Abattage clandestin à Laanoag-yiri : Hommes et environnement suffoquent face à un imbroglio
Après l’installation du marché de bétail de Laanoag-yiri en 2023, c’est la croix et la bannière pour les populations riveraines. Elles suffoquent. Elles crient au secours. L’environnement aussi. La cause, ledit marché a accouché d’une aire d’abattage d’animaux à ciel ouvert. L’abattoir de fortune situé dans l’arrondissement n°11 dans le sud de la ville de Ouagadougou entraîne une pollution olfactive dans les quartiers environnants. La santé publique est menacée, les autorités le savent et mènent une lutte acharnée contre des bouchers sur place. Mais ces derniers ont plus d’un tour dans leur sac pour échapper à la répression. De 2023 à juillet 2024, nous avons suivi les péripéties de cet imbroglio qui persiste. Enquête !
Mohamed Touré (nom d’emprunt), convalescent de la dengue, craint la survenue d’autres maladies. Ses narines n’en peuvent plus des émanations malodorantes. « L’air est irrespirable dans mon quartier », se plaint-il. Il pointe un doigt accusateur sur l’insalubrité et les nuisances olfactives créées par le site d’abattage clandestin de Laanoag-yiri.
Selon la Loi N°048-2017/AN portant code de santé animale et de santé publique vétérinaire, l’abattage clandestin est défini comme « tout abattage ou habillage d’animal de boucherie qui a lieu en dehors d’une aire autorisée, sauf pour les cas de dérogation précisés par voie réglementaire ».
Pourtant, à Laanoag-yiri, un lieu d’abattage illégal prospère nonobstant de multiples démantèlements. Il déverse dans la nature de la crasse et des émanations nauséabondes. Le site de Laanoag-yiri est situé à la sortie sud de la ville de Ouagadougou à l’extrémité ouest de Karpala.
Il est situé à 150 m à gauche de la route nationale n°5 en laissant le quartier Ouaga 2000 à votre droite. A l’origine, c’est un site de vente de bétails installé par la mairie de Ouagadougou. Mais un abattage sauvage d’animaux s’y est greffé. Les animaux y sont tués pour alimenter des marchés de Ouagadougou en viande.
Un problème qui va plus loin que les mauvaises odeurs
Selon Alidou Tinto, le directeur de la salubrité et de la tranquillité urbaine, la viande provenant des abattages clandestins échappe à tout contrôle sanitaire approprié. Ainsi, elle peut contenir des pathogènes dangereux pour la santé humaine, telle que des bactéries, des parasites, et même des résidus de médicaments vétérinaires nocifs.
De plus, il souligne que la consommation de viande non inspectée accroît le risque de maladies d’origine alimentaire pour les consommateurs. Des maladies, dit-il, pouvant conduire à des infections graves comme la salmonellose, la brucellose ou la tuberculose. La direction de l’hygiène publique du ministère de la santé que nous contactons maintes fois à travers la direction de la communication dudit ministère pour en savoir plus sur les risques sanitaires de cette viande impropre nous laissera sans réponse.
Qu’à cela ne tienne, au regard de l’envergure du phénomène, l’ensemble de la commune de Ouagadougou doit se préoccuper de la pollution engendrée par cet endroit de production de déchets animaux, car un puissant vecteur de cette pollution entre en jeu. Il s’agit des courants d’eau. En effet, les bouchers se défendant de prendre des mesures contre les odeurs, déversent par des canalisations de fortune l’insalubrité issue des abattages dans un bas-fond qui jouxte le site.
Ces déchets, disent ils, sont emportés par les écoulements des eaux dans le bas-fond. Mais vers où ? Ils n’en savent rien. Ce qui est sûr, ils polluent les eaux, selon le directeur de la salubrité. « Les pratiques d’abattage clandestin peuvent entraîner une mauvaise gestion des déchets, la pollution des sols et de l’eau, ainsi que d’autres impacts environnementaux néfastes », nous confie-t-il.
Pour l’instant, ce qui préoccupe le plus les habitants qui côtoient l’abattage clandestin de Laanoag-yiri, c’est la puanteur. Dans la matinée du 8 juin 2024, nous nous sommes rendus dans ledit quartier. Mohamed Touré est notre hôte du jour. L’air est irrespirable. Nos fosses nasales sont agressées par un mélange d’odeurs de pourriture, d’excréments et d’immondices de tout genre.
Nous stationnons à l’ombre d’une maisonnette pour attendre notre hôte. Il vient à notre rencontre. « Vous sentez l’odeur ? C’est ainsi que nous vivons ici », nous lance-t-il, l’air comblé que quelqu’un puisse mesurer un tant soit peu son vécu.
Pour lui, la cause de ses malheurs, c’est bien l’abattoir clandestin qui jouxte le marché de bétail de Laanoag-yiri. Son bourreau est à un pâté de maisons de chez lui, à environ 500 mètres. « Depuis que le marché du bétail est implanté ici, nous vivons mal », déclare-t-il, l’expression du visage dissimulant mal son désarroi. Il n’en peut plus. Mais il est condamné dans cet environnement.
« Si j’étais en location, j’allais partir, mais malheureusement, j’ai construit. Quand je déménageais ici, ce n’était pas comme ça. L’air était pur et le cadre était bien. Maintenant, le quartier sent mauvais, tu ne peux même pas inviter des amis chez toi, tellement ça sent », s’offusque le sieur Touré. C’est un supplice pour lui, sa femme et ses deux marmots.
Une année plutôt, précisément le vendredi 5 mai 2023, nous étions témoin privilégié de l’installation effective du marché de bétail de Laanoag-yiri. À cette période, avec une délégation conduite par Maurice Konaté, Président de la Délégation spéciale (PDS) de Ouagadougou, nous nous sommes rendus sur le nouveau site de Laanoag-yiri pour constater l’installation des marchands de bétail, qui viennent d’être délogés de leur ancien emplacement à Ouaga-inter.
Leur installation effective dans ce nouveau site vient mettre un terme à une longue période de divergence entre la mairie de Ouagadougou et les marchands de bétail de Ouaga-inter qui pour une raison ou une autre refusaient de rejoindre le nouveau site de Laanoag-yiri aménagé pour les accueillir. Voilà un problème de réglé à l’époque pour le nouveau PDS.
Lire aussi → Nouveau marché de bétail de Lanoag-yiri : Les relocalisés entre satisfaction et plaintes
Mais, « chassez le naturel, il revient au galop », dit un adage populaire. En effet, un couac se présente à nos yeux et à ceux du PDS. Le marché de bétail de Laanoag-yiri aussitôt installé tient déjà dans ses bras un produit venu tout droit de ses entrailles. Un avorton qui n’est ni plus ni moins qu’une aire d’abattage clandestin d’animaux. Le constat est ahurissant.
Du sang frais à même le sol. Un sol pouilleux, peint en noir, du sang des animaux stagné pendant longtemps. Par endroits, dans des trous, bavent des déjections vertes issues d’estomacs des ruminants.
Des carcasses d’animaux sont accrochées au milieu de ce concentré de déchets sans pareil. Des milliers de drosophiles se disputent les excréments, les peaux entassées, et même la viande qui va bientôt se retrouver dans la marmite de la ménagère. Qui sait ?, dans notre assiette, peut-être.
Le PDS fait le constat de cette situation insolite. Il promet de trouver une solution. Nous sommes alors le 6 mai 2023. Un mois après, nous sommes revenus « sur les lieux du crime ». C’est le statu quo, la pratique a la peau dure. Les riverains interrogés sont exacerbés. Ils n’en peuvent plus des mauvaises odeurs, mais ne savent pas non plus où aller.
« Cet abattoir sauvage envahit tout le quartier de mauvaise odeur. La nuit même, tu ne peux pas dormir. C’est impossible, l’odeur est trop forte. Après la visite du maire (PDS, NDLR), des gens sont venus ramasser leurs bagages, mais après, ils sont revenus encore », fulmine Kalifa Traoré (nom d’emprunt), un citoyen qui vit à peine à 100 mètres du marché de bétail. Il faut dire qu’à l’époque, nous essayions vainement d’interroger Mohamed Touré, voisin éloigné de Kalifa Traoré.
Il s’est montré réticent à l’idée de paraître dans un journal. Cette année-là, nous sommes aussi entrés en contact avec le service de communication de la mairie centrale pour avoir un avis de l’autorité municipale sans succès. Quelques jours plus tard, nous apprenons par un communiqué le démantèlement de l’abattage clandestin de Laanoag-yiri par la Police municipale. Nous abandonnons l’initiative de coucher des lignes.
Cependant en 2024, ne tenant plus le choc des odeurs pestilentielles, c’est Mohamed Touré que nous avons cité plus haut qui nous appelle pour nous faire cas de la persistance du calvaire des riverains de ce lieu d’abattage illicite. Les effluves nauséabonds persistent, les mouches envahissent sa demeure. Il est à bout et vent debout contre les tenanciers de l’abattage hors-la-loi.
Une curiosité satisfaite
Comme lui, beaucoup de riverains sont dans la tourmente. Ils se sont plaints à plusieurs reprises de nuisances olfactives auprès des autorités municipales. Le directeur de la salubrité et de la tranquillité urbaine, Alidou Tinto, nous en fait la confidence.
Cependant, jamais, ils n’osent croiser les bouchers, leur bourreau, pour discuter du problème. Ils craignent ces hommes à la machette. Nous, par soucis d’équilibre, franchissons le rubicond. Nous décidons d’aller à la rencontre des redoutés bouchers pour en savoir davantage, surtout nous enquérir de leur version des faits .
Il faut procéder avec tact. D’emblée, il faut faire le constat de la pratique. Nous décidons par simple curiosité de nous payer un bouc tout en demandant le service de l’abattage.
Vidéo de l’abattage d’un animal à Laanoag-yiri ⤵️
Le constat est fait. C’est un flagrant délit, comme le disent les juristes. Les animaux sont effectivement abattus à même le sol sans aucune règle d’hygiène et sans aucun contrôle sanitaire.
Le redouté face-à-face avec les hommes à la machette
Un après-midi d’août 2024, nous décidons de repartir à la rencontre des bouchers. De courage, nous nous en sommes abreuvés. L’entreprise étant périlleuse, il nous fallait prendre beaucoup de précautions. Notre sixième sens nous recommande de passer par le chef du marché de bétail. Nous demandons à le voir dès notre arrivée sur les lieux. Très connu des vendeurs, on nous montre un hangar juste à l’entrée du marché où il est assis avec d’autres vendeurs.
Nous nous présentons et nous lui exposons le motif de notre présence. Nous sommes venus parce que les concessions voisines du marché se plaignent d’odeurs immondes dues à l’abattage des animaux. « Pourtant, il n’y a pas d’odeur ici. Vous sentez des odeurs ici ? », nous demande le sexagénaire. Effectivement, la veille de notre arrivée, il a plu des cordes. Nous ne sentons pas grand-chose. Sans doute que le lessivage du sol dû à la pluie a eu raison des odeurs. Ainsi, le chef du marché tente de défendre les bouchers, arguments à l’appui.
Cependant, alors que nous sortons notre dictaphone pour enregistrer ses propos, il nous oppose un refus catégorique. Nous comprenons que le sujet est sensible, mais nous imaginons aussi que les bouchers sont craints. Nous lui signifions que par nécessité d’équilibre de l’information, nous ne pouvons pas écouter ceux qui se plaignent des odeurs sans entendre ceux qu’ils accusent. Celui-ci sans détour se lève et nous indique de son doigt là où se trouvent les bouchers. Il nous dit d’aller les interviewer directement, car « ils sont les mieux placés pour parler de leur problème ».
Le vieil homme nous fait comprendre qu’il ne veut pas de problème avec les bouchers. Et de renchérir, « ils sont assis aux aguets, guettant l’arrivée des forces de l’ordre qui font le plus souvent des descentes inopinées pour les déguerpir. Si je parle à votre micro et demain, on vient les déguerpir, je vais avoir des problèmes avec eux », lâche-t-il.
Nous voilà face à nos responsabilités. Nous traversons les étables de fortunes çà et là du marché de bétail pour rejoindre son extrémité Est. C’est là où se trouvent la plupart des bouchers. Le béguètement des boucs, le beuglement des bovins, les bêlements des moutons, nous traversent les oreilles. Une certaine peur nous traverse l’esprit. Néanmoins, dans la tête, nous sommes focus sur le scénario parfait pour aborder les bouchers.
Au fur et à mesure que nous avançons, les cris des animaux font place à des coups de machette sur de la viande, à du brouhaha émanant de causeries, mais surtout à un son strident comme si l’on aiguisait un couteau ou une machette. Évidemment, nous sommes dans le secteur des bouchers.
Cette ambiance de couteaux suffit pour se rende compte du caractère périlleux de l’initiative. Une petite mauvaise compréhension et nous risquons le pire. Nous rebroussons chemin. Mais avant de partir, on tient le responsable du marché à bétail au courant. Nous lui faisons part de nos craintes. Celui-ci nous assure que nous n’avons rien à craindre. Mieux, il diligente illico quelqu’un pour nous conduire chez le chef des bouchers. Voilà qui est mieux !
Nous voilà face au chef boucher extirpé par notre accompagnant parmi ses congénères. L’entrevue avec le chef des bouchers fut courte. Les bouchers se défendent de prendre des mesures pour l’hygiène afin d’amenuiser au maximum les nuisances olfactives.
« Nous avons creusé jusqu’au bas-fonds pour que les eaux des pluies emportent les déchets, nous avons construit des dalles surélevées pour qu’on y tue les animaux dans les règles de l’art. Nous avons creusé aussi de grands trous pour mettre les déchets de l’abattage là-bas. Tout cela pour qu’il n’y ait pas d’odeurs.
Nous avons également entamé des démarches à la mairie de notre arrondissement pour qu’on nous aide avec la normalisation du site. Cela est même en bonne voie. Des techniciens de la mairie et des abattoirs sont venus ici pour nous aider à normaliser en abattoir moderne », égrène le chef des bouchers.
Que fait la municipalité ?
Ces mesures sont-elles rassurantes ? Pas du tout ! La preuve, les bouchers hors-la-loi sont combattus par les services compétents de la municipalité. La commune déploie tous les efforts nécessaires pour régler la situation qui affecte la sérénité urbaine.
Le Directeur de la salubrité et de la tranquillité urbaine de la ville de Ouagadougou est bien au parfum de la situation à Laanoag-yiri. Ces hommes font constamment des descentes et des saisies de carcasses de viandes impropres à la consommation. Mais pas que, de nombreux autres sites d’abattage illégal sont régulièrement démantelés à Ouagadougou par ses équipes.
Par ailleurs, Alidou Tinto déplore la complicité de la population qui permet aux bouchers de passer entre les mailles de leurs filets. Parlant du site de Laanoag-yiri, il fait savoir : « Ces gars-là, sont tellement informés et aux aguets que dès qu’un véhicule d’intervention de la police municipale démarre, automatiquement, ils sont au courant. Ils bénéficient souvent de la complicité de certains riverains ». Nonobstant, les hommes de la municipalité n’en démordent pas. Les statistiques parlent d’elles-mêmes.
En effet, selon M. Tinto, en 2020, la Police municipale a fait 22 sorties contre les abattages clandestins. Des sorties qui se sont soldées par la saisie de 6 tonnes de viande. En 2021, 27 sorties avec à la clé, la saisie de 4 tonnes de viandes impropres à la consommation.
Le tableau suivant indique les sorties et les saisies de la police municipale sur les abattages clandestins.
Année | Nombres de sorties | Quantité de viandes saisies |
2020 | 22 | 06 tonnes |
2021 | 27 | 04 tonnes |
2022 | 38 | 07 tonnes |
2023 | 36 | 08 tonnes |
2024 | 20 | 05 tonnes |
Source : Police municipale
L’objectif de ces descentes musclées, précise le directeur de la salubrité, est de dissuader les bouchers afin qu’ils aillent de plus en plus vers les abattoirs homologués pour l’abattage des animaux. On peut dire que cela a un impact au regard du tableau de fréquentation des abattoirs homologués présenté par le directeur de la salubrité. Voici le cas de la Société de gestion de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou (SOGEAO).
Impact des actions de la Police municipale sur la SOGEAO
Statistiques | 2022 | 2023 | Augmentation |
Abattages de gros animaux | 72 740 | 74 782 | 2 242 |
Abattage de petits ruminants | 27 212 | 27 518 | 306 |
Abattages de porcs | 4 898 | 6 102 | 1 204 |
Écart | 10 4650 | 10 8402 | 3 752 |
Source : Police municipale
Vous constatez que dans ce tableau que les abattages dans cet abattoir homologué (SOGEAO) sont en nette augmentation au fil des ans.
L’espoir est donc permis. D’ailleurs, pour le cas spécifique de Laanoag-yiri, une solution est en passe d’être trouvée. Les bouchers ont émis le souhait que les autorités les accompagnent pour l’érection d’un abattoir moderne dans leur site. Le chef des bouchers confirme que les autorités municipales et des techniciens de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou sont venus visiter les lieux et promettent d’étudier leur doléance.
Le Directeur de la salubrité nous confirme cela, mais nous précise que pour l’instant les bouchers sont dans l’illégalité parfaite. Vivement qu’une solution consensuelle soit trouvée, pour… une bouffée d’oxygène. Comme le dit un proverbe Moaga : « que Dieu pourvoie au chasseur et à la proie qu’il poursuit pour que tout le monde s’en sorte à bon compte ».
Hamadou OUEDRAOGO
Burkina 24
Écouter l’article
|
Nous tenons à vous exprimer notre gratitude pour l'intérêt que vous portez à notre média. Vous pouvez désormais suivre notre chaîne WhatsApp en cliquant sur : Suivre la chaine
Restez connectés pour toutes les dernières informations !
Restez connectés pour toutes les dernières informations !