est-à-dire qu’il ne peut être appréhendé que si on tient en compte plusieurs instances de la réalité sociétale car les causes de l’avortement clandestin sont nombreuses. Et peuvent être d’ordre économique, historique, politique, juridique, démographique mais surtout socioculturel.
Le regard de la société
Les exemples abondent dans plusieurs sociétés traditionnelles quant à la perception des grossesses « interdites » issues de rapports « hors-mariage » ou adultérins. L’enfant qui adviendra sera l’objet d’un certain mépris. Pris pour être le rejeton du mal, dans plusieurs groupes ethniques il est ainsi assimilé à l’impur. Eu égard à cette situation, non seulement la dignité de la mère est escamotée, mais l’enfant qu’elle a mis au monde se trouve être, aux yeux du groupe social, l’équivalent du grand péché.
La condamnation à subir ces violences est la réponse sociale donnée non point seulement à la transgression de l’interdit, mais bien plus à la transgression de la norme de discrétion, représentée ici par la grossesse. Face à ces formes de représentation qui pèsent sur leurs épaules, les femmes en situation de grossesse « non-voulue », parce que se réalisant dans des conditions socioculturelles morbides, tiennent à mettre un terme à leur situation.
62% de décès chaque année
Une étude de l’OMS démontre que la proportion d’avortements «non médicalisés» pratiqués dans le monde est passée de 44% en 1995, à 47% en 2003 puis 49% en 2008. Selon cette étude, en Afrique, c’est 29% de tous les avortements à risque, avec 62% de décès chaque année.
L’avortement clandestin est donc devenu un phénomène social dont la fréquence ne doit laisser personne indifférent. Dans le contexte africain. Les études menées par les spécialistes des sciences humaines et sociales, en l’occurrence ceux de la santé publique, de la psychologie, de la sociologie, de l’anthropologie, etc., reconnaissent que le fait, effectué dans des conditions indécentes, c’est-à-dire en l’absence de toute sécurité, constitue une des principales causes de mortalité et de morbidité des femmes africaines. S’il faut en croire l’OMS, nous devons retenir que l’avortement clandestin est à l’origine de plus de 300 000 morts, par an, de femmes africaines.
L’avortement, un crime ?
Le crime se définit comme une infraction très grave à la loi ou à la morale, aux lois humaines. Un acte puni parce qu’offensant les « états forts et définis » de la conscience commune. Ainsi, même s’il faut reconnaître que l’avortement clandestin est considéré comme un fait qui défie « nos » valeurs culturelles fondamentales, nous ne devons pas perdre de vue que l’usage a lieu souvent dans des moments où la société veut conduire un de ses membres en situation difficile à perdre la face, c’est-à-dire son humanité, en lui demandant implicitement de ne pas s’offrir le luxe de « gommer » toutes traces qui, sa vie durant, l’empêcheront de vivre, explique ainsi l’anthropologue Pr Lamine Ndiaye, spécialiste de la thanatologie, de la violence et de la déviance.
Le crime ne fait sens que par rapport à la peine infligée qui, en définitive, est une réaction socialement entretenue, c’est-à-dire une réponse par rapport au fait incriminé. Ainsi que le dit Emile Durkheim, « il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu’il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons ». Que pouvons-nous donc en dire de l’avortement ?
Jérôme William Bationo
Chroniqueur pour Burkina24
Les Pérégrinations de Belélé est une chronique hebdomadaire, éponyme de son auteur, Belélé Jérôme William Bationo. A travers cette rubrique qui se veut un voyage autour de plusieurs thèmes (société, développement, politique, culture, environnement, etc.), il veut à travers plusieurs billets de partager avec les lecteurs de Burkina24 son expérience issue de ses formations académiques et continues, de ses lectures et de son parcours de journaliste, consultant média. Les Pérégrinations de Belélé se veulent donc éclectiques et ouvertes au débat contradictoire pour un réel partage d’idées.
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