Etude : Les obstacles rencontrés pour se former à distance du point de vue des apprenants du Sud (Abidjan, Niamey, Ouagadougou)
Ceci est une étude réalisée par GUIRE Inoussa, INSS/CNRST Ouagadougou, intitulée « Les obstacles rencontrés pour se former à distance du point de vue des apprenants du Sud (Abidjan, Niamey, Ouagadougou).
Résumé
Cet article est une vulgarisation d’une recherche que nous avons menée dans trois pays (GUIRE, 2019) sur les obstacles rencontrés par les étudiants dans leurs formations à distance organisées par les campus numériques francophones. A partir d’un guide d’entretien, nous avons collecté nos données au format audio et vidéo auprès de 30 apprenants de niveaux Master2 à Niamey, à Ouagadougou et à Abidjan. Ces données ont été transcrites et traitées avec le logiciel CLAN. Il ressort de leur point de vue, que des obstacles existent tant au niveau des universités qui fournissent les formations qu’au niveau local impliquant généralement l’apprenant lui-même. Des propositions ont été formulées pour l’amélioration de la formation ouverte et à distance offerte par les campus numériques francophones.
Introduction
La formation ouverte et à distance (FOAD), lorsqu’elle est certifiante, permet aux apprenants de disposer à la fin de la formation, d’un diplôme tout en restant chez eux. L’attrait de ce type de formation aussi bien pour les étudiants ordinaires que pour les professionnels n’a cessé de croître depuis 1999. C’est avec fierté que les FOAD ont été accueillies comme une solution à de multiples problèmes liés à l’accès à des formations diplômantes, et surtout aux crises que traversent certaines universités africaines depuis 1970 (Loiret et Oillo, 2013, p.7). Certaines universités du Sud commencent à proposer des formations à distance sous l’égide de l’AUF comme le Master droit de cyberspace de l’université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal en 2006 (Loiret et Oillo, 2013, p.19) et le Master en télécommunication (MASTEL) de Yaoundé ouvert en 2007. Parmi les apprenants qui profitent de l’ensemble de ces services, certains bénéficient d’allocations et d’autres supportent entièrement les frais de formation. Mais avec le temps, des échecs et des abandons sont constatés, ce qui nécessite une recherche de solutions.
En 2010, trois apprenants de l’Afrique de l’Ouest ont bénéficié de l’allocation de l’AUF pour suivre la formation dénommée « Informatisation des langues » de l’Université de Nantes. En 2012, un seul de ces allocataires avait pu terminer avec succès cette formation. Aussi, nous avons constaté que deux autres inscrits sur titre du Burkina et de la Côte d’Ivoire avaient également abandonné. L’un d’eux a abandonné avant la fin de la première année, le deuxième voulait une dérogation pour se réinscrire, mais l’université de Nantes ne le lui a pas permis au regard de sa moyenne qui était insuffisante.
Ces deux derniers s’étaient pourtant acquittés de la totalité des frais de formation. Si chaque année l’AUF octroie des allocations d’études à distances en plus de la gamme de services offerts dans les CNF (Loiret et Oillo, 2013, p. 16), c’est pour mettre toutes les chances du côté des apprenants à distance afin de faciliter d’avantage leur succès. Les apprenants tout comme l’AUF qui les accompagne, ne visaient au départ que la réussite. Pourquoi y a -t-il des échecs ? Quels sont les obstacles que rencontrés par les apprenants FOAD de l’AUF en Afrique de l’Ouest ?
Cette recherche s’inscrit dans le cadre de la théorie de Kikpatrick (1956) sur l’évaluation de formations. Cette théorie d’évaluation des formations basée sur les attentes des apprenants dénommée Return of Expectation (ROE) selon quatre niveaux de l’évaluation à une formation. Pour Yves Chochard (2014), il faut éviter de confondre cette théorie au ROI (Return On Investment) de Jack Phillips dans Pottiez (2012) auquel pensent les dirigeants des organisations lorsqu’ils envoient leurs agents en formation. ROI serait le retour d’investissement et la visée est généralement économique. Nous nous intéressons au ROE, et notamment à son premier niveau qui correspond à l’évaluation du ressenti. « Le premier niveau appelé « réactions » s’intéresse à la satisfaction des apprenants suite à la formation et ce sur plusieurs aspects de la formation » (Gilibert et Gillet, 2010, p.222). Le guide d’entretien contient des questions ouvertes et des questions fermées.
La première partie est consacrée à l’apprenant enquêté et du matériel qu’il utilise. La deuxième partie est constitué des questions fermées à choix unique où l’enquêté se donne une note allant de zéro à dix sur la représentation de sa maîtrise de certains éléments comme l’organisation de son temps et l’utilisation des outils informatiques, La troisième partie sous forme de questions ouvertes est consacrée aux difficultés que l’apprenant a rencontrées au cours de sa formation de Master 2 et les éventuelles solutions de son point de vue. La dernière partie est consacrée aux causes et aux solutions des abandons. Le tout est transcrit sous le logiciel CLAN avec des codages qui en facilitent l’extraction d’items recherchés
Résultats obtenus
Nos 30 apprenants sont constitués de 19 hommes et de 11 femmes. Ils avaient un âge compris entre 25 et 49 ans pour les 18 personnes qui ont accepté le décliner. Parmi eux 4 avaient déjà un doctorat dont 2 enseignants chercheurs en économie et en sciences du langage et 2 médecins. Ils se sont inscrits dans des formations de Master 2 plus moins liées à leur profession. 7 ont obtenus leurs Master 2. 15 apprenants se sont inscrits après la maîtrise et 4 après le Master 1.
Le matériel réellement utilisé par les apprenants dans leur formation se présente comme suite : 20% d’entre eux utilisent en plus de leurs portables, des ordinateurs fixes généralement dans leurs bureaux institutionnels. Tous les 30 apprenants utilisent des ordinateurs portables, 5 d’entre eux des tablettes, 4 personnes utilisent des smartphones.
De l’auto-évaluation comme pré-test
Nous avons demandé de s’autoévaluer en se donnant une note comprise entre zéro et dix sur la maîtrise de certains éléments liés à la formation à distance. 20% se sont attribué une note inférieure à 5/10 pour l’organisation du temps, 80% ont estimés être au-delà de la moyenne avec une personne confiante qui s’attribue la note de 10/10 parce qu’elle a priorisé sa formation dans sa vie. Les différentes notes données pour les rubriques « maîtrise des outils informatiques », « compréhension du système d’évaluation » et « appropriation des cours » montrent que les apprenants se jugent différemment et cela témoignent certainement des difficultés existantes. Le tableau suivant en fait le point.
Au cours de leur formation, aucun apprenant n’a cocher les deux premières colonnes réservées à la note de 1/10 et de 2/10, deux apprenants se sont donnés la note de 2/10, quatre se sont attribués la note de 4/10, et pour la note 10/10, un seul apprenant se l’est attribué. De 6/10 à 10/10, on totalise 18 apprenants qui pensent maîtriser plus ou moins leur temps.
Au niveau de la maîtrise des outils informatiques, aucun des 30 apprenants ne s’est attribué une note inférieure à 5/10, car les chiffres zéro (0) correspondent aux cases qui n’ont pas été cochées. On a deux apprenants qui ont coché pour la note de 5/10, et quatre se sentent même comme experts, avec une note de 10/10, même si le domaine de l’informatique est vaste pour s’attribuer une telle maîtrise. En poursuivant l’entretien, nous apprenons que ces quatre apprenants ont des professions fortement liées à l’informatique, on trouve par exemple parmi eux un consultant et chef de projet informatique et un chargé de projets et formations dans un centre numérique francophone.
Pour ce qui est de la compréhension du système d’évaluation et aussi de l’appropriation des cours, ils reconnaissent n’avoir pas de compétences parfaites dans la mesure où en regardant dans la colonne de 10/10, seulement 3 apprenants reconnaissent comprendre parfaitement le système d’évaluation et 2 arrivent à s’approprier totalement les cours. 17 apprenants sur les 30 ont une note comprise entre 5/10 et 7/10 pour l’appropriation des cours. Ce qui prélude déjà qu’il y a des difficultés à signaler.
L’analyse croisée entre le sexe des apprenants et la réponse à la question sur les difficultés liées à l’acquisition et à la compréhension montre que 15,8% des hommes ont la note de 5/10 alors qu’aucune femme n’a une note inférieure à 6/10. Ce qui montre que les femmes de notre échantillon pensent avoir moins de difficultés et sont plus confiantes que les hommes à comprendre les cours à distance.
Pour la question sur la maîtrise de l’organisation du temps, 54.46% des femmes ont une note inférieure ou égale à 5/10 contre seulement 31,6% d’hommes pour la même fourchette de note. On pourrait évoquer les charges familiales comme l’entretien des enfants et du ménage qui influence sur la maîtrise du temps chez les femmes. Cependant, 27,3% de femmes ont une note supérieure ou égale à 9/10 contre 10,5% des hommes.
Dans la suite de l’entretien après ce pré-test, il a été demandé à chacun de parler des difficultés de toutes les difficultés vécues au cours de leurs formations ou que d’autres apprenants de niveau Master 2 auraient rencontrées. Après chaque obstacle évoqué, qu’il soit sur l’accès aux cours, sur la barrière linguistique, sur les contraintes sociales ou autres, nous leur demandons d’en proposer des solutions. De temps en temps, nous nous référions aux domaines où chacun s’est donné une note inférieure à 10/10 pour l’inciter à parler de ses difficultés.
Des obstacles à l’utilisation des outils informatiques
Les difficultés avec les outils informatiques concernent pour certains le manque d’aptitude d’auto apprentissage et d’appropriation des outils, l’incompatibilité de certains outils avec les ordinateurs personnels qui sont généralement sous Windows, la difficulté d’installation de certains plugins et de connexion à Internet.
C’est dire donc que ce sont des soucis que l’on pourrait penser qu’ils sont fondamentaux pour qui veut apprendre en ligne.
Pour l’apprenant E16, « tout est dit sur la plateforme », il faut plutôt inviter les apprenants à bien lire les tutoriels et autres aides. Le « tout » renvoie certainement à l’aide nécessaire auquel un inscrit pourrait s’attendre pour maîtriser la plateforme de sa formation.
L’idée commune qui se dégage des différentes propositions de solutions est qu’il faut « une formation initiale de prise en main du matériel pédagogique » (E3, E5, E8, E10, E11 et E13) pour amener les apprenants à maîtriser certains outils dès le début de la formation. Ce qui leur permettrait de participer plus aisément au travail collectif et au partage à partir des réseaux sociaux s’il le faut. Nous voyons là une solution à ce que Karsenti et collin (2011) appellent « la distance technologique ».
De l’accès aux cours à distance
De l’avis des apprenants (E3, E4, E9, E10, E17, E21, E27, E29), la difficulté d’accès au cours est liée principalement au débit de connexion qui baisse souvent au point où l’accès à la plateforme devient impossible ou bien aux coupures d’électricité qui sont souvent intempestifs. Il y a des fois où ces situations se généralisent si bien que même les CNF en sont victimes. L’extraction automatique du logiciel CLAN des différents avis sur les difficultés d’accès aux cours est ici omis. On lit dans cet extrait, de l’avis de l’étudiant E22, que la coupure du réseau Internet peut avoir une raison nationale liée au besoin des autorités de contrôler l’information. C’est un point de vue difficile à vérifier, mais qui peut être vraie. Des efforts sont pourtant faits pour servir au mieux les apprenants qui fréquentent les campus numériques.
Nous avons vu au CNF de Ouagadougou en 2012 quand nous étions encore apprenant FOAD en Master 2, des accumulateurs de relais en cas de coupures momentanées d’électricité. Pour les coupures d’électricité, l’énergie solaire peut être envisageable, mais cela n’a pas été mentionné. Les propositions de solutions de la part des apprenants se résument « rendre facile l’accès à Internet », ou « doter chaque apprenant d’une bonne connexion ».
D’autres pensent que c’est à l’apprenant de se doter d’un moyen de connexion personnelle complémentaire s’il tient à sa formation parce qu’il y a des situations où il y a simplement coupure d’électricité et non pas absence de connexion Internet. Pour les coupures de connexion Internet, les CNF sont souvent impuissant si c’est dû au fournisseur d’accès. A Abidjan comme à Ouagadougou (E9), certains apprenants proposent que le CNF obtienne les trois réseaux de télécommunication, de sorte que, si un réseau s’affaiblit momentanément au point de ne pas pouvoir fournir l’accès à Internet, que le CNF balance vers un autre afin de rester opérationnel. L’apprenant E29 a vécu l’amère situation au CNF d’Abidjan lors de sa présentation en visioconférence. La même proposition a été faite à Niamey par l’apprenant E26 qui trouve que le CNF a souscrit avec un fournisseur (SONITEL) qui semble être le moins stable parmi les trois réseaux disponibles. Ce souci de connexion Internet exprimé par ces apprenants FOAD contribue aussi à rendre difficile leur autonomisation par rapport aux apprentissages.
De l’autonomisation des apprentissages
Un nombre non négligeable d’apprenants (E8, E10, E16, E20, E21, E23, E24, E27, E28) trouve qu’ils ont beaucoup de préoccupations et ont besoin d’accompagnement alors que certains enseignants ne sont pas accessibles. L’apprenant E9 pense qu’un coaching est nécessaire dans certains domaines d’apprentissage pour éviter les confusions. L’apprenant E11 trouve qu’il faut assister les apprenants ne serait-ce qu’au début pour les amener à être relativement autonomes.
Au-delà de ces allégations, on pourrait voir l’expression d’une dimension socioaffective en manque chez ces apprenants. Le contexte africain est socialement très affectif. « En Afrique, le voisin est, en règle générale, un véritable « frère de service » » (Fometeu, 2008, p. 121) Autant le voisin est important par sa capacité à porter secourir immédiatement en cas de besoin, autant l’ainé l’est pour son expérience dans la vie (accumulations de savoirs) qu’il peut partager et son aptitude à comprendre la situation des cadets. L’enseignant remplit cette double utilité de par sa proximité physique pendant le cours et de son savoir qu’il partage. Sa simple présence inspire une confiance à l’apprenant. « La confiance en l’autre contribue à créer un climat de sécurité en formation » (Dussarps, 2015, p.3). E21 trouve que Internet permet de voir à distance et ne comprend pas pourquoi cette possibilité n’est pas exploitée. On pourrait même permettre aux absents pour les cours en Visio, de revivre l’ambiance du cours en regardant sur la plateforme la vidéo des cours précédents note E23. Dans l’apprentissage à distance, l’enseignant n’est pas présent physiquement, les émotions et les sentiments sont vécus autrement pour ces apprenants. Ce qui peut influencer négativement sur le sentiment d’auto-efficacité.
Comme solutions aux préoccupations des apprenants en matière d’autonomisation, on note entre autres, les idées suivantes avec un besoin d’accompagnement ;
« Que le professeur ait des rencontres avec les étudiants selon son temps pour échanger avec eux afin qu’ils exposent leurs difficultés plutôt que de faire des messages groupés » ( E16), « Que chaque professeur puisse venir souvent sur la plateforme et échanger avec les étudiants sur leurs difficultés car les messages écrits ne suffisent pas» (E21), « il nous faut des tuteurs », « il faut accompagner les cours de leur version vidéo », « qu’il y ait des tuteurs avec qui les apprenants peuvent discuter » E24, « le tutorat sur place serait intéressant, les enseignants doivent se rendre disponibles » E30.
L’apprenante E29 est prête à être tutrice locale pour les promotions à venir afin d’éviter aux autres la difficulté qu’elle a eue si l’AUF le lui demandait. On retient que le terme tueur revient le plus souvent. Seul l’apprenant E28 note que l’apport d’un tuteur local n’est pas évident, dans la mesure où cela reviendrait à disposer encore du temps pour passer le rencontrer. Cependant, E10 qui est inscrit en Master (M2) Géographie et Aménagements, option Aménagement et Gouvernance dans les pays du Sud à l’université France Comté, voit autrement cette question de l’autonomie et s’exprime en ces termes : « Comme solution c’est eh, je ne vois pas de miracle. Il appartient eh, à mon sens il appartient à l’étudiant de développer des stratégies pour être autonome ».
C’est dire donc que chaque apprenant appréhende les solutions à l’autonomisation des apprentissages en fonction de sa situation ou de son expérience propre.
De la difficulté d’organiser son temps
En formation à distance les apprenants ont souvent une vie de famille et un emploi. Il leur est souvent difficile de concilier ces différentes sphères de vie. Ce qui rend difficile l’organisation du temps. Il ressort de nos entretiens que la difficulté d’organisation du temps est souvent le fait des imprévus mal gérés et surtout le décalage horaire entre les universités qui fournissent les formations et le lieu géographique des apprenants. En cas d’évaluation par exemple, certaines périodes sont inopportunes. Selon l’apprenant E9, la difficulté d’organiser son temps se traduit par l’impossibilité de rendre le travail exigé à temps. On note entre autres solutions, les avis des apprenants E3, E6, E13, E15, E19 et E22 extraits avec CLAN et repris dans Cmap Tools comme il suit :
Figure 3
3.1.1. La barrière linguistique
Les formations de niveau Master (M2) donnent une certaine ouverture au monde qui nécessite un minimum de connaissance en anglais aussi bien en master professionnel qu’en master de recherche. Pour ce qui est du master de recherche, la connaissance de l’anglais est beaucoup appréciée. La plupart des revues indexées au niveau international en sciences humaines, sociales et naturelles sont en anglais. Hamel (2013) note qu’au niveau de l’enseignement supérieur et de la science en général, les domaines concernés par l’utilisation de l’anglais sont le domaine de la production ou de l’élaboration de la recherche, le domaine de la circulation notamment de la réception et diffusion des résultats et enfin le domaine de l’enseignement. Le monde francophone n’y échappe pas. L’enseignement supérieur et de la recherche de la francophonie constitue de ce fait un espace plurilingue. « Et l’enseignement, de son côté, fonctionne surtout en français, mais il doit intégrer des lectures de textes en anglais et dans d’autres langues » (Hamel, 2013, p. 59). Nous avions pensé que l’anglais serait cité comme une barrière linguistique par les apprenants FOAD des campus numériques francophones. Mais ce ne fût pas le cas. Aucun des apprenants avec qui nous avons eu des entretiens ne mentionne l’anglais comme une barrière. Le contexte de notre enquête est francophone, les apprenants eux-mêmes choisissent des formations qu’ils pensent réussir, la langue ne constitue pas une barrière parce que tous semblent apprendre dans leur langue. Avec ces adultes qui ont déjà un assez long cursus scolaire, le français est devenu leur principale langue. Ils choisissent aussi de s’inscrire dans des formations et des universités francophones. Ce qui limite la barrière linguistique.
Le troisième cycle implique une certaine aptitude en anglais, mais l’anglais qui est souvent exigé, les apprenants le trouvent acceptable et n’ont aucun souci de compréhension. Le cas souvent évoqué par les apprenants E21, E28 et E29 est celui de la documentation en anglais dans certains domaines, mais là aussi, la langue ne constitue pas à vrai dire une barrière l’apprentissage.
Les contraintes sociales
Les situations socialement limitantes vis-à-vis de leur formation sont les baptêmes, les mariages, les funérailles, les oppositions de certains supérieurs hiérarchiques dans les services et les entreprises, et aussi la réticence de certains conjoints dans les couples à faciliter la formation du partenaire. Il semble y avoir deux groupes. Il y a des apprenants qui prétendent n’avoir pas rencontré des contraintes sociales à proprement parler dans leur formation à distance, tandis qu’il y en a qui admettent l’existence de contraintes sociales soit parce qu’ils en ont eux-mêmes vécues ou bien des connaissances en ont été victimes. Les apprenant E9, E10 et E15 pensent qu’en FOAD on ne peut pas parler réellement de contraintes sociales parce que ce n’est pas une formation en présentiel. Il y a cependant des apprenants qui en rencontrent. Aussi, les contraintes sociales sont multiples et variées. On note avec certains apprenants que dans certaines entreprises, le fait de suivre une formation diplômante est mal perçu, parce que cela laisse présager une possibilité de départ. Ainsi, certains sont obligés de cacher à leur responsable le fait qu’ils suivent une formation. De l’avis de l’apprenant E11, on trouve certains responsables qui, parce qu’ils savent que tel agent suit une formation, le surchargent de travaux au point où il est obligé de s’y consacrer même les weekends pour le rendre le lundi suivant.
L’apprenant E24 dit avoir eu des difficultés pour avoir l’autorisation de venir à Abidjan soutenir son travail de fin de formation dans un module. Au niveau des conjoints dans les couples, la formation ouverte et à distance est vécue tout autrement. E23 trouve en sa femme compréhension et encouragement tandis que E28 note que la compréhension de la famille n’est pas évidente, mais il faut être déterminé pour sa formation. Certaines femmes interrogées trouvent en leurs conjoints un accompagnement et un soutien incontesté sans lesquels elles auraient eu des difficultés réelles à mener à bout leur formation.
On note cependant qu’il y a des cas, à Niamey et de l’avis de la responsable des formations du CNF, où des conjoints ne facilitent pas la tâche à leurs partenaires femmes qui veulent continuer les études. La solution aux contraintes sociales, selon l’apprenant E11, E15 et E18 est qu’il faut toujours réaménager son retard par rapport aux événements sociaux vécus et s’arranger pour que sa participation à ces événements sociaux ne joue pas sur sa formation. Ils invitent néanmoins les responsables des formations à tenir compte des cas sociaux majeurs comme la maladie, la perte d’un proche et support moral que certains apprenants peuvent subir afin de leur permettre de se rattraper. Pour la contrainte à l’entreprise il faut savoir s’organiser pour tout supporter (E25).
Figure 4
Et de toutes les façons, l’apprenant E30 fait savoir que dans la vie, il faut savoir prioriser son choix pour réussir. C’est dire donc que la motivation reste pour elle la clé de la réussite en FOAD.
Des abandons
Il faut noter qu’il y a deux types d’abandons Selon Dussarps (2014). Les « faux abandons » peuvent être des apprenants issus de « défaillances » administratives tandis que les « vrais abandons » concernent des apprenants qui n’ont pas initialement prévu d’abandonner la formation mais dont les causes l’abandon sont dues à l’environnement ou au dispositif de FOAD (Dussarps, 2014, p.353). Nous résumons ici les raisons du point de vue des apprenants du Sud rencontrés.
Nous retenons les points de vue des apprenants E1, E2, E4 et E7, pour qui, les abandons sont dus à la mauvaise compréhension (ou à l’incompréhension) des cours entrainant des difficultés aux cours des devoirs et des découragements ensuite. A cela s’ajoute le manque d’interlocuteur direct sur les questions d’incompréhension alors que certains enseignants sont difficiles d’accès. Aussi, certains tuteurs se rendent indisponibles. Ces points de vue, même s’ils peuvent être classés parmi des suppositions dans la mesure où les apprenants E2 et E4 ont terminé avec succès leur formation de Master 2 en FOAD, mais reflètent une éventualité à prendre réellement en compte. Pour l’apprenant E7, l’incompréhension des cours est aussi imputable au fait que les apprenants n’ont pas le temps de bien lire les cours et les documents y afférents. C’est donc un problème de gestion du temps qui empêche ces derniers d’être à jour des exigences de leur formation. Ce qui rejoint l’avis de l’apprenant E6 selon lequel la contrainte de temps serait effectivement un facteur d’abandon. Il souligne que le rythme des cours est tel que les apprenants n’arrivent pas à s’adapter au regard des pressions professionnelles.
Le coût élevé des formations a aussi été mentionné comme facteur d’abandon par l’apprenant E3. Il y a des apprenants qui n’arrivent pas à prendre en charge tous les frais directs et indirects liés à leur formation et qui finissent par abandonner. Il faut reconnaitre que pour certaines formations, les coûts sont réellement élevés et il n’y a pas de palliatifs. Nous notons à la suite de Loiret que « Si les FOAD doivent se construire sur un modèle économique, ce n’est cependant pas un marché, même si dans notre environnement mondialisé la concurrence et la marchandisation frappent durement le secteur de l’éducation » (Loiret, 2013, p3).
Un autre facteur d’abandon cité par les apprenants est la non maîtrise des outils informatiques dans certaines formations.
Nous retenons que plusieurs facteurs concourent à l’abandon de la formation ouverte et à distance par un apprenant, et de ce fait, des solutions adéquates doivent être trouvées. Il a été demandé aux apprenants rencontrés de proposer d’en solutions.
De l’avis de l’apprenant E11 sur la contrainte du temps, avant de s’inscrire à une formation, il faut s’assurer d’avoir un minimum de temps à consacrer aux cours et aux éventuelles évaluations. Il faut également s’assurer de disposer d’une connexion illimitée partout où l’on se trouve. Pour les apprenants E7 et E8, chaque apprenant doit éviter d’accumuler des cours sans les lire et des devoirs non faits. Pour le cas des apprenants qui n’arrivent pas à assimiler les cours parce qu’ils ont perdu l’aptitude d’apprendre, il n’y a pas d’autre solution car il faut avoir le niveau nécessaire pour suivre une formation avant de s’inscrire.
Des solutions à l’intention des institutions responsables des formations
Les apprenants E3 et E4 proposent comme solutions aux abandons dus aux coûts de formation, qu’il y a une réduction de ces coûts ou des mécanismes de flexibilités pour le paiement des frais de formation. Pour ce qui est de certaines formations, les apprenants demandent qu’il y ait des bourses de stages.
Pour le manque d’interlocuteur en cas de difficulté souligné par l’apprenant E2, la solution proposée est de trouver le moyen de favoriser la communication entre apprenants et enseignants d’une part, et entre apprenants et service de scolarité des établissements des formations d’autre part. Ceci parce qu’il y a des enseignants qui ne répondent même pas aux messages des apprenants alors qu’il n’y a pas de tuteur pour leur module. L’apprenant E5 trouve que l’on peut faire appel aux anciens apprenants qui ont réussi brillamment leur formation ou qui seraient en PhD pour accompagner localement les nouveaux apprenants.
Dans le but de faciliter la gestion du temps aux apprenants, il est proposé (par E5) que les modules ne soient pas donnés en même temps aux apprenants. L’apprenant ne doit accéder au module suivant que lorsqu’il a validé le module précédent.
La lecture est fondamentale pour la formation de niveau Master 2. Ce ne sont pas toutes les formations qui peuvent proposer des cours en audio ou en Visio. Ce sont des cours et des documents téléchargeables au format pdf qui sont le plus proposés. Il faut donc que l’apprenant lise beaucoup. Il ne s’agit pas de lire comme on pourrait le faire avec un journal, mais une lecture soutenue, avec des recherches complémentaires parallèles pour mieux comprendre la matière s’il le faut.
Avant de conclure, il y a lieu de revenir sur notre entretien avec l’apprenant E28 porte-parole d’un groupe d’étudiants à Abidjan qui nous a fait le point d’un rapport intitulé « Rapport des difficultés et disfonctionnements rencontrés par les étudiants FOAD MASSICO dans le cadre de leur formation ». Ce rapport est écrit par le groupe d’apprenants FOAD de la Côte d’Ivoire des promotions 2012, 2013 et 2014 de la formation MASSICO adressé aux responsables de l’AUF.
On y retient entre autres plaintes, que le nombre d’unités d’enseignement (UE) présenté aux apprenants à leur inscription au Master 2 MASSICO était de 5UE, ce nombre est passé à 16UE lors des évaluations de fin de formation. Deux semaines avant les examens de rattrapage, le dossier contenant les copies des apprenants de Côte d’Ivoire n’était pas encore ouvert pour correction alors que les apprenants des autres pays avaient déjà leurs notes. Les devoirs et compositions n’étaient pas encore corrigés lorsque le coordonnateur leur envoyait un mail fixant la date limite de dépôt et de soutenance des mémoires. Ces apprenants n’avaient pas non plus d’information sur les notes non validées. L’apprenant E28 propose comme solution pour que de tels obstacles à la FOAD ne se produisent plus, que l’AUF insiste sur la signature des chartes de crédibilité et des conventions d’obligations entre elle et les établissements proposant des formations.
Nous présentons nos décharges à ces étudiants qui attendaient beaucoup de notre passage au CNF d’Abidjan. Nous leur notifions que nous avons rapporté leur préoccupation lors d’une rencontre à Dakar, mais que nous avons ensuite eu suffisamment de difficultés pour publier nos travaux. Il en est de même de cet apprenant nigérien E20 qui travaillait dans un projet à Diffa. Il a parcouru plus de 1000 km, de Diffa et à Niamey, pour notre entretien. Les données vous concernant ont non seulement été supprimées de nos travaux, mais l’article, qui ne pouvait être publié que dans deux revues qui nous ont été proposées à cet effet, a pris quelques années pour l’être, puis antidaté de sorte qu’il ne puisse nous nous être utile ni pour le CAMES 2019, ni pour les autres sessions à venir. Nous avons alors compris pourquoi cette Dame, qui avait une certaine responsabilité à l’époque au CNF de Niamey, a refusé de se prêter à notre questionnaire.
Conclusion
Les thématiques dégagées des entretiens et les solutions proposées par les apprenants rappellent les différents défis auxquels se heurtent les apprenants FOAD africains. Il s’agit des défis lieu principalement au temps et à l’espace, notamment la barrière de la distance spatiale dont les FOAD sont censés réduire, la distance temporelle avec une flexibilité des cours qui ne sont plus en présentiel modifiant la gestion du temps et incluant une communication asynchrone entre apprenants et professeurs, la distance technologique ou obstacle dû à la non maitrise des outils informatiques (TIC), la distance socioéconomique marquée par le manque de matériel informatique et enfin la distance socioculturelle liée à l’autonomisation des apprentissages.
Comme points saillants des solutions proposées, on note des cours d’initiation ou de prise en mains de certaines plateformes et outils pédagogiques, de la nécessité pour les bénéficiaires à être informés et à se rendre disponibles pour suivre ces cours, des besoins de tutorats avec fonction pédagogique et socioaffective évoquée aussi bien par certains apprenants rencontrés à Niamey qu’à Abidjan. Il a aussi été proposé de réduire les barrières institutionnelles pour les procédures d’inscription et d’admission, les exigences de fréquentation, les dates fixes de début et de fin de cours, la différence entre le nombre d’unités de formation présentés aux apprenants lors de l’inscription et le nombre à la fin, les devoirs et compositions non corrigés par les professeurs au moment où le coordonnateur leur envoie un mail fixant la date limite de dépôt et de soutenance des mémoires, et enfin le manque d’information des apprenants sur les notes non validées. N’est-ce pas dans ce sens que va l’université Virtuelle du Burkina (UVB) qui vient de recruter un nombre important de tuteurs et de mettre à disposition de chaque étudiant du kit informatique minimum pour les cours en ligne ?
Source bibliographie
GUIRE, Inoussa (2019). « Les obstacles rencontrés pour se former à distance du point de vue des apprenants du Sud (Abidjan, Niamey, Ouagadougou) de niveau Master 2 » in frantice.net, N° 15 http://frantice.net/index.php?id=1538. ISSN 2110-5324, pp. 67 -86.
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