Tribune | « Éducation en Afrique : Prioriser les formations scientifiques et technologiques » (Dr Alfred Sawadogo)

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Ceci est une tribune de Dr Alfred Bewindin SAWADOGO, Docteur en Télécommunications & Écrivain, Leader du think tank international MROD/BF sur l’actualité éducative. 

L’éducation en Afrique demeure un sujet majeur sur lequel plusieurs auteurs et intellectuels africains et non-africains ont produit moult écrits. Parmi les œuvres les plus fondamentales sur la question figurent « Eduquer ou périr » du Pr Joseph Ki-Zerbo, premier professeur africain agrégé d’histoire et « L’éducation en Afrique » du Dr Abdou Moumouni Dioffo, physicien nigérien. Sur un continent où 70% de la population totale a moins de 30 ans, la question de l’éducation revêt immanquablement une importance cruciale.

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Un système éducatif qui « manufacture des chômeurs » 

Les statistiques sur l’éducation montrent que 105 millions d’enfants africains en âge de fréquenter le primaire et le secondaire ne sont pas scolarisés, soit 41% du total mondial (source : rapport de l’Unicef et de la Commission de l’Union Africaine, 2021). Quant à l’enseignement supérieur, le taux d’inscription y est seulement de 9% pendant que la moyenne mondiale est de 42% selon l’Unesco.

S’agissant des filières d’études, on note que l’écrasante majorité des diplômés universitaires sont dans la littérature, les sciences humaines et sociales. Ils représentent notamment près de 70% des diplômés (donnée : Unesco 2008-2010). La Fondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique (ACBF) estime que la proportion était de 80% en 2016.

Une fois les diplômes obtenus, force est de constater que les étudiants ont du mal à trouver des emplois. En 2020, l’économiste burkinabè Pr Ousséini Illy indiquait que chaque année, les universités burkinabè déversent 20.000 à 30.000 diplômés sur le marché de l’emploi, qui n’arrive à en absorber que 4.000 à 5.000 ; soit un taux d’insertion moyen inférieur à 20%.

En outre, le Plan National de Développement Economique et Social (PNDES), référentiel de développement du Burkina sur la période 2015-2020, précisait qu’en 2015, la durée moyenne d’obtention d’un premier emploi après les études universitaires était de 5 ans.

Par ailleurs, le dernier rapport d’analyse du secteur de l’éducation et de la formation au Cameroun élaboré par l’Institut National de la Statistique et publié dans le site d’informations SIKA Finance révèle que le taux de chômage des jeunes diplômés est 5 fois plus élevé que celui des non-scolarisés. Même s’il est vrai que le taux de chômage ne s’explique pas uniquement par les défaillances du système éducatif, il y a quand même lieu de se poser des questions sur l’employabilité des jeunes diplômés et de trouver des solutions durables.

Typiquement, sur 5000 enfants qui naissent en Afrique, 4150 d’entre eux seront scolarisés. Environ 2767 arriveront au collège. 1134 élèves atteindront le second cycle et seulement 261 iront à l’université (les calculs sont faits sur la base des taux indiqués dans le rapport de l’Unicef et de la Commission de l’Union Afrique de 2021).

Vous avez bien lu : sur 4150 enfants qui entrent à l’école primaire, seulement 261 environ arrivent à l’université. La forte déperdition scolaire est due à la pauvreté des parents, le travail précoce des enfants, le manque de soutien, les grandes distances à parcourir par les élèves pour se rendre à l’école, les pesanteurs socio-culturelles, …

Il n’est pas juste qu’aujourd’hui encore certains enfants n’aient pas accès à l’école. Il n’est pas acceptable que la majeure partie des enfants soit obligée d’arrêter l’école parce qu’ils n’ont pas les moyens de continuer. De même, il est plus que déplorable que les 261 étudiants (sur les 4150 scolarisés initialement), après tout le long chemin parcouru, se retrouvent au final sans emploi.

Nous assistons là un gaspillage de ressources humaines – doublé d’un gaspillage financier si on tient compte des sommes investies par l’Etat pour former l’individu depuis l’école primaire jusqu’à l’université – que l’Afrique ne peut se permettre d’autant plus que le développement du capital humain est régulièrement martelé par les autorités africaines et internationales comme une priorité.

Adéquation entre la formation et besoins de l’économie 

Le point qui est très souvent mis en avant pour expliquer la difficulté d’insertion des jeunes diplômés est l’inadéquation entre la formation et les besoins du monde de l’économie. Il est évident que si l’université forme ses étudiants sans tenir compte des besoins des entreprises, les jeunes diplômés n’ont que peu de chances de trouver des emplois après leurs études. Sur quelle base l’Afrique forme-t-elle aujourd’hui 80% de littéraires, de diplômés en sciences humaines et sociales ? 

Cela a-t-il un lien avec les besoins de l’économie africaine ? Visiblement non ! Sinon, il y aurait peu de diplômés sans emplois. En effet, la fonction publique, principal pourvoyeur d’emplois pour les profils littéraires, n’est plus en capacité de les recruter. D’où l’urgence pour les pays africains de mener des études approfondies sur les besoins de leurs économies, de quantifier les besoins et de spécifier les domaines précis dans lesquels ces besoins s’expriment afin de réorienter les formations académiques.

L’idée de créer une adéquation entre les formations et les besoins de l’économie ne date pas d’aujourd’hui. Dans « Eduquer ou périr » publié en 1990, le Pr Ki-Zerbo dénonçait « la dichotomie schizophrénique qui sépare l’école africaine actuelle des structures économiques » et appelait de tous ses vœux à une « liaison de l’éducation à la production ».

Dans les différents plans nationaux de développement ou les politiques sectorielles des ministères africains en charge de l’éducation, l’adéquation formation-besoins de l’économie est souvent mentionnée.

Cependant, cette idée n’est pas mise en œuvre (ou est difficilement mise en œuvre) notamment pour deux raisons principales : premièrement, la priorité de la plupart des ministères en charge de l’éducation est, non pas d’adapter la formation aux besoins de l’économie, mais plutôt d’accroître l’offre éducative en augmentant les capacités des écoles, collèges, lycées et universités. J’ai fait des recherches en parcourant les déclarations de politique générale des différents Premiers ministres qui se sont succédés depuis 2008 au Burkina.

Le dénominateur commun entre leurs visions sur le système éducatif est l’augmentation de l’offre éducative. Quand vient l’heure de faire le bilan à travers le discours sur la situation de la nation, les grandes réalisations qu’ils mettent tous en avant portaient essentiellement sur le nombre d’écoles, de collèges, de lycées et d’amphithéâtres construits. Si l’accroissement de l’offre éducative est un objectif salutaire en soi, il faut néanmoins s’assurer que les nouvelles personnes enrôlées dans le système éducatif n’aillent pas grossir le nombre déjà élevé des diplômés sans emploi, ce qui viderait cette politique de tout son sens.

Deuxièmement, l’élan visant à adapter la formation aux besoins de l’économie piétine car la vision des pouvoirs publics sur la question ne semble pas claire (détaillée) jusque-là. En témoigne l’utilisation dans les documents et discours officiels de termes vagues telles que « promouvoir les filières professionnelles », « filières professionnalisantes », « Enseignement et Formations Techniques et Professionnels », « filières porteuses », … sans autre précision.

Clarifier la vision exige de citer et de détailler les formations concernées : par exemple génie mécanique, génie électrique, informatique, … Tant qu’une vision n’est pas claire, sa mise en œuvre ne peut être fluide. Une fois les filières identifiées avec précision, les ministères de l’éducation doivent quantifier les besoins de l’économie en ingénieurs/techniciens mécanique, électrique, informatique… Évidemment, ils ne peuvent le faire seuls ; le concours d’autres ministères et surtout des entreprises s’avère déterminant.

Je crois fondamentalement, comme l’a rappelé le Secrétaire Général du CAMES (Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur) Pr Souleymane Konaté lors du Forum de l’Etudiant Guinéen en Décembre 2023, que le lien universités-entreprises est la clé de l’adaptation des formations aux besoins de l’économie puisque les entreprises sont des acteurs majeurs de l’économie.

En visitant les sites web des universités africaines présentant les meilleurs taux d’insertion professionnelle des diplômés (par exemple, 78% des diplômés de ESPRIT en Tunisie décrochent un emploi dans les 6 mois après leur formation), je me suis rendu compte qu’elles ont des partenariats avec des entreprises (ESPRIT compte quasiment une cinquantaine de partenaires industriels).

Ces dernières présentent leurs besoins à l’université qui en tient compte dans ses cursus de formation. Même si l’éducation est un bien en soi, il ne m’apparait pas pertinent de former juste pour former. Ce qui est attendu des universités, c’est de fournir les ressources humaines qualifiées dont les entreprises- et la fonction publique – ont besoin. Cela passe nécessairement par l’implication des entreprises dans le champ académique. Qui plus est, le secteur privé a la capacité de financer les universités – qui en ont combien besoin actuellement – et de stimuler la recherche et l’innovation au sein des laboratoires académiques.

Quels sont, à ce jour, les cadres institués pour favoriser les rencontres universités-entreprises en Afrique ? Qu’est-ce qui sort de ces cadres ? Les recommandations sont-elles appliquées par les deux parties ?Des pays comme les USA et le Canada tirent largement profit du lien universités-entreprises, les pays africains ont tout intérêt à s’en inspirer.

Prioriser les formations scientifiques et technologiques 

En attendant que les besoins dans les formations adéquates soient clairement identifiés, détaillés et chiffrés dans chaque pays, nous disposons de quelques données clés qui donnent une idée de la direction à suivre. La première donnée dont il faut être permanemment conscient est que l’Afrique aura besoin de créer 450 millions d’emplois d’ici 2050. Le défi est indéniablement immense et ne peut être relevé sans de profondes réformes du système éducatif.

En outre, dans son « rapport sur les capacités en Afrique 2017 », l’ACBF estime que le continent connaît un déficit de 4,3 millions d’ingénieurs (encore faut-il préciser les domaines d’ingénierie concernés) et 1,6 million de scientifiques et de chercheurs en agriculture.

Cela signifie que les formations en Afrique doivent être désormais prioritairement orientées vers les besoins de l’Afrique dans le domaine agricole (le continent possède 60% des terres arables non encore exploitées du monde), le domaine énergétique (40% du potentiel d’irradiation solaire mondiale), le domaine de l’exploitation du gaz, du pétrole, des minerais (cobalt, platine, manganèse, lithium, uranium, or, diamant, …), le domaine médical, le domaine du numérique pour ne citer que ces domaines-là.

L’industrialisation étant une question prioritaire, les compétences en phase avec l’industrialisation doivent devenir prioritaires dans les systèmes éducatifs. C’est essentiellement par l’industrialisation, facteur de transformation structurelle des économies, que les pays développés ont pu résorber la question du chômage. Le taux de chômage en Chine est inférieur à 4,5% depuis au moins une décennie (statista.com). Pourquoi un taux de chômage aussi bas ?

La raison tient au fait qu’en s’industrialisant, la Chine est devenue l’usine du monde, synonyme d’une création massive d’emplois et de richesses. Ainsi, l’Afrique doit aussi s’industrialiser en commençant par prioriser les formations scientifiques et technologiques. Dr Dioffo dans « L’éducation en Afrique » dit ceci : « ce n’est qu’avec la maitrise de la technique, et de la science, l’utilisation de procédés et dispositifs modernes que des changements rapides pourront s’effectuer ».

En matière de sciences et de technologies, d’un côté, nous pouvons constater que le manque à gagner est énorme : à ce jour, l’Afrique ne représente que 2,4% des scientifiques au niveau mondial, et moins de 1% des dépôts de brevets(cnrs.fr). D’un autre côté, il y a quelques initiatives prometteuses sur le continent qu’il convient de saluer : le Maroc, par exemple, a décidé récemment d’introduire un module traitant d’intelligence artificielle dans tous les domaines d’études. L’espoir est donc permis !

Cette tribune ne soutient aucunement qu’il faille arrêter de former des juristes, sociologues et autres diplômés de littérature, de sciences humaines et sociales en Afrique. Ces filières sont utiles mais pas prioritaires au stade de développement actuel du continent. Concrètement, au lieu de former 80% de littéraires et 20% de scientifiques, nous pourrions faire l’inverse, c’est-à-dire former 80% de scientifiques et 20% de littéraires.

Cela nécessite une bonne planification de part des gouvernements ainsi que la promotion des disciplines scientifiques auprès des collégiens. En 2015, le Japon a décidé de fermer 26 facultés de sciences humaines et sociales pour favoriser les sciences naturelles et l’ingénierie (lemonde.fr).

Le fait est que depuis la révolution industrielle, le monde est piloté par les sciences et la technologie. L’économie et les sociétés bougent à une vitesse dictée par des innovations technologiques. Garder le système éducatif dans son orientation inféconde actuelle ne ferait qu’accentuer les misères de l’Afrique. En revanche, se tourner résolument vers les secteurs stratégiques et prioritaires que sont sciences et technologies satisfait à une double exigence : créer massivement des emplois en Afrique et permettre au continent de peser dans la marche du monde.

Dr Alfred Bewindin SAWADOGO ([email protected])

Docteur en Télécommunications & Ecrivain

Leader du think tank international MROD/BF

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Un commentaire

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