Ici Au Faso | Tani Tindano dompte son handicap visuel pour devenir journaliste

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Tani Diadiapoa Tindano est une jeune fille handicapée visuelle originaire de la province de la Gnagna. Elle est aujourd’hui âgée de 25 ans. Son handicap congénital l’empêchait de prendre part aux travaux champêtres, encore moins à certains travaux ménagers. Restée à la maison ou assise sous l’ombre ou encore isolée pendant que les autres travaillent, elle a développé une passion pour le journalisme en écoutant la radio à longueur de journée. Aujourd’hui, elle dompte courageusement son handicap pour vivre sa passion afin de se réaliser. Lisez son histoire… 

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Tani Tindano est issue d’une famille polygame de neuf enfants. Elle est quatrième enfant sur les neuf de cette famille. Orpheline de père depuis l’âge de cinq ans, elle a été élevée par sa grand-mère maternelle. « Foudroyée » par le sort, cette jeune fille dès la naissance sera privée de la vue. Elle n’a jamais vu la lumière du jour, ni la beauté de ce monde, ni même les caractéristiques physiques de ses  parents.

Ces êtres qui par la force des choses ne lui ont pas permis de voir le jour, mais de naitre. Mise au monde avec son handicap, c’est quand elle a commencé à faire quatre pattes que le verdict du destin a commencé à être visible. C’est à ce moment que son handicap a été découvert par sa mère.

« Le handicap est congénital, je suis née avec. Quand j’ai posé la question à ma mère, elle a dit que je suis née avec. Elle a découvert la situation quand j’ai commencé à faire quatre pattes. Parce qu’en regardant mon visage, on ne peut pas savoir. 

Il y a des moments où je partais me cogner à quelque chose

Mais son mari lui avait dit auparavant que son enfant ne voyait pas. C’est au moment où j’avais quelques mois. Mais elle ne croyait pas jusqu’à ce que je commence à faire quatre pattes. C’est là qu’elle s’est rendu compte qu’il y a des moments où je partais me cogner à quelque chose. À ce moment, elle s’est rendu compte que ce que son mari a dit est vrai », confesse-t-elle. 

Mais le handicap de Tani, loin de la déstabiliser, l’a rendue plus forte. Avec son handicap, elle n’a pas besoin d’aide pour se préparer. Elle exécutait certaines tâches ménagères pour aider sa grand-mère qui, à un certain moment,  sous le poids de l’âge, était incapable de faire. Cependant, malgré sa bonne volonté d’apprendre à cuisiner, sa famille s’est opposée, car selon elle cette tâche pourrait être dangereuse pour Tani.

« Comme je suis née avec le handicap, je suis restée curieuse. J’ai toujours voulu tout apprendre, ma toilette, comment m’habiller. Je n’ai pas vraiment besoin que quelqu’un m’aide à ce niveau. On me corrige si l’habit est sale ou si l’habit que je porte ne correspond pas avec la jupe. J’ai appris à laver mes habits sauf au niveau de la cuisine qu’on ne m’a pas permise parce que les gens ont peur. 

Au village je pilais le mil, je partais puiser l’eau, car j’étais avec ma grand-mère qui à un moment donné était âgée. Donc j’étais celle qui l’aidait », relate-elle. Sa famille ignorait qu’un enfant malvoyant pouvait aller à l’école. Donc elle était écartée de la vie estudiantine et des travaux ménagers. Personne ne la comptait parmi ceux qui étaient capables de faire quelque chose de ses dix doigts, encore moins aller à l’école.

Mais le destin de Tani va changer avec l’arrivée d’un centre de sensibilisation sur la scolarisation des enfants handicapés à Mahadaga dans la province de la Tapoa. Ce centre a été la lumière qui a éclairé ses parents de savoir que la petite Tani, bien que handicapée visuelle, pouvait aussi aller à l’école. Les parents ont compris que le handicap n’est pas une fatalité.

Je suis alors allée tardivement à l’école

Dès lors, confie Tani, « il n’y a pas eu de polémique autour de mon inscription à l’école, seulement qu’on n’était pas au courant qu’un enfant qui ne voit pas pouvait aller à l’école ». Par ailleurs, plusieurs membres de sa famille doutaient de ses capacités de réussite à l’école, mais son oncle, tel un visionnaire, était persuadé qu’elle réussirait son parcours scolaire. Grâce au soutien de ce dernier, elle réussit effectivement avec brio l’école primaire.

« Le tonton était convaincu, mais les autres membres de la famille n’étaient même pas d’accord, mais il a insisté parce que pour lui c’est une structure qui croit en Dieu et pour lui, ils ne vont pas faire du mal aux enfants. Et s’ils ne savent pas qu’ils peuvent les aider à apprendre quelque chose, ils ne vont pas se déplacer de plus de 400 km pour venir me chercher. Je suis alors allée tardivement à l’école tout simplement parce que mon entourage ne savait pas qu’un enfant qui ne voit pas pouvait », témoigne t-elle.

Grâce à cette association, notre amazone a pris le chemin de l’école à l’âge de 9 ans. Ainsi commence sa vie scolaire. « C’était pour moi une grâce d’aller à l’école parce que l’âge requis pour être reçu dans une classe de CP1 était largement dépassé. Pour une norme de 6, 7 ans, moi je suis allée à l’âge de 9 ans », souligne-t-elle.

En faisant son entrée au CP1 en 2006 dans ce centre, Tani a rencontré d’autres élèves vivant dans la même situation qu’elle. Oui, la petite Tani sait désormais qu’elle n’est pas un cas isolé. Il n’y a donc pas de fatalité. De cette situation, naquit un sentiment de confiance en soi et une envie d’être utile à sa société.

Elle est internée dans ce centre et les frais de scolarité étaient partagés entre la structure et ses parents. De 2006 à 2011, elle a fait l’école primaire dans ce centre où elle est internée.  Sa passion pour le journalisme est née à partir de la classe de CE2 en écoutant les émissions radiophoniques pendant les vacances.

Avec ma convalescence j’ai forcé pour aller composer et j’ai échoué

« Depuis l’école primaire, j’ai aimé la radio. Je l’écoutais pendant que les parents étaient aux champs, étant donné que je ne peux pas cultiver. Seule à la maison j’avais quelques inquiétudes à un moment donné. Et quand j’ai découvert la radio, Diawampo de Bogandé, j’ai retiré le poste radio de mon oncle. J’ai refusé qu’il parte aux champs avec la radio et je la gardais à la maison », fait-elle savoir.

Par contre, pour le post-primaire, elle a été intégrée dans les établissements classiques du village de 2011 à 2019. Elle utilisait l’alphabet braille pour ses prises de notes et devoirs. Elle a quitté la localité avec le certificat d’étude primaire, le brevet du premier cycle et le baccalauréat de la série A4.

« J’ai fait le premier cycle au collège privé évangélique ’’Hamtandi’’ et le second cycle au lycée public de Mahadaga. Je prenais des notes et composais mes devoirs en braille. Et le centre collaborait avec les établissements à travers la transcription (traduire les sujets en braille) et le décodage des devoirs (reprendre les réponses en noir pour le professeur) pour faciliter la collaboration », indique-t-elle.

Après avoir obtenu le baccalauréat, elle s’est rendue à Ouagadougou pour découvrir de nouvelles expériences dans le monde du journalisme en 2019. Disposant de peu de moyens financiers, Tani s’est vue contrainte de chercher une école de journalisme avec une scolarité accessible pour pouvoir avoir la chance de réaliser ses rêves. Cette recherche l’a orientée vers l’IPERMIC où il fallait passer par un test.

« Je voulais coûte que coûte faire du journalisme. Je suis allé faire le test d’entrée à l’IPERMIC. Je me suis préparée pour le test et je suis tombée malade deux jours avant la composition. Avec ma convalescence j’ai forcé pour aller composer et j’ai échoué », avoue-t-elle.

Après les orientations à l’UO, elle est affectée en lettres modernes. Dans cette nouvelle aventure, une samaritaine la soutient. Son amie Wali Banyala qu’elle a rencontrée en 2016 à Piela décide de rester avec elle pour la soutenir dans ses études.

Voici comment elle est arrivée à l’ISTIC

« Elle est une amie pour moi, on s’est rencontrées la première fois en 2016, à Piela lors d’un camp biblique, et l’amitié s’est accentuée avec un autre camp biblique auquel on a participé en 2019 après mon succès au baccalauréat. Quand on est revenues de ce camp, elle a décidé de rester avec moi et de m’accompagner pour la suite de mes études à Ouaga sans savoir réellement ce que je dois faire », laisse-t-elle entendre.

Qu’à cela ne tienne, pour Tani, lettres modernes et journalisme vont de pair. Ce n’est donc pas une résignation que de faire finalement les lettres modernes. Elle ambitionne commencer ses études en lettres et opter pour le journalisme après la deuxième année. Raison pour laquelle elle s’est inscrite à l’université de Ouagadougou.

« J’ai passé au moins deux semaines là-bas (lettres modernes), mais je me suis rendu compte que ce n’est pas ce que je voulais faire. Mes proches m’ont convaincues de poursuivre en lettres modernes et après je pourrais me spécialiser dans ce domaine. Cependant en lettres modernes, le constat est qu’ils sont nombreux ceux qui ont le Bac depuis plusieurs années, mais qui n’ont pas encore fini la licence. Donc cette situation m’a découragée », décrie-t-elle.

Après son échec au test d’entrée à l’IPERMIC, une opportunité s’est présentée à elle. La directrice du centre Espoir de Fada, Françoise Pédau, lui donne le privilège de choisir une école de formation en journalisme et elle allait prendre en charge les frais de scolarité.

« La directrice du centre Espoir de Fada Françoise Pedo m’appelle pour demander si je tiens toujours à faire du journalisme même si c’est dans une école de formation. J’ai dit oui, j’y tiens toujours, mais je n’ai pas eu le test. Dans les écoles de formation, les frais de scolarité sont élevés et mes parents ne peuvent pas payer. Elle dit qu’elle ne m’a pas demandé le coût des frais, mais si je tiens au journalisme oui ou non ? Je dis oui. Et c’est ainsi que je suis arrivée à l’ISTIC », se remémore-t-elle. 

Elle termine 4e de sa promotion après deux ans de formation

Pour réaliser son rêve faut-il le rappeler, Tani a quitté sa famille pour se rendre à Ouagadougou pour sa formation en journalisme. Si cela a connu un mauvais départ avec son échec au test d’entrée à l’IPERMIC, une bienfaitrice lui a offert sur un plateau d’argent une formation dans un institut.

Ouagadougou, la capitale, accueille donc Tani avec toutes ses contraintes. Loin de sa province et de sa région, notre brave Tani est désormais confrontée aux réalités de la grande ville puisqu’elle s’y est désormais installée au nom de sa passion pour le journalisme. À l’ISTIC, elle doit d’abord passer un entretien tout comme les autres nouveaux inscrits avant d’y adhérer.

« Quand je suis allée pour l’entretien, l’administration était un peu réticente. Elle se posait des questions, car c’est la première expérience. Je leur ai demandé de me laisser essayer, si j’échoue vous serez les premiers à avoir essayé. Et je serai convaincue que le journalisme et le handicap visuel ne concordent pas », souligne-t-elle. 

Arrivée à l’ISTIC en 2020, elle était la seule handicapée visuelle de sa classe après avoir réussi au test. Ses devoirs étaient retranscrits en braille pour lui permettre de prendre part aux évaluations. « Le décodage des devoirs pour que les enseignants puissent me comprendre était une lourde tâche. Il a fallu batailler pour que les premiers résultats soient bons pour rassurer les enseignants et pouvoir continuer », avoue Tani.

Avec un effectif de 40 assistants en journalisme, elle termine 4e de sa promotion après deux ans de formation. « J’ai fini ma formation en étant classée 4e, chose qui m’a encouragée. Je pense que je suis un exemple. Ceux (les handicapés visuels, NDLR) qui vont venir après, les portes de l’ISTIC vont rester ouvertes », se réjouit-elle. 

Zoumana Traoré, DG de l'Istic
Zoumana Traoré, DG de l’Istic

En outre, notre héroïne confie que la vie n’a pas été du tout rose avec elle, vu son handicap. Elle se rappelle que ses premiers moments à Ouagadougou étaient un peu difficiles, car elle se rendait à l’école à pied avec sa grande sœur. Elles ont été quelquefois insultées en circulation, car selon les gens, elles occupaient mal la voie publique.

Tani ressasse parfois le passé à travers des propos qu’on a tenus à son endroit. Ces obstacles n’ont eu aucun impact sur son aspiration. C’est avec force, courage et détermination qu’elle a su relever tous les défis qui se présentaient à elle.

Zoumana Traoré, Directeur général de l’ISTIC, a fait un aperçu sur son parcours. À l’en croire, Tani a un avenir prometteur dans le métier de journalisme qu’elle convoite tant. « Je pense que Tani a un très grand avenir dans ce métier, car rapidement, elle a su transformer son handicap à son avantage. Son parcours a été très édifiant. Pratiquement première dans presque toutes les matières, au final, elle a obtenu son diplôme avec une moyenne intéressante et c’est ce qui a fasciné », souligne-t-il. 

Après ces deux ans de formation, l’ISTIC a mis en place des moyens pour l’accompagner. Le Directeur général de l’ISTIC lui a trouvé un stage de perfectionnement à la radio nationale où elle avait déjà effectué son stage d’immersion. Elle effectue son stage au niveau de l’animation et le chargé de programme, Sidibé Guénoré, estime qu’elle s’en sort bien.

Personne n’a demandé à naître avec un handicap

« Dans l’ensemble, c’est une femme qui se bat, elle n’a pas de complexe malgré son handicap. Elle se bat très bien. Quand on n’a pas la vue, ce n’est pas facile. Nous faisons en sorte que tous les animateurs la mettent en confiance. Et quand elle rentre au studio et si tu es à l’extérieur, puis tu l’écoutes, tu ne peux pas savoir qu’elle ne voit pas. Même les auditeurs l’apprécient par rapport à l’animation. Le seul handicap, c’est parce qu’elle ne voit pas. Dans l’ensemble son stage se passe bien. Elle a cette capacité d’assimiler facilement ce qu’on lui apprend. C’est comme si elle enregistre », témoigne-t-il.  

Il émet un message à l’endroit de la population. Il préconise d’assister les personnes vivant avec un handicap. « Vivre avec un handicap nécessite une certaine patience. Nous avons vu l’exemple avec Tani. Ce n’est pas facile. Le message que j’ai à porter au-delà de la personne de Tani, à l’endroit de toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est l’occasion de demander à tout le monde d’être patient avec ceux qui vivent avec un handicap. 

Avoir un regard positif, attentif envers ces personnes. Personne n’a demandé à naître avec un handicap, ce sont des situations qui arrivent dans la vie. Quand cette situation arrive, il faut qu’on travaille à les mettre en confiance pour leur permettre de vivre dans la sérénité », suggère-t-il. 

Sidibé Génauré chargé de programme à la RTB radio

Tani a une pensée spéciale à l’endroit de sa famille, ses proches amis et tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à la réussite de son parcours scolaire et académique. Elle invite ceux qui vivent avec un handicap à se battre pour leur indépendance et être un modèle pour leurs petits frères et sœurs.

« Je veux encourager les personnes qui vivent avec un handicap. Il faut savoir qu’au-delà du handicap, on peut toujours faire quelque chose. Mais quand on baisse les bras, on se décourage, on sera toujours une charge pour les gens. J’encourage surtout ceux qui ont trouvé le chemin de l’école de ne pas baisser les bras parce que les parents nous prennent comme exemple pour inscrire les plus petits (qui ont un handicap, NDLR) à l’école.

Et si dans ton village, tu es un mauvais exemple, il faut te dire que tu as fermé la porte de l’école à des enfants dans la même situation que toi parce que les gens veulent voir avant de croire. Si tu pars à l’école et tu reviens dans la situation initiale, ce n’est pas bon. Pour ceux qui sont allés à l’école, qu’ils sachent que nous sommes appelés à nous battre. Si à l’école, ça ne va pas, accepte apprendre quelque chose qui te permettra d’être autonome pour qu’on ne te prenne pas pour un mauvais exemple pour fermer la porte de l’école aux autres », conseille-t-elle. 

Avec un parcours scolaire remarquable, Tani s’est frayée un chemin dans le monde du journalisme. Elle compte se spécialiser dans l’éducation inclusive dans le but d’apporter sa touche pour un changement de mentalité à l’égard de la personne handicapée pour un développement inclusif au Burkina Faso.

Wendaabo Catherine KOURAOGO et Micheline OUÉDRAOGO 

Pour Burkina 24 

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Un commentaire

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