Tribune | « La littérature est-elle un pouvoir ? » (OWONO ZAMBO, Spécialiste en africanités)

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Ceci est une tribune d’OWONO ZAMBO, Spécialiste en africanités. Un texte lu lors de la dédicace du recueil poétique Échos de l’âme, Paris, 2023.

Dans un contexte camerounais où lire ne fait pas pleinement partie des réflexes de vie, comme l’est par exemple manger, boire, danser, faire des selfies, il est facilement compréhensible que l’on se demande à quoi sert vraiment la littérature, à quoi sert-il d’investir dans l’achat des livres, à quoi sert-il de lire tout simplement ?

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Dans un contexte où l’objet livre demeure encore un luxe de par sa rareté ou de par sa cherté, comment imaginer un seul instant que lire soit une nécessité existentielle ? Comment envisager la littérature comme un moyen au travers duquel se réalise cognitivement l’homme et par lequel se met sur pied un ensemble de valeurs constitutives du devenir de l’homme et de la société ?

Entre acheter Échos de l’âme qui coûte 3 000 fcfa et réunir ses amis autour d’une table ce soir même à Gentil copain bar d’Étoug-Ébé où la petite Guinness coûte 750 fcfa, sans trop de résistance, le choix est vite fait pour la guigui, comme on dit. Pourtant, si cela interpelle quand même notre sens de remise en question des choses, il y a bien une raison qui puisse justifier cela.

En réalité, les politiques publiques portent peu l’intérêt sur la culture de la lecture et cela saute aux yeux tant les espaces de lecture sont quasi inexistants dans nos grandes ou petites villes, pire encore dans les villages. Bien plus, le mode de fonctionnement de notre système éducatif est tel que non seulement le livre n’est pas systématiquement obligatoire pour les élèves, mais aussi l’État ne se charge pas de le rendre disponible ni dans les bibliothèques scolaires, ni dans les salles de classe sous forme de manuels à usage collectif par exemple.

Dès lors, les élèves, du primaire jusqu’à l’obtention du baccalauréat, s’habituent à l’idée que le livre est un accessoire, dans le sens premier et trivial du terme, c’est-à-dire quelque chose d’inessentiel et dont on peut se soustraire dans la mesure où l’on achève son cursus sans avoir rigoureusement disposé de sa petite bibliothèque personnelle ; encore moins sans avoir vécu le sentiment que lire est une posture et un moment épanouissant de coopération intellectuelle avec l’auteur.

Sortir du système scolaire avec cette inconscience de ce que le livre est un creuset de savoirs et de valeurs, de ce que lire est un humanisme, de ce que la culture de la lecture est une quête et une affirmation du désir d’autonomie qui devraient habiter tout adulte plus tard sont autant de torts que cause notre système éducatif à la jeunesse. Pourtant, l’on sait qu’on devient adulte responsable par le fait de se maintenir dans la lecture ; et la littérature, dans ce cadre, s’avère être le pôle mobilisateur d’une compétence de lecteur et de penseur.

La littérature, en tant qu’art, au travers des mots mis en harmonie, vise quand même à réfléchir sur l’humain et la société pour leur donner un visage éthique viable. Si le Mal existe et existera toujours, la littérature se donne pour mission de rendre compte de cette réalité aux humains afin qu’ils ne s’en disent pas ignorants. La littérature engagée, c’est beaucoup plus d’elle qu’il est question, cherche à rendre la société coupable de ce qu’elle décrie dans les œuvres.

La poésie n’échappe pas à cette fonction utilitaire de la littérature. Si la poésie est recherche de la beauté par les yeux et par l’oreille, elle se doit aussi d’être un instrument de critique des mœurs, d’idéalisation de l’homme et de l’univers, de remise en question de l’ordre établi, etc. En d’autres termes, la poésie travaille le langage pour s’habiller de la toque de moralisateur ou de sensibilisateur.

Brûlant d’envie de dénoncer le moralement malsain, l’acte scripturaire du poète est profondément dirigé vers le public. Les origines de la poésie étant déjà une mise en scène de la parole et du chant devant public, le poète revêt ainsi une dimension prophétique et évangélisatrice dans la mesure où son public rassemblé éprouve le besoin de s’émanciper de ses faiblesses pour s’instruire au prisme du messager des dieux. La poésie et même la littérature en général portent intrinsèquement en elles l’esprit idéalisant de l’écrivain et dont le lectorat devrait s’en approprier par la lecture et l’assimilation.

Ce qui est à souligner ici, c’est le côté pédagogique de la littérature qui, de par sa vocation communicative, agit, impacte et transforme la psychologie du lecteur puisqu’il s’agit d’un commerce d’idées qui se met en place par la lecture. Le poète bâtit alors son projet social éthique sur la matière humaine et cette éducation passe par la culture, par la lecture, par la critique du texte littéraire.

Il va de soi que tout pays qui encourage la culture de la lecture forme les gens à devenir non seulement des citoyens responsables mais aussi des hommes cultivés et prêts à répondre efficacement aux besoins de la République. Un peuple qui lit est un peuple qui vit. C’est un peuple informé des enjeux du monde passé, actuel et à venir. C’est donc un peuple averti, qui s’invente et se réinvente, car la littérature, si elle propose un imaginaire, coconstruit avec le lecteur un inventaire d’imaginaires possibles.

De toutes les façons, le fait que la littérature parle de nous et agit en nous lui confère nécessairement un pouvoir. L’œuvre littéraire éduque, sensibilise et marque à grands traits l’affirmation d’un renouveau social et humain.

Si La Fontaine a rendu circonspects ses contemporains avec son utilisation équivoque des animaux dans ses fables, si Victor Hugo a embarrassé Napoléon de par ses textes critiques et a même questionné la pertinence de la peine de mort, si Césaire, Senghor et Damas ont redynamisé la conscience nègre essoufflée par tant de siècles d’esclavage doublé de colonisation, si André Brink a bravé le clivage déshumanisant de l’apartheid, si Mongo Beti a enseigné la résistance devant la répression coloniale et néocoloniale, pourquoi le recueil poétique Échos de l’âme ne participerait-il pas de l’affirmation de ce pouvoir qu’a la littérature de transformer le lectorat et de lui insuffler la philosophie de ses auteurs en suscitant une synergie de consciences qui s’invitent dans le jeu de séduction intellectuelle et morale dont seule la lecture en assure l’effectivité ?

L’écrivain et la littérature ont effectivement un pouvoir : celui de marquer les esprits et de construire une conscience collective des vertus. Ne pas lire nous met en marge du monde des idées et des sentiments qui sont des universels dont se sert la littérature pour bâtir et civiliser les hommes.

Puisse donc le recueil poétique Échos de l’âme atteindre les âmes de tous les lecteurs camerounais et africains assoiffés de littérature et de lecture afin qu’ensemble nous construisions nos pays dans la fabrique d’imaginaires féconds.

OWONO ZAMBO

Spécialiste en africanités

Dr en Sciences du langage et Littérature francophone
Qualifié Maître de Conférences des universités en France, CNU, section 9

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