Affaire Djibrill Bassolé : Les interrogations d’un membre du comité de soutien
Dans cette opinion parvenue à Burkina24, l’auteur s’interroge sur le silence du commissaire du gouvernement sur les résultats du rapport de l’expert allemand sur les écoutes téléphoniques.
L’expertise de l’Allemand Hermann KÜNZEL sur les écoutes téléphoniques était attendue. Elle aurait dû, judiciariser « une charge capitale » en mal d’authentification. Il n’en a rien été. Il faut craindre que le rapport rendu, en début décembre et communiqué au mis en cause le 14 décembre n’embrouille encore plus le dossier, au grand dam de la justice militaire. Pour l’instant, c’est Bassolé qui a toute raison de se frotter les mains.
Le rapport de l’expert allemand n’aurait pas été livré à la défense. Convoqué le 14 décembre, avec ses avocats, Djbrill Bassolé aurait eu droit à la lecture des passages du rapport. Le document lui-même ne lui a pas été remis. On est en droit de conclure que le contenu pose problème pour l’accusation.
La parcimonie avec laquelle le contenu du rapport est divulgué et le décalage entre la date réelle (24 novembre, au plus tard, selon des sources bien informées) et la date officielle (05 décembre) de réception dudit rapport interrogent.
La justice militaire, nonobstant les servitudes du secret de l’instruction, aurait-elle tu, une expertise qui la renforce, elle qui dans cette affaire doit apporter la preuve qu’elle ne s’acharne pas contre le prévenu? Surtout que le commissaire du gouvernement a cru devoir répondre à ceux qui ont affirmé au lendemain de l’audience du 14 décembre que les écoutes avaient été déclarées « inexploitables » par l’expert allemand. Pourquoi donc ne pas tout divulguer et couper court aux spéculations ?
L’expert allemand a-t-il alors répondu convenablement à la question du juge François Yaméogo, qui voulait savoir si « l’enregistrement était fiable pour être versé au dossier » ?
En attendant la publication de l’entièreté du rapport, ce qui en a filtré sape la base même de l’inculpation de M. Bassolé. Un nouvel élément du rapport devrait rendre encore plus intenable toute utilisation judiciaire des écoutes. Jusque-là, il avait été affirmé que la conversation supposée avait été passée par le moyen des GSM, les téléphones mobiles.
Le rapport de M. KÜNZEL indique qu’au regard de la largeur exceptionnelle des fréquences de l’enregistrement contenant les conversations (100Hz à 3700Hz), elles ont été très sûrement passées par le moyen d’Internet et non par le GSM dont les fréquences standards s’établissent entre (250HZ à 3200 HZ). C’est vrai que l’expert français Norbert Peulphin avait déjà suggéré, sans y insister, que l’enregistrement des supposées conversations avait été obtenu par divers moyens, dont le « dictaphone ».
L’expert allemand va plus loin en démontrant techniquement que la conversation supposée n’a pas été faite par le moyen du téléphone portable. C’est assurément un tournant dans la vie de ces écoutes. L’enregistrement qui est entre les mains de la justice militaire depuis le mois de novembre 2015 aurait donc été obtenu par le moyen d’Internet. Aussi curieux que cela paraisse, le juge militaire aurait entre les mains, le même document mis en circulation sur le Net en novembre 2015. Si la conversation a été passée par le moyen des téléphones mobiles, ces enregistrements Internet ne sauraient tenir lieu d’original.
Sans l’original de l’enregistrement, l’exploitation judiciaire de cette pièce à conviction est injustifiable. Le maintien de Djibrill Bassolé en prison sur ce seul motif va devenir assurément plus problématique, même si une certaine opinion voudrait le voir moisir en prison, pour des raisons purement politiques.
L’auteur de l’enregistrement, est totalement inconnu. On ne sait pas s’il s’agit d’une autorité compétente, ni par quelle procédure le document a été transmis au juge. On reste sur un document, techniquement douteux, lancé sur le Net, par on ne sait qui, et dont le but était de créer un buzz ; chose courante, par ailleurs.
Mais le procureur près le tribunal militaire (commissaire du gouvernement ), droit dans ses bottes, déclare que le contenu de rapport sera versé au dossier de la procédure. Et pour couper court à toute possibilité à la défense de faire de ce nouveau dysfonctionnement pour consolider la demande de libération provisoire de M. Bassolé, le commissaire du gouvernement ajoute que le contenu du rapport sera dévoilé lors du jugement, à l’audience publique.
Ce faisant, il passe outre la question de la validité même de ces enregistrements, qui détermine le maintien ou non de Djibrill Bassolé en détention. Cela se comprend dans une certaine mesure, car tirer les conclusions normales de ce rapport, et invalider les enregistrements en tant que pièce du dossier, reviendrait à démonter tout l’édifice politico-judiciaire monté contre Djibrill Bassolé.
On le savait depuis le début, et l’attitude de la justice militaire le confirme à chaque étape : le principal crime de Djibrill Bassolé, remonte à une période antérieure à la tentative de coup d’Etat de novembre 2015, son principal crime est d’avoir eu des velléités de candidature à la présidentielle.
La Cour de justice de la CEDEAO saisie par Djibrill Bassolé, n’avait pas pu « évaluer l’existence réelle de ces écoutes ; parce que « aucun acte précis de l’enquête n’est reversé au dossier relatif aux écoutes ».
Cette même Cour de justice de la CEDEAO avait à deux reprises statué que les droits de M. Djibrill Bassolé avaient été violés.
Tirer les conclusions logiques de la non-fiabilité de ces enregistrements reviendrait pour le commissaire du gouvernement et pour la justice militaire à admettre qu’ils avaient, dès le départ, fait fausse route dans cette affaire. A tout le moins, le maintien en détention de Djibrill Bassolé est le prix pour que ces augustes autorités ne perdent pas la face.
Ce qui est devenu l’affaire Bassolé est une patate chaude lancée aux autorités actuelles par la Transition (voir les déclarations de Zida pour accabler Bassolé) ; elles devraient faire preuve de tact et d’objectivité pour confirmer que dans la marche actuelle du peuple burkinabè vers la consolidation des acquis démocratiques, l’indépendance de la justice et le respect des engagements de l’Etat ne sont pas de vains mots.
Kassim Traoré (Juriste)
Membre du Comité Soutien Europe Djibrill Bassolé
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