Ici Au Faso : Josiane Gyengani/Kaboré, cheffe coutumière à Kokologho
Intellectuelle, sociologue de formation, mère de deux enfants et fonctionnaire internationale, Josiane Gyengani née Kaboré est fille aînée de son père Feu Naaba Kãongo, et d’une fratrie de six enfants. Elle assure depuis 11 ans la régence de la chefferie traditionnelle du canton de Kokologho (13 villages et 6 secteurs), un département et une commune émergente, situé à environ 42 Kilomètres de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Installée comme « Na-poko » (Cheffe traditionnelle en langue mooré), après le décès de son père, elle a la responsabilité d’assurer la continuité de la chefferie coutumière dudit canton, le temps que le prince héritier soit préparé et intronisé. Découverte !
Assise sur son trône, sereine, le regard franc, elle force le respect… 1er juillet 2011-1er juillet 2022. Cela fait exactement onze (11) ans que Josiane Gyengani née Kaboré a été installée comme Na-poko du canton de Kokologho pour succéder de façon transitoire à son défunt père, Naaba Kãongo.
Âgée de 59 ans (Née en août 1963 à Bobo-Dioulasso, Ndlr), « Na-poko » du canton de Kokologho, car c’est ainsi qu’on l’appelle, assume cette fonction au regard de son statut de fille ainée de son défunt père. Mais ce n’est pas un fait inhabituel en pays moaga qu’une femme assume la transition du pouvoir traditionnel jusqu’à l’intronisation d’un nouveau chef.
Elle raconte que c’est depuis le temps le premier roi du royaume de Ouagadougou (Naaba Oubri) que cette disposition a été instituée dans la chefferie traditionnelle moaga. Car, retrace-t-elle, après le décès de ce dernier, l’absence d’un leader pour assurer le fonctionnement du royaume pesait sur la vie de celui-ci. Pour y remédier, les notables décidèrent de se réunir afin de trouver des mécanismes de gestion des affaires courantes du royaume.
Je côtoyais mon grand-père et ma grand-mère…
À l’issue de leurs concertations, ils décidèrent que la fille ainée du défunt chef (Naaba Oubri) puisse occuper le trône en attendant que le prince héritier soit préparé pour l’intronisation. « Et depuis lors dans le royaume moaga, c’est ainsi que les choses se passent. Et c’est à cette fin que je suis venue à ce rôle suite au décès de mon père », nous précise la Na-poko du canton de Kokologho.
Assumer la fonction de Na-poko, pour Josiane Gyengani, engendre beaucoup de changements dans son quotidien surtout avec les interdits y relatifs. Mais cela renforce également le rôle de la femme dans sa société, estime-t-elle. Elle souligne que dans les dispositions coutumières, les femmes ont un rôle à jouer. De même, les princesses sont généralement préparées dès leur bas-âge à jouer ce futur rôle du vivant de leur père chef.
La Na-poko du canton de Kokologho informe que c’est dans ce sens qu’elle aussi a été préparée depuis le règne de son grand-père et celui de feu son père. Au temps de son grand-père, confie-t-elle, elle passait presque toutes ses vacances auprès de lui au village.
« Je côtoyais mon grand-père et ma grand-mère. J’ai appris beaucoup de la tradition à leurs côtés. Pendant le règne de mon père, j’ai également suivi un peu comment la gestion quotidienne du canton était assurée et les tantes aussi m’ont initiée sans qu’à son temps, je réalise que c’était pour assurer plus tard un rôle dans la tradition », témoigne-t-elle. Elle poursuit en ajoutant qu’elle a reçu également et bénéficie encore du soutien de sa mère, la Reine Mère, elle-même princesse du canton de Sabou.
Elle concède qu’elle ne rencontre pas de difficulté majeure pour répondre à ses obligations en tant que régente du canton de Kokologho. Pour elle, la réussite est, en partie, liée à une bonne organisation. Selon la Na-poko, le plus difficile, ce sont les interdits qui sont imposés, et qui sont pratiquement les mêmes d’ailleurs pour les hommes. Elle relate qu’après son installation, tous les vendredis, elle devait assurer le déroulement des rites dont certains se faisaient différemment que du vivant de son père.
« Il y a un espace où on se retrouve tous les vendredis matin. Et là, je suis obligée de me parer des attributs de mon père, c’est-à-dire le bonnet, le boubou, la canne et les chaussures traditionnelles pour m’adresser à la Cour et aux représentants de la population. S’il y a des informations à passer, il y a quelqu’un qui est habilité à cela et qui joue notamment le rôle de ministre de la Communication », révèle-t-elle.
Ce n’est pas une chefferie à temps plein
Après cette étape, la Na-poko se retire dans un autre espace plus restreint avec les coutumiers et les princes. Là, ils statuent sur certains sujets qui ne peuvent pas se relayer dans le public. Quelques interdits qu’elle relève c’est que tous les vendredis, jusqu’aux funérailles de son père, elle ne pouvait pas serrer la main d’une tierce personne. Cet interdit s’appliquait même aux membres de sa famille restreinte.
Dès le jeudi nuit, elle se mettait en retraite, une disposition qu’elle observait jusqu’au samedi matin. « C’est quand les rites finissent que je retrouve mes habitudes quotidiennes avec les autres interdits qui vont avec », rapporte-t-elle. Mais après les funérailles, certaines règles ont été allégées. Toutefois, elle dit avoir passé plus d’un an, période durant laquelle toutes les soirées des jeudis, elle devait vivre en reclus jusqu’au samedi matin. Elle ajoute qu’en ce qui concerne les rites du vendredi, elle ne les assure plus de façon hebdomadaire. Elle s’y soumet en fonction des situations du moment.
« Mais ce qu’il faut préciser, c’est que la régence n’est pas une chefferie à temps plein. C’est pour assurer la transition (interrègne), juste le temps qu’on prépare le successeur (généralement le prince héritier) qui va être intronisé par la suite. C’est vrai que pour ce qui concerne ma situation, ça dure un peu, cela fait quand même onze (11) ans. Mais, il y a des raisons sous-jacentes qui font que c’est comme ça. Et il faut accepter les choses comme elles arrivent », affirme-t-elle.
Ils m’accompagnent vraiment sans réserve…
Qui est ce prince héritier ? À quand son intronisation ? Cela demeure un secret dont la Na-poko s’en réserve d’évoquer avec nous. « C’est un sujet qui demande de la discrétion. Désolée, je ne peux l’aborder avec vous. C’est lourd », répond-elle. Quant à ses relations avec ses sujets, la Na-poko relève que tout se passe comme dans l’administration moderne. Tout est bien structuré et hiérarchisé. Elle indique qu’en ce qui concerne son canton, il y a cinq (05) principaux notables et les autres chefs de village. À côté, poursuit-elle, il y a les princes et les chefs de clans, tous organisés autour d’un doyen.
« Ma chance est qu’il y a ma mère qui est encore en vie et réside dans le canton. Autour d’elle, certaines choses se font à mon absence. Donc cela me soulage beaucoup. Mais pour certaines décisions quand on passe l’information, on se concerte, on prend le temps et on a aussi des personnes ressources dans le dispositif. On a des ‘Naaba’ d’autres cantons qu’on sollicite de temps en temps pour pouvoir prendre des conseils avisés », confie-t-elle. Elle révèle que la présence et l’accompagnement constants de sa fratrie est un grand support.
La Na-poko du canton de Kokologho rassure qu’elle n’a pas eu de souci pour s’intégrer dans la grande famille des chefs coutumiers des autres cantons. Ces derniers la considèrent comme étant leur collègue, a-t-elle ajouté. Il n’y a pas d’obstacle, il n’y a pas de barrière, dit-elle en ajoutant que quelque part, ils ont beaucoup d’estime pour elle.
« Parce qu’ils disent que pour qu’une femme arrive à assurer un tel rôle dans la chefferie traditionnelle il faut de la poigne, de la rigueur et du courage. Ils m’accompagnent vraiment sans réserve », soutient-t-elle.
Mère de deux enfants, pour elle, sources de motivation, Josiane Gyengani a vu le destin arracher son époux à son affection il y a de cela six ans. Elle se souvient encore du soutien de son défunt mari qui n’a eu de cesse, de son vivant, de l’aider à surmonter certaines difficultés.
« Parce que quand on se retrouve seule dans sa chambre, c’est là que l’on cogite beaucoup. Mais quand vous avez une épaule où reposer votre tête, on est confiant et on peut avancer la tête haute. De là où il est, je sais qu’il m’assiste », confie-t-elle.
Durant ses onze (11) ans passés au trône, un fait reste vivant dans sa mémoire. En effet, alors qu’elle venait de prendre officiellement fonction comme Na-poko suite au décès de feu son père, le canton connaissait une poche de sécheresse qui avait duré plus de deux semaines.
Alors elle demanda un signe de la part des ancêtres qui atteste qu’elle bénéficie de leur onction, notamment une pluie. Et ce signe elle l’obtint, puisque le soir même, il plût de 17 heures jusqu’à 9 heures le lendemain matin.
L’autre fait majeur qui a retenu son attention après son installation, c’est la caution de ses collaborateurs (notables et autres sujets) qui se sont engagés formellement et en toute franchise à l’accompagner.
En effet, précise-t-elle, lors de la prise de contacts avec ces derniers, elle a demandé que toute velléité de dissension lui soit notifiée. Fort heureusement, il n’y a pas eu d’opposition. « Donc j’ai compris que j’étais suffisamment bien entourée », ajoute-elle.
Valoriser nos valeurs traditionnelles…
Par ailleurs, la Na-poko du canton de Kokologho mentionne que la chefferie traditionnelle est confrontée à d’énormes défis. Et le premier de ces défis, selon elle, c’est la restauration de l’autorité traditionnelle.
« Parce qu’on a vu qu’avec l’évolution des temps, avec la politique, les choses sont allées un peu de travers. Donc c’est de travailler d’abord à restaurer l’autorité de la chefferie traditionnelle. Le deuxième élément c’est d’œuvrer à valoriser nos valeurs traditionnelles. Et là, faire en sorte qu’il y ait une meilleure visibilité », soutient-elle.
Elle souligne que si l’on veut bâtir un Burkina plus paisible, il faut que le pouvoir traditionnel et les institutions modernes puissent travailler main dans la main. « Cette complémentarité va nous aider à fortifier certaines bases. Parce que comme quelqu’un l’a dit, c’est lorsque vous avez été mordu que vous vous rappelez que vous avez des dents.
Là, je veux dire que face au contexte sociopolitique et économique actuel, nos valeurs traditionnelles sont des armes silencieuses mais elles sont des armes solides. Si nous pouvons les mettre à profit et travailler de pair avec l’administration, je pense qu’on arrivera à lever un pan de tout ce que nous vivons aujourd’hui comme difficultés », souhaite-t-elle.
La chefferie traditionnelle a eu la très grande sagesse…
Lors de notre rencontre avec elle, Na-poko était accompagnée par Naaba Bãoogo de Gourcy et d’autres membres de l’Association Racine dont elle est membre. Naaba Bãoogo est le président de l’association Racines, une association qui milite pour la réhabilitation et la promotion des traditions orales et des valeurs culturelles burkinabè.
Selon Naaba Bãoogo, les États traditionnels étaient des États bien structurés. Et la situation de Na-poko du canton de Kokologho en est une preuve. Sa situation ressemble à celle que le Burkina Faso vit actuellement à savoir la Transition, appuie-t-il.
« Et cette transition est bien organisée et bien structurée. C’est pour éviter un vide dans la gestion de la cité que la chefferie traditionnelle a eu la très grande sagesse d’instaurer le « Na-pogré » où après le décès du chef, c’est la première fille qui assure la régence. Et cela, c’est communément accepté », poursuit-il en indiquant que tous les chefs considèrent la Na-poko comme leur collègue. « Nous sommes contents de l’avoir avec nous et surtout au sein de l’association Racines », affirme-t-il.
Naaba Bãoogo plaide pour un statut de la chefferie traditionnelle comme c’est le cas dans plusieurs pays de la sous-région. Ce, pour amener la chefferie à apporter sa contribution dans la stabilisation du Burkina Faso dans un cadre formel.
Malick Boly a fait la connaissance de la Na-poko du canton de Kokologho au sein de l’Association Racine où il milite, lui aussi. Il affirme que c’était sa première fois de connaître une femme cheffe.
«J’avoue que c’était ma première fois de côtoyer une autorité coutumière féminine. De par son statut et son accessibilité j’ai beaucoup appris auprès d’elle sur la gestion du pouvoir moaga», affirme-t-il.
Il poursuit qu’au-delà de l’association, il entreprend des relations de fils et mère avec la Na-poko. « Elle m’a même mis en contact avec son fils qui a le même âge que moi. Elle n’hésite pas de me prodiguer des conseils sur la vie et même sur certaines opportunités », soutient-il en priant que les mânes des ancêtres l’assistent.
Willy SAGBE et Welly TAMBOURA (Stagiaire)
Burkina24
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