Etude : La mise en mots des espaces de la province de Poni et histoire des communautés ethnolinguistiques

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Ceci est une étude réalisée par YOUL Palé Sié Innocent Romain, CNRST, Institut des Sciences des Sociétés, TRAORÉ Daouda, CNRST, Institut des Sciences des Sociétés et KABORÉ Bernard, Université Joseph KI-ZERBO, publié « La mise en mots des espaces de la province de Poni et histoire des communautés ethnolinguistiques ».

Résumé

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Les toponymes ont des formes variées et contiennent beaucoup d’informations sur le passé d’une localité. Ils présentent les conditions et réalités du parcours des populations, leur coexistence avec les autres communautés ainsi que leurs habitudes quotidiennes. La typologie et les significations des toponymes répertoriés est l’exercice auquel se prête la présente réflexion. Des données toponymiques enregistrées sur le terrain et échanges avec leurs détenteurs, leur transcription ne répond pas aux normes de transcription linguistique de la localité, notamment la province de Poni. On assiste, de facto, à une application de principes de transcription qui ne respectent pas les normes, ce qui s’expliquerait par la méconnaissance des principes de base de la transcription orthographique des langues en question et l’influence du français, langue de travail .

Introduction

Le présent document de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Quelques toponymes de la province de Poni. Preuves inspirées de l’expression identitaire et d’une mémoire collective » publiées dans Géovision, revue des Sciences Humaines et Sociales, N°12 Vol.2, ISSN : 2707- 0395 de l’Université Alassane Ouattara. En effet, les toponymes, selon les résultats d’un certain nombre de recherches, contiennent beaucoup de messages, voire le passé d’une entité géographique. Cette situation a davantage aiguisé notre intérêt, dont la préoccupation se résume autour des interrogations suivantes :

  • quelle est la typologie des toponymes de la province de Poni ?
  • quelles sont les significations des toponymes répertoriés ?

En nous basant sur ces interrogations, nous émettons l’hypothèse selon laquelle les toponymes de Poni présentent des structures variées tributaires des messages véhiculés.

Pour ce qui concerne les objectifs poursuivis, ils se présentent comme suit :

  • dégager la typologie des toponymes de la province de Poni ;
  • analyser les significations des toponymes répertoriés.

Le présent document qui contribue à mettre à disposition des informations sous-jacentes portées par les toponymes de la localité étudiée est structurée en deux grands points, notamment la méthodologie et les résultats.

Méthodologie

Pour mener à bien notre étude dont l’objet est de cerner les types de toponymes et leurs significations, notre démarche comporte essentiellement les étapes suivantes : la première, théorique, a consisté à une fouille d’informations à même de nous guider à mieux circonscrire notre problématique. Quant à la deuxième, elle s’est déroulée en deux phases, notamment :

– l’observation directe qui nous a conduit en situation réelle sur le terrain et qui nous a permis d’effectuer des captures d’images et d’informations telles que présentées ;

– les entretiens qui ont permis de décrypter, non seulement les informations qui sous-tendent ces toponymes, mais aussi de relever les avis des enquêtés à même de compléter les données de la première phase.

Résultats

Dans cette partie de notre travail de recherche, nous faisons la description des données recueillies sur le terrain investigué suivi de leur signification.

À partir de l’observation des toponymes consultés, nous relevons que leur écriture répond plus aux normes orthographiques du français. L’examen de la façon dont ces toponymes sont constitués nous donne le lien entre ces écrits francisés et les significations qui leur sont liées. Les toponymes apparaissent beaucoup plus subordonnés aux réalités historiques et existentielles. Des échanges, dans le cadre de ce travail, il ressort que les populations locales, à l’image des résultats de recherche de PSIR YOUL (2023), sur la même région, ne se délivrent pas dans les appellations francisées qui s’éloignent des réalités locales sur le double plan de la forme et du sens. «  Gaoua  », de la bonne transcription «  Gãhuɔ r », à titre illustratif, ne renvoie absolument à rien et, de surcroît, déroute la jeune génération qui voudrait s’instruire du passé, afin de mieux envisager l’avenir.

                                                           Photo1 : Gaoua    

                 

                                   Source : prix photo sur le terrain, juin 2024

 

Gã huɔ                                Gãhuɔ r

   Route des Gan

  Le passage des Gan

Dans la recherche des meilleures conditions de refuge et de vie, les populations sont contraintes à de perpétuels mouvements. En effet, Gãhuɔr fut dans le temps le passage des Gan venus du Ghana pour rejoindre Loropeni, une localité située à 42 km de Gaoua Ce passage est appelé par les Lobi, «  Gãhuɔ »  , qui signifie « la Route des Gan », d’où est tiré le nom de cette partie du Burkina Faso.

Dans la même dynamique, francisé Tienkouera renvoie à l’esprit d’économie et de résilience en rappel de la souffrance durant les différents parcours de subsistance qui recommande la proscription du gaspillage. A travers ce toponyme, on aperçoit clairement la discipline qui était de rigueur pour la survie de toute une communauté.

Photo2 : Tienkouera Photo3  : Périgban

                                                  

 

Source : prix photo sur le terrain, juin 2024

 

       )  Tiɛ̃ Kuɛrɔ Tiɛ̃                                  kuɛrɔ​                                   

 Pronom indéfinie gâter

                Abimer quelque chose 

Ce toponyme invite, donc à l’observation de la discipline et à l’esprit de conservation au détriment du gaspillage des ressources.

Le toponyme «  Perigban  » quant à lui renvoie, non seulement à la résilience pour subsister, mais aussi à l’exploitation des berges des cours d’eau pour augmenter les réserves vivrières. Le nom du village «  Pɛrgbaan » francisé «  Perigban  » renvoie au long cours d’eau et « Kulponegãa » , francisé « Koul-pone-gane » , signifie « de l’autre côté de la rive » . Tous les deux noms désignant les localités qui sont propices aux activités agricoles, d’où l’option de s’y installer.

        ( Pɛrɔ                   gbaan                               Pɛrgbaan

                  Lac long

                  Un long lac

 

Photo4 : Koul-pone-gane                                         Photo5 : Sinkoura   

                                                Source : prix photo sur le terrain, juin 2024

 

         (4) Kulpone gãa Kulponegãa 

       Traverseur de village

       De l’autre côté de la rivière

Toute réserve issue de la bonne moisson peut être convoitée par d’autres communautés en migration à la recherche des meilleures conditions de production et de vie. Par conséquent, certains moyens sont déployés pour se mettre à l’abri d’éventuels agresseurs. C’est ce qu’il faut retenir du toponyme «  Sĩikurɔ » , francisé « Sinkoura ».

(5)    Sĩi kurɔ                        Sĩikurɔ        

                    Flèche vers le haut

                  Flèche qui tu

Autrement dit, «  Sĩikurɔ » serait la localité où les flèches sont exclusivement utilisées comme armes pour se défendre lorsque les habitants sont agressés. Expression tirée du lobiri, elle met en garde toute personne animée de mauvais esprit qui s’aventurerait dans cette localité.

C’est le même esprit qui anime le village de «  Lantao  », de l’appellation authentique «  Lãt aʋ » de la communauté birifor vivant dans cette localité. Un fait illustratif qui rappelle le lien fort existant entre ces deux communautés ethniques (lobi et birifor) qui semblent avoir la même origine, selon D. ZONGO (2017).

Photo6 : Lantao Photo7 : Kampti

    

                                                   Source : prix photo sur le terrain, juin 2024

(6) L ã t ʋ L ãt ʋ

                   Effort flécher

                   Flécher par anticipation

 

Le nom «  Lãt aʋ » attribué à ce village renvoie à la vigilance qui est demandée à chacun de sorte à être le premier à flécher l’ennemi, tous connaissant la dangerosité de cette arme. La méfiance doublée d’une certaine agressivité, consigne unanimement partagée, les habitants de cette zone ne se sont jamais laissés dominer facilement. Le nom de la localité de «  Kãpa fɩ te » , francisé «  Kampti  », en est un autre cas illustratif qui signifie « d’où viens-tu ».

             (7) Kãpa fɩ te Kãpa fɩ te  

                      Où viens-tu

                       D’où viens-tu

En effet, dans leur campagne de découverte de la zone, les missionnaires occidentaux ont posé la question au chef autochtone sur le nom de la localité. Au lieu de répondre à leur question, le chef leur a aussi posé la même question d’un ton très agressif «  Kãpa fɩ te » restant gravé comme un grand souvenir de ce choc entre autochtones et missionnaires occidentaux. La vigilance et la résistance n’étaient pas seulement face à la conquête d’étrangers, la prudence était également de mise pour ne pas être dévoré par des animaux féroces. L’appellation «  Silãlãra » , francisée également « Sillalara » , répond à cette logique et signifie, « on aura le courage et on résistera » .

 

            (8) Si lãlãra Silãlãra

                   Nous             résistons

                   Nous résisterons

Des entretiens, il ressort qu’il existait dans cette localité des animaux féroces qui dévoraient toute personne sur leur chemin. C’est ainsi qu’un Lobi, durant son parcours, face à un Birifor qui décide de rester dans une localité réputée dangereuse, lui exigea s’il pourra y rester. En réponse, celui-ci lui répondit «  Silãlãra  ». Autrement dit, ils auront le courage, ils résisteront. La subsistance des peuples lobi-birifor recommande une parfaite symbiose avec la nature pour en tirer le meilleur et le profit. En effet, l’appellation «  Bakperena  », francisée «  Barkperena » , dérive de l’expression « agglomération de karité ».

Photo8 : Barkperena Photo9 : Houx

   

                                                          Source : prix photo sur le terrain, juin 2024

            (9) Ba kperena Bakperena

       Agglomération de Karité

      Zone très propice au karité

En effet, ce village est une localité pourvoyeuse de karité de subsistance en abondance pour ses habitants.

(10) Holla ly (symphonie) Holla (ly)

                  Kaolin

Quant au nom du quartier «  Holla  », transcrit «  Holly  » pour certainement une question de symphonie, il signifie « terre blanche, notamment le kaolin », beaucoup utilisé pour se badigeonner à l’occasion des rites d’initiation, des cérémonies de veuvage et dans bien d’autres manifestations sociales. En effet, ce quartier était le seul lieu, qui relevait de la zone administrative « Koul-campement  », où l’on pouvait avoir cette matière. La convergence massive des populations pour ce kaolin à l’occasion des différentes cérémonies a fait du quartier «  Holla  » le village, au détriment du village « Koul-campement  » instauré par l’administration.

                           

Les toponymes des villages de la province de Poni constituant des mémoires inaltérables de la colonisation : les toponymes autochtones ont été francisés pendant la colonisation française, altérant ainsi leurs graphiques et, par voie de conséquence, leurs sens. Une entorse qui a traversé les temps et des générations, mais qui mérite d’être examinée avec sérieux, afin de rétablir ce qui sied, toute chose qui contribuerait significativement à l’élan actuel impulsé par les nouvelles autorités qui prônent le retour à nos propres réalités.

Conclusion

De ce qui précède, les toponymes présentent non seulement des formes variées, mais constituant de véritables banques d’informations, l’essentiel de l’histoire d’une localité. Malheureusement, les différents noms donnés aux localités n’ont pas été bien matérialisés. Par conséquent, cette situation est comparable à une réduction de l’histoire des communautés linguistiques des localités étudiées. Ainsi, les transcriptions orthographiques des langues, dans les villages sillonnés, ne répondent pas aux normes de transcription linguistique, ce qui pourrait dénaturer le sens profond de ces toponymes. En tout état de cause, nous réaffirmons, à la suite de PSIR YOUL et M. ADJERAN (2024), la nécessité de procéder à une correction toponymique du cadastre et des cartes de l’Institut géographique du Burkina, en vue de contribuer à l ‘avènement d’un Burkina Faso en cours de construction et de reconstruction.

Références bibliographiques

YOUL Palé Sié Innocent Romain , 2023, « Étude toponymique de dix villages de la province de la Bougouriba dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso », dans Revue Djiboul Périodique : Semestriel D, N°005, ISSN 2710-4249 e- ISSN-2789-0031, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire, pp80-91.

YOUL Palé Sié Innocent Romain, ADJERAN Moufoutaou , 2024, « Toponymes de la province de Ioba. Eclairages sociolinguistique et ethnolinguistique », dans Revue Africaine des dynamiques contemporaines, Vol. 1 | non 1 | Juin 2024, ISSN : 3007-6714, Douala, pp.12-22.

Ce présent document de vulgarisation est tiré de l’article scientifique « Quelques toponymes de la province de Poni. Preuves inspirées de l’expression identitaire et d’une mémoire collective », YOUL Palé Sié Innocent Romain, TRAORE Daouda , publié à Géovision, revue des Sciences Humaines et Sociales, N°12, ISSN : 2707- 0395, Université Alassane Ouattara, pp .224-233, 2024.

DV Youl et al
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