Néo-Koglweogo[1] et Nation en construction

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Ceci est une analyse de Youssouf Ouédraogo  sur le sujet des Koglweogo.

Un an, pratiquement jour pour jour, après la révélation des dérives des néo-Koglweogo par les autorités provinciales du Kourritenga et la section locale du MBDHP, on constate que le discours volontariste, « force doit rester à la loi », et l’adoption du décret sur la police de proximité (5 octobre 2016) n’ont rien changé.

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Le phénomène continue d’évoluer hors contrôle officiel, les impairs côtoient les activités et leur refus de s’articuler à la police de proximité est toujours aussi clair et net (cf. leurs Assemblées générales à Kombissiri, tenue le 22 juin 2016 avant l’adoption du décret sur la police de proximité, et le 3 décembre 2016, après l’adoption dudit décret).

Au niveau du débat « intellectuel », les avis restent toujours aussi partagés bien que généralement moins tranchées qu’au départ, pendant que des affrontements entre populations locales et néo-Koglweogo couvent ou éclatent çà et là, y compris à Ouagadougou (Zongo, et Zagtouli).

Mais le plus inquiétant, c’est que, jusqu’au moment où ces conflits prennent une tournure régionale, on ne voit toujours pas le Plan du gouvernement qui va « amener les Koglweogo à disparaître »[2] ou pour « démanteler les Koglweogo… de façon intelligente ! »[3]. Ces initiatives qu’on continue de dire locales sont devenues régionales, voire nationales, ayant pour seul interlocuteur apparent l’unique ministre d’Etat du gouvernement, ayant une structuration dite nationale tenant des « assises » sans préavis et exhibant une quincaillerie de plus en plus fournie. En plus, les néo-Koglweogo semblent toujours avoir l’initiative face aux autorités qui courent, la plupart du temps, derrière les évènements, pour tenter d’éteindre les feux.

Personne n’a nié, ne nie et ne peut nier les graves déficits, voire les traumatismes sécuritaires dans certaines zones du pays, en l’occurrence, la Région de l’Est. Personne ne nie que ces néo-Koglweogo ont contribué à sécuriser des biens dans cette partie du pays et ailleurs. Le débat n’est pas là mais sur des questions fondamentales relatives au vivre-ensemble, questions progressivement éclaircies par l’évolution du phénomène. Il s’agit :

  • des risques de ruptures de certaines sutures nationales ;
  • des risques d’ajouter, au mieux substituer, une insécurité à une autre ; et
  • de nos valeurs (humaines) et leurs expressions dans la lutte contre le vol.

1 –Notre histoire particulière, de la reconstitution de la Haute Volta en 1947, nos soulèvement et insurrection réussis sans déchirure nationale nous donne une certaine marge de « bêtises », une assurance quoique floue, quant à la construction de la Nation. Il est vrai que le Mouvement autonomiste de l’Ouest (MAO) et le mouvement « anti-mossi » le Front des minorités (FRODEMI) de la fin des années 1970 semblent définitivement effacés des tablettes. Mais n’empêche que les sutures de la Nation sont parfois mises à nus et à rudes épreuves par tout et n’importe quoi :

  • un déficit d’infrastructures, problème national et global mais localement vécu et exprimé en terme de « délaissement » par l’Etat ;
  • un problème de justice pour une personnalité nationale qui devient un problème pour sa localité d’origine contre l’Etat qui « brime » son fils;
  • une désignation de maire de commune, avec des violences dont certains respirent un conflit entre autochtones et « étrangers », tout comme les récurrents conflits agriculteurs-éleveurs ; 
  • une grève ou une manifestation locale, entraînant des agressions et des expulsions d’agents de l’Etat dits « étrangers » ;

Et cela, sans compter ce qui se passe sur les réseaux sociaux dont on ignore l’impact réel et sa dynamique sur ce genre de considérations.

En matière de construction nationale, rien ne peut être considéré comme définitivement acquis. Il faut que les comportements, pas seulement de l’autorité mais aussi des citoyens, y concourent en permanence. Les néo-Koglweogo :

  • parce qu’ils ne se sentent pas/plus tenus par des limites géographiques et culturelles d’opérations ;
  • parce que les surenchères, voire l’irresponsabilité comportementales et langagières, semblent caractériser certains de leurs artifices « héroïques » ;
  • parce qu’ils étendent parfois leurs exactions à des proches et parents de suspects, leur « barbarie » à ceux qui parleraient « mal » d’eux ou à des problèmes de mœurs qui sont des choses culturellement connotées et plurielles ;
  • parce qu’ils sont entrain de réveiller et d’exalter des bas ressentiments ;

…ils ne sont pas dans la dynamique de renforcement de la cohésion mais plutôt de fracturation nationale (potentiellement).

Nous devons prendre garde, l’autorité en premier chef, et cela, sans naïveté car le vivre-ensemble national dans le cadre d’une république telle que déroulée actuellement n’est peut-être pas le souci de certains soutiens au phénomène néo-Koglweogo.

2 – Nous devons nous rappeler que l’état dans sa version actuelle est issu, dans notre pays comme ailleurs en Afrique, d’une effraction par des violences coloniale et non d’une dynamique endogène de l’évolution de nos sociétés. C’est dire que les contacts premiers, précoces entre l’état et les citoyens qui devaient créer et développer de l’attachement entre les deux, à l’image d’une mère et de son bébé, ont plutôt créé l’inverse : globalement, un hiatus de méfiance et de défiance qui s’est « congénitalement » installé entre l’état et les citoyens, particulièrement en zone rurale. Ce hiatus est tel que le délinquant, même en flagrant délit, est en première approche protégé et défendu par les populations contre les représentants de l’Etat, les forces de l’ordre. C’est une rémanence des réflexes de la période coloniale.

Dans les mêmes termes et esprit, les initiatives locales de régence des prérogatives de l’Etat, multi-défaillant, ont spontanément leur préférence et deviennent d’autant plus facilement des choses anti-Etat, parfois armées, que des choses avec-Etat. Les néo-Koglweogo sont dans cette logique et cette dynamique : refus de s’articuler à la police de proximité de l’état, tendance à exiger une impunité pour ses membres par des défiances récurrentes des forces de l’ordre de la République, y compris en bloquant des routes nationales et non locales, etc.

Pour mieux comprendre les risques d’émergence d’une insécurité mafieuse, on peut se référer à quelques exemples tirés de l’actualité en Amérique latine.

Au Mexique, un groupe d’autodéfense qui s’était créé au début des années 2000 pour combattre le « cartel des Zetas », s’est transformé lui-même en un cartel « La famille du Michoacán ». Une scission de ce cartel a donné en 2011, les « Chevaliers du Temple » qui se trouvent être parmi les plus sanguinaires de l’Etat du Michoacán, dans le centre du pays. En début 2013, des groupes d’autodéfense ont été créés et légalisés quelques mois plus tard (janvier à mai 2014). En coordination avec les forces armées régulières, ils ont mené des opérations de police avec quelques bons résultats. Ces groupes s’étaient engagés à se désarmer et à remettre leurs arsenal « lorsque les autorités auront arrêté l’ensemble des leaders du cartel »[4]. Le problème, c’est que

« Certains de ces groupes d’autodéfense sont … épaulés par des organisations criminelles ennemies des Templiers »[5], (en l’occurrence, le) « groupe criminel de Pinzandaro, « Los Viagras », qui cherche à s’emparer de l’ancien bastion des Chevaliers Templiers. »[6]

Dès début 2015, en moins d’un an, ces milices d’autodéfense se sont retournées contre les forces armées régulières et se sont fractionnées en groupes rivaux qui s’affrontent avec à la clé, des morts (onze morts le 16 décembre 2015[7]).

Voilà comment, d’une intention affichée de lutte contre les narcotrafiquants, les groupes d’autodéfense ont, eux-mêmes, évolué en clans mafieux, réalimentant l’insécurité dans cet état.

Au Brésil, les milices sont formées par des anciens policiers et militaires, initialement constituées pour sécuriser des favelas contre des trafiquants. Mais rapidement, ces groupes « protecteurs » sont devenus « protecteurs-extorqueurs » dans les quartiers qu’ils contrôlent et seules leurs règles y ont droit de cité. Pour maintenir leur « business », ils n’ont pas hésité à défier l’Etat par des massacres de civils innocents : en fin mars 2005, dans la Baixada Fluminense (commune de plus de 3 millions d’habitants de Rio de Janeiro), une de ces milices a exécuté vingt-neuf civils en représailles à la mise en place d’une nouvelle politique sécuritaire par le gouvernement de l’époque[8].

Comparaison n’est pas raison, mais elle peut éclairer la raison. Au regard des incertitudes quant aux financements et équipements des néo-Koglweogo, de leur possible récupération par des particuliers fortunés ou des apprentis mafieux, on ne saurait se contenter d’incantations volontaristes et de vagues mises en garde, comme c’est toujours le cas. Il faut que les autorités reprennent l’initiative, déroule un plan lisible et rassurant.

3 – Jusqu’où, le Burkinabè va-t-il se laisser tirer vers le bas, en termes d’humanité, dans la lutte contre le vol, c’est-à-dire dans l’expression de nos valeurs sécuritaires économiques ? Mais plus largement, en temps de paix même si on est en « guerre » contre le terrorisme, la question est jusqu’où le Burkinabè va-t-il aller dans l’extrême méchanceté pour lutter contre ses nuisibles et les nuisances, le voleur et le vol en étant des cas particuliers respectifs.

Il faut bien se rappeler de tous les cas qui ont révulsé nos êtres et heurté nos consciences ces 30 dernières années. Les victimes avaient été considérées par d’autres personnes d’humanité en bas de gamme, comme étant leurs « nuisibles » : Thomas Sankara a été massacré parce qu’il « nuisait » aux ambitions et la dizaine d’autres, tués avec lui, avaient pour seul « tort » d’être à ses côtés à ce moment précis ; David Ouédraogo et Hamidou Ilboudo (dont la photo du dos brûlé a fait le tour du pays comme archétype d’inhumanité) avaient été accusés de vol de 30 millions ; Norbert Zongo, en révélant des vérités, avait été considéré comme nuisant aux intérêts de ses assassins et de leurs commanditaires ; ses compagnons d’infortune avaient, comme dans le cas de Sankara, le « tort » d’être à ses côtés ; on peut en dire autant des suppliciés du BIA de Koudougou, jetés en pâture par leur « Chef » qui vit toujours et de façon ostentatoire, idem pour le mécanicien qui a fait tomber un ministre et qui suppliait tout le pays en février 2012 :

« Que j’aie raison ou pas, j’aimerais que la torture disparaisse du Burkina Faso. Qu’on me juge et me condamne si je suis en faute ! Avec cette pratique-là, on peut tuer quelqu’un sans savoir s’il a raison ou pas »

Et c’est déjà arrivé, à plusieurs reprises, avec les néo-Koglweogo, parfois pour des bricoles (vol de mangues, vol de coq).

Voulons-nous, a posteriori, rehausser et réhabiliter sur l’échelle de notre humanité toutes ces pratiques et tous ces tortionnaires et assassins ? Le même peuple qui, pour une présumée bavure de policier ou gendarme, fait des déclarations incendiaires, alerte le monde entier, saccage commissariats et gendarmeries ! Le même peuple se retrouve finalement avec des néo-Koglweogo qui torturent sur la place du marché, parfois aux feux, pour extorquer des « aveux », qui torture à mort un voleur de mangues ou un présumé voleur de coq ? Nous décrochons et dégringolons de notre humanité, nous faisons des chutes vers ce qu’il y avait de plus « inhumain » dans ce que nous venons de triompher au prix du sang.

Pour terminer, le constat est que certains remparts civiques de l’Etat de droit et des droits de l’homme semblent s’être quelque peu invertébrés face au phénomène néo-Koglweogo. Il y a un risque que le concept « droits de l’homme » perde de sa légitimité humanitaire et mobilisatrice pour n’en laisser que son usage instrumental, dans ces jeux d’ombre où chaque obscur acteur se croit le « malin et demi » qui va remporter la mise Koglweogo.

Vivement que l’Etat reprenne, une fois pour toute, l’initiative sur ce dossier !

Youssoufou Ouédraogo

[email protected]


[1] Koglweogo post-insurrectionnels ou « Koglweogo nouvelle formule » selon Albert Ouédraogo.

[2] René Bagoro, ministre de justice en fin juin 2016.

[3] Mathias Tankoano, conseiller spécial du Président, en mi-juillet 2016.

[4] Voir https://www.monde-diplomatique.fr/2014/12/BEAULANDE/51137; http://www.actulatino.com/2014/02/11/mexique-les-milices-et-les-forces-de-l-ordre-unies-pour-combattre-un-cartel-de-la-drogue/, consulté le 25 décembre 2016.

[5] Voir http://www.liberation.fr/planete/2013/10/06/mexique-les-milices-populaires-dernier-rempart-contre-les-cartels_937429, consulté le 25 décembre 2016.

[6] Voir http://www.lepoint.fr/monde/mexique-les-milices-d-autodefense-se-retournent-contre-le-gouvernement-13-01-2015-1896017_24.php, consulté le 25 décembre 2016.

[7] Idem

[8] Luciana Araújo de Paula, Les « zones grises » de la démocratie brésilienne : le phénomène des « milices » et les enjeux sécuritaires contemporains à Rio de Janeiro justice spatiale | spatial justice, n° 8 juillet 2015, http://www.jssj.org; Amnesty international, 2007 : Brésil, Des bus incendiés aux « caveirões » : à la recherche de la sécurité pour tous. 38 pages (https://www.amnesty.org/download/Documents/60000/amr190102007fr.pdf, consulté le 25 décembre 2016. Voir aussi, http://www.courrierinternational.com/article/2008/06/19/les-favelas-sous-la-loi-des-milices, consulté le 25 décembre 2016.

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