Affaire riz périmé du MENA à Tenkodogo : Le Procureur lève un coin de voile
Chose promise, chose due ! Il avait promis de nous donner les détails de cette affaire dite de riz périmé qui a éclaté en janvier dernier à Tenkodogo. Lui, c’est Adama Ouédraogo, Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Tenkodogo. A travers cet entretien qu’il nous a accordé juste avant le début de la grève des magistrats, il évoque les contours de cette affaire au centre de laquelle plusieurs personnes, dont le Coordonnateur des cantines scolaires du Ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (MENA) et le Directeur régional du MENA-Centre-Est, sont épinglés. Selon le Procureur, si d’aventure les personnes déjà arrêtées sont coupables, des charges telles que « la falsification de vivres, des tentatives de détournement de biens publics » pèseront contre eux.
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Burkina24 (B24) : Vous avez sous la main le dossier des responsables du MENA arrêtés pour reconditionnement de riz périmé. Quand est-ce que cette affaire a commencé ?
Adama Ouédraogo (A.O) : C’était le 13 janvier 2016 que la gendarmerie m’a appelé pour dire qu’elle a une information qui fait état de ce que de façon clandestine des personnes sont en train de se livrer à un reconditionnement de vivres périmés destinés aux cantines scolaires.
J’ai pu me déplacer avec la gendarmerie dans un secteur de la ville de Tenkodogo. On a vu un grand magasin avec deux manutentionnaires qui étaient en train de reconditionner en masse des sacs de riz. J’ai pu constater qu’il s’agit d’un gros stock de riz conditionné dans des sacs avec l’inscription « MENA CANTINES SCOLAIRES».
C’était vraiment en quantité. Sur le champ, on n’a pas pu dénombrer. Le soin a été laissé aux enquêteurs de le faire. Il m’a été montré un magasin compartimenté pour voir le stock qu’on reconditionne.
Là-bas, sur le Sac de riz, on pouvait lire si j’ai une bonne mémoire « Empereur d’Afrique ; riz long grain 50 kg, produit au Vietnam ». Mais sur ces sacs, il est mentionné clairement « date de production : avril 2013 et date de péremption avril 2015. » C’est ce stock qui est reconditionné dans de nouveaux sacs frappés « MENA CANTINES SCOLAIRES » sans date de péremption.
J’ai pu avoir le bordereau de ce stock où j’ai lu plus de 5 000. Nous avons pu entrer en contact avec le magasinier qui est un agent de la Direction régionale de l’éducation et de l’alphabétisation (ndlr: DRENA-Centre-Est). Sur interrogation rapidement, il a dit qu’il y a un expert qui est passé et qui a conclu au caractère consommable de ces vivres.
Il a tout de suite fait de préciser qu’il ne fait qu’exécuter les instructions qu’il a reçues de sa hiérarchie, c’est-à-dire le Directeur régional de l’éducation nationale et l’alphabétisation du Centre-Est. J’ai pu joindre le DR par un coup de fil. Il est venu. Mais il a dit que lui non plus n’a pas pris l’initiative de ce travail de reconditionnement.
Il a précisé que ce sont des instructions du niveau central qu’il n’a fait que relayer pour aboutir à ce que nous avons vu. Il dit tenir ces instructions du Coordonnateur national du projet cantine scolaire du MENA. L’information nous a été donnée qu’il y a deux autres magasins qui relèvent du Centre-est dont un à Koupéla.
Les enquêtes ont permis de savoir qu’il y a un autre stock à Zabré qui, administrativement parlant relève de la DRENA du Centre-Sud. Là-bas l’information nous a été donnée qu’il y a plus de 300 sacs reconditionnés. Avant de poursuivre les enquêtes, il a été procédé au scellé des magasins de Tenkodogo et de Zabré. Pendant que le parquet était dans l’attente du procès-verbal de la gendarmerie, celle-ci a donné l’information que les sacs vides du magasin de Zabré étaient brûlés par le magasinier.
B24 : Quelles sont les personnes mises en cause dans cette affaire ?
A.O : Les personnes principales mises en causes sont la DRENA-Centre-Est, le magasinier de Zabré, et au niveau du ministère, le projet cantines scolaires. Au regard de la complexité des faits, on a des noms qui sont cités par ci et par là. Il est apparu nécessaire pour nous de faire le choix d’une procédure qui donnera la chance de rassembler le maximum d’éléments pour mieux apprécier les faits.
On a donc pris un réquisitoire introductif contre des agents de la DRENA. Au niveau de la DRENA, il y a le Centre-Est et le Centre-Sud. Contre ces personnes, le réquisitoire a été pris pour des faits que nous avons qualifiés à cette étape des présomptions suffisamment graves de falsification de vivres, de tentatives de détournement de biens publics ; parce que les informations en coulisse qu’on recevait faisait état de ce qu’à cette procédure-là, il arrivait que des stocks entiers soient destinés à une finalité autre que celle pour laquelle ils sont arrivés.
La raison est que la dotation en vivres de cantine scolaire est annuelle et se fait après le besoin exprimé de ces écoles et approuvé au niveau central. C’est suite à ce préalable que les stocks arrivent. Chaque école avec la quantité déterminée. Je vous disais que le stock que nous avons trouvé sur place était de 2013. Il était censé être acheminé aux écoles au titre de l’année 2013. La question est que si on le reconditionne, c’est au titre de quelle année qu’il va être acheminé ?
Une première version dit que les experts ont vérifié et ont abouti à la conclusion que les vivres peuvent être consommés. Une autre explication de cette même structure (ndlr : DRENA) affirme que le reconditionnement est fait à titre préventif en attendant le passage des experts. Dans l’hypothèse où les experts concluent que les vivres peuvent être consommés, ils seront acheminés.
Dans l’hypothèse contraire, ils vont être détruits. Mais au regard de la quantité énorme de vivres déjà reconditionnée, nous au niveau du parquet, nous ne nous sommes pas donné la peine de penser que ce stock pouvait être destiné à de la destruction. Au regard des moyens humains et financiers mobilisés, on ne peut pas faire ce travail dans cette éventualité que le produit soit détruit.
Dans la progression de l’enquête de la police judiciaire, une autre explication nous a été fournie qui soutient que c’est pour palier la défaillance des sacs du stock de 2013 que ce travail de reconditionnement est fait. J’ai eu la chance d’être avec les enquêteurs au moment de cette explication.
Nous avons tout de suite fait de mettre en présence les deux sacs. Le sac avec la date de péremption avril 2015 et les nouveaux sacs MENA cantines scolaires. Nous ne sommes pas des experts mais au touché, on peut se faire une idée. On a tiré et nous avons constaté que les sacs de 2013 sont beaucoup plus épais que les nouveaux sacs.
Le stock reconditionné a été estimé à plus de 6 000 sacs. Dans la suite de l’enquête, il nous a été produit une correspondance du ministère de tutelle (MENA) qui instruit les différents Directeurs régionaux de prendre les dispositions pour recevoir des experts qui vont faire des prélèvements sur des stocks. Mais en aucun moment, dans aucune phrase il n’est question de reconditionner les sacs de vivre. C’est avec ces éléments que nous avons demandé l’ouverture de l’information. Un juge d’instruction a été saisi.
B24 : Est-ce que vous avez cherché à comprendre pourquoi le stock de 2013 est toujours là ?
A.O : Il nous a été fourni des explications selon lesquelles il y a eu des difficultés sur le plan de la logistique, c’est-à-dire des moyens roulants pour l’acheminement des vivres vers les écoles. Les transporteurs avec qui le ministère conclut les contrats de transport demandent à être payés d’abord.
Cependant, nous sommes dans l’année scolaire 2015-2016 alors que le stock en question était au titre de l’année scolaire 2013-2014. Il y a eu certainement le stock de 2014-2015 que nous n’avons pas trouvé.
Il nous a été dit qu’il a été acheminé. C’est un peu troublant parce que s’il y a eu une quelconque possibilité de faire parvenir un stock aux écoles concernées, la logique voudrait qu’on commence par le plus vieux stock. Parce qu’il est sous la menace immédiate de la péremption.
B24 : Mais au-delà du Centre-Est et du Centre-Sud, le problème a-t-il atteint d’autres régions du Burkina ?
A.O : Sur interrogation, il nous a été dit que ce n’est pas partout que les vivres se sont retrouvés frappés par la date de péremption.
On nous a cités en exemple d’autres localités comme Bobo-Dioulasso, Ouagadougou et Gaoua. Mais pour notre part, nous avons relayé l’information auprès de notre hiérarchie dans la perspective de poursuivre les investigations pour vérifier voir si ce n’est pas la même situation partout.
B24 : Une des personnes interrogées vous a signalé que le travail des experts a abouti à la conclusion selon laquelle le riz périmé pouvait être consommé. Est-ce que vous avez eu des documents qui attestent cette version?
A.O : Ils ne nous ont pas produit ces documents. Au-delà de cela, on nous a dit par la suite que c’est un travail de reconditionnement fait dans l’attente de l’arrivée des experts. On a reçu au moins trois explications qui ont été données sur le travail de reconditionnement à des échelles différentes.
B24 : Jusque-là, le MENA a-t-il réagi ?
A.O : Nous n’avons pas saisi le niveau central du ministère. Nous avons appelé le projet cantines scolaires qui relève du MENA. Mais une délégation du ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation est venue au niveau du Tribunal pour comprendre. Il leur a été donné sommairement les éléments de faits que nous avons trouvés sur place.
B24 : A ce jour, combien de personnes sont impliquées dans cette affaire ?
A.O : Je ne peux pas vous dire le nombre précis de personnes impliquées dans la mesure où je ne l’ai même pas à mon niveau. La loi prévoit que le réquisitoire introductif est pris pour un fait ou des faits particuliers dans tous les cas nommément précisés dans le réquisitoire.
Le juge d’instruction instruira sur ces faits. Mais quant aux personnes dont ces faits pourraient être imputables, le réquisitoire peut, avec les éléments du dossier, viser certaines personnes nommément sans que cela ne lie le juge d’instruction qui peut faire le choix d’aller au-delà des personnes.
On peut prendre le réquisitoire qui va se retrouver devant le juge d’instruction qui va inculper des personnes qui n’ont pas été visées par le réquisitoire. Tout comme une personne dont le parquet demande l’inculpation peut ne pas être mise en cause par le juge d’instruction.
De cette même manière, le parquet peut demander qu’une mesure touchant à la liberté de la personne soit prise contre une personne qu’on vise nommément dans le réquisitoire et le juge d’instruction peut ne pas prendre cette mesure, je veux parler de la détention de la personne. Tout comme une personne visée nommément, le réquisitoire peut demander qu’il ne soit pas pris de mesure sur sa liberté et le juge d’instruction ne va pas dans ce sens.
Donc il décide de placer la personne sous mandat de dépôt. L’instruction a commencé et le juge d’instruction n’est pas tenu d’informer le parquet de toute autre version qu’il a pu mettre en cause. Cela va être hasardeux de vous donner le nombre précis de personnes impliquées.
B24 : S’il s’avère que les personnes déjà arrêtées sont coupables, quelles sanctions encourent-elles ?
A.O : Si le juge d’instruction estime que les charges qui pèsent contre les personnes que le parquet lui a déférées sont fondées, il va renvoyer le dossier devant une juridiction des juges. Les peines prévues pour les infractions, je veux parler de falsification de vivres et tentative de détournement de biens publics, sont la prison et des amendes.
Propos recueillis par Martin OUEDRAOGO
Correspondant de Burkina24 à Tenkodogo
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