Le regard de Monica – « Se donner un coup de pelle sur les pieds »

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Le Regard de Monica est une chronique de Burkina24 qui est animée chaque jeudi par Monica Rinaldi, une Italienne vivant au Burkina.monica-rinaldi Cette chronique traite de sujets liés aux femmes, à la consommation locale et aux faits de société.

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La période de production maraîchère bat son plein : les marchés regorgent de légumes de toute sorte dont le prix est (relativement) accessible, les jardins sont fréquentés tant par les revendeurs que par les clients en quête de grandes quantités à moindre coût…

Pourtant, parmi les planches, l’on aperçoit des fruits arrivés à terme, voire l’ayant dépassé, et que personne ne cherche à cueillir. Ceci arrive notamment pour certaines spéculations périssables telles que la tomate et notamment dans certaines provinces telles que le Passoré, réputées pour leur production en quantité.

« Cela ne nous convient pas »

Aux abords du barrage « Kanazoé », réalisé – à l’instar d’autres portant le même nom – par ce grand ressortissant de Yako à 25 km de sa ville, les yeux se perdent dans le spectacle saisissant qui se présente devant eux : une vallée verte entourée de la savane sèche du Nord, traversée par une brise encore fraîche en cette fin de saison « froide ». Les producteurs s’affolent autour de leurs planches : choux, oignons, aubergines et surtout tomates…

Néanmoins, dans certaines parcelles, des fruits arrivés clairement à terme, voire carrément l’ayant dépassé, semblent abandonnés. « Pourquoi ne les cueillez-vous pas ? » demandons-nous, en pensant à la cherté de la tomate dans nos villes – certes, le prix a baissé en cette période, mais jamais autant que le consommateur le souhaiterait.

« Tu vois », répond une femme qui récoltait des choux dans un grand panier en rotin, « le prix de la caisse[1] de tomates était de 15.000 francs il y a quelques semaines : ceux qui ont cultivé pendant tout l’hivernage gagnaient beaucoup. Mais maintenant, la même caisse est vendue à un peu plus que 2.000 francs… Pourquoi travailler toute la journée pour remplir deux caisses, si cela ne te rapporte que 5.000 francs – au cas où quelqu’un vienne l’acheter ? Cela ne nous convient pas ».

« Les Ghanéens ne viennent pas acheter votre tomate ? ». « Ils viennent, mais moins qu’avant », répond un homme, qui s’était approché pour écouter. « Avant, ils venaient déjà en décembre et jusqu’en mars, ils payaient toute notre production » ajoute-t-il « mais maintenant, on ne les voit plus beaucoup et, quand ils sont là, ils paient très peu, c’est eux qui décident le prix et nous devons accepter ».

Et pourtant, on importe

Le scénario est le même dans la plupart des périmètres maraîchers de la zone. À Zougoungou, logé à une dizaine de kilomètres de Yako, quelques caisses sont prêtes, en attente d’un client qui les avait commandées, mais d’autres planches paraissent destinées à être abandonnées.

Pourtant, la pâte de tomates, sous forme de concentré ou de purée, est l’un des ingrédients essentiels des mets consommés quotidiennement par des millions de Burkinabè. Et en effet, des grandes alimentations aux boutiques des villages en passant par les petits yaar de quartier, elle se trouve partout.

Mais – et c’est cela qui fait mal – tous ces produits sont importés : de l’Italie, de la Chine, de la Thaïlande ou, dans le meilleur des cas, du Ghana. Ce dernier cas étant le meilleur puisqu’il y a une possibilité que ce soit de la tomate burkinabè qui en est l’origine.

La production locale, un casse-tête

Au vu de cette situation favorable – grande production, existence d’un potentiel pour l’augmenter davantage, faible coût de la matière première et marché prometteur – quelques promoteurs ont essayé de mettre en place des unités semi-industrielles de transformation de la tomate, mais celles-ci peinent à décoller.

Les raisons sont multiples. Tout d’abord, l’investissement initial qui demande des fonds importants pour l’infrastructure, les autorisations, les équipements… Ensuite, les difficultés d’accès à l’énergie : l’électricité au Burkina a l’un des coûts les plus élevés de la sous-région, et de surcroît la fourniture n’est pas stable, entraînant la nécessité d’installer un puissant groupe électrogène capable d’alimenter les machines et la chambre froide.

Enfin, l’écoulement : des difficultés de transport dues à l’état des routes, à la forte concurrence due aux prix assez bas des produits équivalents (fruit de qualités douteuses et de pratiques de dumping[2] à peine cachées…) et à l’apparente « résistance » d’une partie importante des consommateurs à choisir un produit local de qualité, même si légèrement plus cher. Sans oublier la non-adaptation des produits de crédit disponibles à l’investissement industriel productif, l’environnement économique et institutionnel peu favorable…

Dans un tel scénario, difficile pour un entrepreneur de se lancer dans la création d’une unité semi-industrielle ou industrielle viable dans le court-moyen terme. Ainsi, les quelques unités existantes sont plutôt artisanales, avec une production très limitée et « de niche », et un marché limité à ceux qui les connaissent… et ainsi, il continue d’être plus profitable d’importer que de produire.

Et nos tomates pourrissent dans les jardins, tandis que de la pâte de tomates importée remplit nos assiettes. C’est comme se donner un coup de pelle sur ses propres pieds !

Nul ne se développe sans incitation

Le Burkina Faso étant un Pays agricole, l’industrie de la transformation agro-alimentaire jouit d’un potentiel majeur de développement. Néanmoins, les conditions rapidement listées ci- dessus rendent difficile l’éclosion de ce secteur porteur de richesse.

Dans le PNDES, il est visé un objectif de « taux de transformation des produits agricoles » passant de 12% en 2015 à 25% en 2020, avec les précisions suivantes : « l’action publique portera notamment, sur la relance des industries en difficulté, l’élaboration d’une stratégie d’industrialisation, le développement de PMI agroalimentaires et d’industries de fabrication d’équipements et de production d’intrants pour le secteur primaire, la création et la viabilisation de zones industrielles, ainsi que l’amélioration de l’accès au financement, de moyen et long termes ».

Selon notre petit point de vue, nous pensons que pour pouvoir atteindre la pleine réalisation des activités citées, il est tout d’abord nécessaire de créer un environnement favorable à l’investissement. Ce qui ne peut pas se faire sans qu’une politique d’incitation à la production soit mise en place : réduction du coût énergétique, facilitation d’accès au crédit et lutte sans quartier contre la corruption et les pratiques  «d’ appui au dossier » qui sont malheureusement encore très répandues à tous les niveaux.

2020 n’est plus aussi loin que cela, il est temps de se mettre au travail…

Monica Rinaldi

Chroniqueuse pour Burkina24


[1] Une caisse de tomates vaut environ 90 kg

[2] Pratique commerciale illicite consistante à vendre ses produits à un coût inférieur à celui de la production dans un marché tiers, afin de détruire la concurrence avant de pratiquer par la suite des prix rentables – chers pour les consommateurs, qui néanmoins n’ont plus le choix car justement la concurrence a été détruite.

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Rédaction B24

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