Ici Au Faso : « Je sors mendier…, et m’humilier avec mes jumeaux »

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La crise socio-économique et sécuritaire très difficile à laquelle fait face le « Pays des Hommes intègres » contribue à l’accroissement du nombre de mendiants dans les coins et recoins de Ouagadougou, la capitale burkinabè. Mais un fait attire plus l’attention ces dernières années. Parmi ces mendiants, l’on retrouve plusieurs femmes notamment des mères de jumeaux/jumelles. Un phénomène qui prend de l’ampleur… Et les commentaires vont bon train.

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Arrêtée au bord de la voie, deux silhouettes frêles au dos et en main, Estelle Sawadogo est comme ignorée par la plupart des passants de cette rue très fréquentée de Ouagadougou. Son existence ou presque se résume à ces bols bleu et vert qui ne la quittent jamais.

Le regard en coulisse et le sourire gêné, elle s’est retrouvée à feinter les motocyclistes et automobilistes, par la force des choses. Les choses de la vie ! Âgée de 37 ans, elle est mère de jumelles. C’est particulièrement à cause de la santé d’une de ses jumelles qui, tout le temps tombait malade, qu’elle s’est retrouvée au bord de la route pour mendier, dit-elle.

Sa fille ne tétait plus pendant 4 mois. Le jour où elle décide de sortir, la première fois, pour mendier, l’enfant a tété. Pour la santé de son enfant, elle y est restée. Quand elle ne sort pas, dit-elle, les enfants passent leur temps à pleurnicher.

« Mon enfant est très maladive. Quand j’ai accouché mes jumelles, l’une d’elle a fait quatre mois sans téter. Durant cette période, j’étais obligée d’extraire le lait mettre dans un gobelet pour lui donner. Je suis allée dans plusieurs hôpitaux, mais je n’ai pas eu gain de cause. Le premier jour que je suis sortie mendier, elle a accepté de téter.

Et l’enfant a retrouvé sa santé. Ça fait que je sors tous les jours, exceptés les dimanches. Les samedi et mercredi je sors mais je rentre à 10h. C’est la santé de mon enfant qui me préoccupe. Le jour où je ne sors pas, les enfants pleurent et ça me fatigue beaucoup », confie-t-elle.

C’est la tradition qui le demande

C’est le même témoignage que nous donne Ami Kombéré, elle aussi mère de jumeaux et résidant à Bendogo, un quartier de la capitale burkinabè. Elle explique que c’est un fait traditionnel et culturel. Concernant son cas, elle ne sort que les lundi, jeudi et vendredi.

Ami Kombéré

« Je suis ici parce que c’est la tradition qui le demande. Lorsque j’ai accouché, on m’a dit que je dois sortir les jeudi, vendredi et lundi. Nous sommes ici indépendamment de notre volonté et cela me peine beaucoup.

Nous ne prions pas Dieu pour venir nous arrêter au bord du goudron. C’est après mon accouchement que je me suis lancée dans la mendicité. Aujourd’hui c’est vendredi, les enfants veulent que je sorte mendier les grands jours. Les autres jours sont uniquement des sorties pour prendre l’air et retourner à la maison », révèle-t-elle, tout en laissant imaginer comment elle arrive à décrypter les humeurs de ses enfants.

Elle renseigne que les jeudi et vendredi sont les jours favoris pour ses jumeaux. Et de signaler qu’il y a des jumeaux, s’ils désirent quelque chose et si vous ne le faites pas, ils tombent malades. Si elle sort, soutient-elle, c’est pour garder ses enfants en bonne santé.

« Après mon accouchement, les enfants tombaient malades à chaque fois, parce que je ne sortais pas. Quand je suis allée demander, on m’a dit que les enfants veulent que je mendie. Voilà pourquoi je suis en train de mendier. Je sors les jeudis et vendredis, le dimanche je ne sors pas, samedi non plus », appuie-t-elle.

Si Ami Kombéré et Estelle Sawadogo se lancent dans la mendicité pour des faits traditionnels, pour d’autres par contre, elles n’ont pas le choix, les conditions de vie difficile, les aléas de la vie, la pauvreté, le chômage sont, entre autres, les raisons avancées par ces femmes.

Si je gagne un travail, j’arrêterai de mendier 

Samira Pagbelgom a des jumelles. Elle nous confie que ce n’est pas un fait culturel ou traditionnel lié aux enfants qui l’oblige à se retrouver au bord de la route pour mendier. Elle dit n’avoir pas le choix. Elle n’a aucune source de revenus. Par conséquent, elle est dans l’incapacité de nourrir ses enfants.

« Je suis avec le papa de mes enfants mais lui aussi, il n’a pas les moyens ; voilà pourquoi je mendie pour qu’on s’entraide. Si je mendie et lui aussi se débrouille, je pense que ça peut aider. J’ai commencé à mendier depuis que les enfants sont bébés. Elles ont présentement trois ans. Si je gagne un travail, j’arrêterai de mendier », envisage-t-elle.

Kadija Sana

Kadija Sana, âgée de 38 ans est une veuve. Sans aucun soutien, après la disparition de son défunt époux, elle se lance dans cette pratique. Son époux, fait-elle savoir, est décédé dans un accident de circulation avec six de ses enfants le même jour.

« Mon mari était en voyage à Lomé pour le travail. Il y a 5 ans que mes 3 enfants et 3 autres appartenant à ma coépouse décident d’aller passer les vacances auprès de leur père. Leur papa devait les croiser à Cinkanssé pour les ramener chez lui, mais ils ont fait un accident et tous les 6 enfants sont morts dans l’accident, y compris le papa », témoigne-t-elle avec amertume.

Avec les mystères de Dieu, après le décès de son mari…

Suite au décès de son mari, on lui propose d’épouser le petit frère de ce dernier afin qu’il suscite une descendance à son grand frère. « Avec les mystères de Dieu, après le décès de mon mari, son petit frère m’a pris comme épouse et j’ai enfanté des jumeaux. Comme je n’ai pas les moyens, je suis venue mendier pour m’occuper d’eux.  

Comme ce dernier a des femmes, je suis restée dans le domicile de mon ancien mari pour m’occuper de mes enfants. Je remercie Dieu parce que quand je sors, je gagne de quoi manger. C’est à cause de la nourriture que nous mendions », soutient-elle.

Comme Kadija Sana, Franceline Kaboré, 43 ans a perdu son mari. Cet incident malheureux chamboulera le cours de sa vie. N’ayant pas de moyens, elle se livre également à la mendicité. « Je sors mendier parce qu’une semaine après mon dernier accouchement qui fut des jumeaux, mon mari est décédé. Il a laissé à ma charge huit enfants. Comme je n’ai pas les moyens pour m’occuper d’eux voilà pourquoi je sors mendier. La mendicité n’est pas facile », dit-elle.

Franceline Kaboré

Franceline Kaboré dit qu’elle est dans cette pratique malgré elle. Elle reconnait que c’est une « pratique qui ridiculise », car elle se fait souvent insulter. « Si je ne sors pas, je ne vais pas manger. Hier j’ai payé le kilo de riz aujourd’hui il n’y a rien à manger. 

C’est pour ça je sors m’humilier avec mes enfants. La personne qui connait sa valeur ne doit pas sortir mendier mais je n’ai pas d’autre issue. Mes enfants ont 3 ans et demi maintenant », précise-t-elle.

J’ai accouché 17 jours après le décès de mon mari…

Quant à Awa Sawadogo 39 ans, veuve elle aussi revient sur le comportement qu’elle vit à longueur de journée au bord des rues de Ouagadougou. « A vrai dire, mes enfants sont bien portants. J’ai accouché 17 jours après le décès de mon mari. Mes enfants n’ont pas connu leur père. Nous n’avons aucun soutien ; voilà pourquoi je suis sortie pour mendier.

Sinon ce ne sont pas les enfants qui demandent cela. C’est juste pour avoir de quoi se nourrir. J’ai commencé à mendier ça vaut deux années de cela, mes enfants ont quatre ans. Les gens nous pointent du doigt, nous injurient et nous traitent de fainéantes. Nous n’avons pas d’autres options ; donc nous sommes obligés de faire avec », a-t-elle affirmé.

Ce que pensent certains citoyens de cette pratique

Plusieurs facteurs peuvent ainsi être à l’origine de la mendicité de femmes, mères des jumeaux ou des jumelles à Ouagadougou. Notamment des raisons culturelles qui les contraignent à s’adonner à cette pratique. Il y a également toutes ces histoires qui se racontent dans nos sociétés à propos des jumeaux et des jumelles. Chacun y va de son commentaire.

Nous avons pu prendre quelques points de vue de certains Burkinabè sur ce qu’ils pensent de cette pratique de plus en plus récurrente dans la société. À propos, Paulin Naaba, technicien en génie civil, estime que cette pratique culturelle a été détournée de son sens réel.

Selon lui, de nombreuses femmes en abusent. « C’est vrai que les mères des jumeaux doivent mendier mais pas tous les jours. Ces dames exagèrent généralement. C’est ce que ma sœur m’a dit. Elle-même a des jumelles mais elle ne se livre pas à cette pratique », agence-t-il.

Pour sa part, Bouchiratou Naré, maquilleuse, révèle que certaines femmes profitent de cette pratique pour soutirer quelques sous aux paisibles citoyens. À l’en croire, certaines femmes prennent deux enfants différents et se font passer pour des mères des jumeaux ou jumelles et utilisent ces enfants pour se faire de l’argent.

Elle signale que cette pratique peut jouer négativement sur l’avenir et l’éducation de ces enfants. « Cela fera que l’enfant dans sa vie ne va plus vouloir se battre pour avoir l’argent parce qu’il est habitué à avoir facilement. Ce qui peut conduire au vol par exemple », argumente-elle en soutenant que c’est une pratique qu’elle n’encourage pas. A moins, dit-elle, que ce soit un fait traditionnel qui soit à la base.

Mais, au nom de la solidarité, plusieurs Burkinabè compatissent à la situation que vivent ces personnes qui ont pour premier réflexe de tendre la main aux inconnus…

Catherine KOURAOGO 

Pour Burkina 24 

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