Tribune – « Parlons du 100% coton conventionnel au Burkina »
Ceci est une tribune sur la culture du coton au Burkina.
Depuis un certain temps l’actualité cotonnière s’est emballée au Burkina Faso suite à une décision prise par l’AICB d’imposer aux cotonculteurs la production du coton 100% conventionnel et donc l’abandon du coton Bt au cours de la campagne qui démarre bientôt. La raison pour laquelle cette décision a été prise est que le Burkina perd de l’argent dans la vente du coton depuis 2011 et que cela serait dû au fait que la fibre s’est raccourcie entre temps.
Sans vouloir rentrer dans la polémique de l’opportunité ou pas de cette décision, plusieurs observations peuvent être faites relatives à la filière cotonnière en général et les conséquences éventuelles d’ordre environnemental, social et économique que cette décision de retour au coton conventionnel devra engendrer.
Premier constat : il y a un certain paradoxe dans la procédure de lancement de la campagne cotonnière du Burkina. En effet, le Burkina Faso, premier pays producteur de coton en Afrique lance chaque année le début de sa campagne cotonnière en France.
Nous nous sommes toujours posé la question de savoir pourquoi procéder ainsi ? Est-ce qu’en procédant ainsi, le Burkina Faso ne serait pas influencé par des puissances étrangères mues par d’autres types d’intérêts étrangers aux Burkinabès et qui essaieraient d’imposer un agenda caché à notre économie ? Cette question mérite une réflexion plus poussée par tous les burkinabè épris de justice et de paix, jaloux de leur indépendance chèrement acquise au prix de nombreuses luttes acharnées.
Deuxième constat : Pour une fois que le Burkina est premier en Afrique dans un secteur économique donné, les raisons qui sous-tendent cette position devraient être minutieusement analysées ; les conséquences prévisibles d’un changement de stratégies maîtrisées avant la prise de toute décision tendant à remettre en cause cette place.
Mais à notre connaissance, aucune étude de ce type n’est disponible nulle part, de nature à nous rassurer que quoi qu’il advienne, le pays sera toujours premier producteur de coton et le bien être des cotonculteurs maintenu.
Tout ce qu’on avance jusque là ; c’est des intensions et des souhaits, alors qu’à ce stade on devrait dépasser les supputations et les conjectures et aller sur du concret, sur la base d’une analyse d’impact socio-économique et environnemental crédible.
Troisième constat : a-t-on réellement pris en considération les intérêts de tous les acteurs intervenant dans la filière dans la prise de cette décision ? Nous nous permettons d’en douter.
En effet nous qui avons eu le privilège de réaliser de nombreux contacts avec les producteurs de coton et autres acteurs du monde rural, savons bien que la préoccupation essentielle de ces derniers concerne surtout la pénibilité du travail de production du coton, l’insuffisance de la main d’œuvre (les jeunes préfèrent aller dans les sites d’orpaillages) pour entretenir les champs de coton, alors même que le coton conventionnel nécessite beaucoup plus de main-d’œuvre que le coton Bt.
Certains producteurs eux-mêmes disent que pour réaliser les objectifs de maintien du niveau de production à 800 000 tonnes de coton graines cette année en utilisant 100% de semences de coton conventionnel au Burkina, il va falloir véritablement se« retrousser les manches ».
Alors que l’AICB et même l’UNPCB savent pertinemment que même si les producteurs se coupaient même les manches au lieu de les retrousser, ils ne pourront jamais atteindre ce niveau de production dans un contexte d’abandon total du coton Bt.
On se pose alors la question de savoir qui va supporter les conséquences d’un éventuel échec de la production cotonnière au Burkina Faso en 2016? N’oublions pas que la filière fait vivre plus de 3 millions de personnes au Burkina et sa contribution dans le PIB est de l’ordre de 4%. Déjà que l’on constate une morosité de l’économie, un choc de plus dans la filière n’épargnera pas les vaillantes populations Burkinabè.
Pour l’heure, nous qui sommes de la société civile et qui avons été sensibilisés sur la question de l’utilisation abusive des pesticides et autres produits chimiques nocifs au Burkina restons perplexes face à la tentative d’imposer une telle décision.
En effet un calcul rapide nous montre qu’en retournant à la culture du coton conventionnel à 100%, plus de 3 000 000 de litres supplémentaires d’insecticides seront déversés dans la nature cette année. Ceci va inévitablement engendrer une augmentation du niveau de pollution de l’environnement ; lequel avait sensiblement baissé grâce à l’utilisation du coton Bt qui avait permis une forte réduction de l’épandage des insecticides.
Bien entendu les conséquences du retour aux pesticides coton sur la santé humaine seront désastreuses. Les producteurs, ceux là même qui sont les chevilles ouvrières de cette filière, seront des victimes résignées de toutes sortes d’intoxications et de la détérioration inexorable de leurs conditions de santé.
Mais cela ne semble pas préoccuper les adeptes du retour au 100% coton conventionnel. C’est simplement des arguments économiques, qui sont mis en avant pour justifier leur décision. En tout état de cause, nous ne pouvons pas rester insensibles à cette question de l’environnement et nous comptons le faire savoir.
Aussi, au regard de tout ce qui précède, nous souhaiterions que l’on organise de véritables états généraux du coton au Burkina Faso compte tenu de l’importance majeure de ce produit pour notre économie.
Ces états généraux donneront sans doute l’opportunité de poser les vraies questions et de les débattre sans passion, sans influence ou pression, de façon absolument souveraine, pour sortir une stratégie et des mesures comprises et acceptées de tous, dans le sens de tracer les sillons d’un développement socio-économique durable basé sur une exploitation intelligente et judicieuse de cette spéculation, de la même manière que la Côte d’Ivoire s’est développée en se basant sur son cacao.
Mahama ILBOUDO, Secrétaire Général de l’Association Ensemble Sécurisons le futur
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