Jugement de Blaise Compaoré : Un « procès moyenâgeux, inique », selon le CDP
Dans cette déclaration, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ancien parti au pouvoir, se prononce sur le procès devant la Haute cour de Justice de l’ancien Président Blaise Compaoré et des membres de son dernier gouvernement. Ils sont poursuivis dans le cadre de l’enquête sur les personnes décédées pendant l’insurrection populaire de 2014.
À en croire le récent communiqué publié par le Parquet général près la Haute Cour de Justice, cette juridiction d’exception prévoit d’ouvrir, le 27 avril 2017, le procès collectif des membres du dernier Gouvernement du Président Blaise Compaoré.
Ces ministres, avec à leur tête le Premier Ministre Beyon Luc Adolphe TIAO, sont poursuivis sous le chef d’accusation de » complicité d’homicides volontaires » et de » coups et blessures volontaires » , pour avoir participé le 29 octobre 2014 à un Conseil des ministres extraordinaire, à l’occasion duquel aurait été prise la réquisition spéciale par laquelle le Chef du Gouvernement enjoignait à l’armée de prêter main forte au maintien de l’ordre, en faisant usage, au besoin, d’armes à feu.
Ces poursuites constituent en elles-mêmes une violation manifeste de l’Etat de droit, au triple plan de leur recevabilité, de la nature des faits reprochés aux personnes inculpées et de l’instrumentalisation de nos institutions à des fins de règlement de comptes politiques.
Concernant la recevabilité des poursuites
La Haute Cour de Justice a été instituée pour juger les crimes et délits commis par le Chef de l’Etat et les membres du Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. On peut avoir des avis divergents sur l’opportunité de l’existence d’une procédure et d’organes spécifiques pour juger les gouvernants. Mais ce dispositif est prévu par notre Constitution, depuis son adoption, en 1991.
Nous n’avons pas d’autre choix que de nous y soumettre jusqu’à ce qu’il soit modifié, le cas échéant. Donc ce que nous questionnons, ce n’est pas le fait que les membres du dernier Gouvernement du Président Blaise Compaoré puissent être poursuivis devant la Haute Cour de Justice, c’est la recevabilité de ces poursuites.
Dans la logique absurde, pernicieuse et faussement implacable des systèmes totalitaires, le Chef de l’Etat qui, dans notre régime constitutionnel, est le véritable chef de l’exécutif, n’est pas poursuivi en cette qualité, mais en vertu de son titre de Ministre de la Défense et des Anciens Combattants. De toute évidence, le régime du MPP s’est aperçu qu’il lui serait difficile de faire prospérer une procédure engagée contre l’ancien Président du Faso, sur le seul motif de l’adoption d’une réquisition ordonnant à l’armée de participer au maintien de l’ordre, face à des troubles sociaux avérés, en utilisant au besoin des armes létales.
Il a renoncé à cette option, parce que notre Loi fondamentale prévoit que le Chef de l’Etat ne peut être traduit devant la Haute Cour de Justice que pour les crimes de haute trahison et de violation de la Constitution. Or le fait, pour le Gouvernement, d’ordonner à des forces régulières d’user des moyens de contrainte dont elles disposent pour maintenir l’ordre, en cas de troubles graves, ne peut être regardé ni comme un crime de haute trahison, ni comme une violation de la Constitution.
Alors, parce que cela était plus commode, on a préféré s’en prendre au Premier Ministre et aux membres du Gouvernement, car en ce qui les concerne, la Constitution ne cite pas les infractions qui peuvent conduire à leur traduction devant la Haute Cour de Justice.
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En dehors des faits qui peuvent être qualifiés comme relevant de la haute trahison, ou de la violation de la Constitution, le Chef de l’Etat bénéficie d’une immunité pour les actes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions. Il n’en est pas de même pour le Premier Ministre et les membres du Gouvernement, qui peuvent être poursuivis devant la Haute Cour pour tous les délits reconnus pas notre droit pénal, pour lesquels des charges sérieuses sont retenues à leur encontre.
Première absurdité : le Président du Faso, qui a présidé la réunion du Conseil des ministres du 29 octobre 2014, au cours de laquelle le principe de la fameuse réquisition est supposé avoir été adopté, n’est pas poursuivi à ce titre. Parce que cela serait un peu compliqué et hasardeux. On choisit donc de le poursuivre en sa qualité de Ministre de la Défense et des Anciens Combattants.
Ce qui voudrait dire que l’on n’a rien à lui reprocher comme Président du Faso, Président du Conseil des ministres (suivant l’appellation protocolaire consacrée). En revanche, c’est le Ministre de la Défense qui est présumé avoir commis un délit. Les questions juridiques peuvent paraître parfois compliquées. Mais le plus souvent elles obéissent simplement à une logique de bon sens. Dans le cas d’espèce où est la logique, où réside le bon sens élémentaire ? Ce qui transparaît dans cette démarche abracabrantesque, c’est la volonté de tordre le cou à notre législation pour atteindre un homme, en usant d’artifices pseudo-juridiques.
Deuxième absurdité : Pour qui connaît le fonctionnement de nos institutions, le Conseil des ministres n’est pas un une instance délibérative dans laquelle les décisions sont prises de façon collégiale, après un vote, ou par la recherche d’un consensus quelconque.
C’est, comme on le dit pour les entreprises, une instance d’aide à la décision pour le chef de l’exécutif, qui est le Président du Faso : un organe de consultation, de concertation, de coordination du travail gouvernemental. Le fait qu’il y ait dans notre ordonnancement juridique des textes qui doivent être pris en Conseil des ministres pour être valides n’y change rien. Un ministre n’est pas obligé d’avoir – encore moins d’émettre – un avis sur tous les sujets qui sont débattus en Conseil des ministres. Même si la cohésion de l’action gouvernementale commande que les ministres soient solidaires des décisions prises en conseil.
L’un des principes de notre droit est que la responsabilité pénale est personnelle. Ce qui veut dire qu’on est justiciable des infractions que l’on commet personnellement. Pas des faits qui seraient imputables collectivement à un organe collégial. Du moins, tant que n’est pas établie la responsabilité personnelle de chacun des membres du groupe dans l’acte qui est imputé à la collectivité.
Concernant la nature des faits reproches aux membres du gouvernement
Un autre principe de notre droit pénal est qu’on ne peut être poursuivi en justice que lorsqu’on a commis une infraction clairement définie et punie par les lois en vigueur. Le fait pour un ministre (y compris le premier d’entre eux) d’avoir pris part à une réunion du gouvernement, à l’issue de laquelle une réquisition des forces armées aurait été décidée, conduisant à des pertes en vies humaines et à des blessures, constitue-t-il en lui-même une infraction à la loi pénale?
C’est la responsabilité normale d’un gouvernement de veiller au maintien de l’ordre, en toutes circonstances. Lorsque celles-ci laissent présager des risques graves d’atteinte à l’intégrité des personnes et des biens, la sagesse commande de prévenir ces troubles en mettant en alerte les forces de défense et de sécurité, avec des consignes appropriées quant à l’usage qu’elles pourraient être amenées à faire de leurs armes.
En règle générale, cela consiste à les autoriser à recourir à ces armes en proportion du danger qu’elles doivent affronter. Il ne s’agit nullement d’utiliser l’armée pour perpétrer un massacre des populations.
Au demeurant, celle-ci s’y refuserait, à bon droit. Aussi cruelles que fussent les pertes en vies humaines que notre Nation a déplorées dans ces circonstances tragiques, personne ne peut suspecter le Gouvernement de l’époque d’avoir voulu résoudre cette crise par le massacre de citoyens burkinabè. C’est bien le souci d’éviter un bain de sang qui a conduit le Président Compaoré à rendre sa démission.
Une autre conséquence peut être tirée des troubles d’octobre 2014. Notre législation prévoit clairement que lorsqu’une manifestation publique dégénère au point d’entraîner des homicides, des blessures, des dégâts matériels, la responsabilité de ces faits incombe aux organisateurs de cette agitation sociale, qui doivent en répondre devant la justice.
Il est de notoriété publique que les tenanciers actuels du pouvoir ont planifié, organisé et dirigé les agressions et les actes de vandalisme qui ont été commis durant l’insurrection, se promenant avec des listes des édifices et des domiciles qu’ils désignaient à la vindicte d’équipes de casseurs dûment préparés. Certains de ces commanditaires se sont vantés publiquement de ces « hauts faits » devant la presse.
Le pouvoir a-t-il engagé ne serait-ce que le commencement d’une enquête judiciaire sur ces actes de violence ciblés? La mort du vénérable doyen Salif Ouédraogo durant l’incendie du siège du CDP le 30 octobre 2014 ne mérite-t-elle pas, elle aussi, de donner lieu à des investigations et à des poursuites?
En outre, pourquoi le régime du MPP montre-t-il si peu d’empressement à rechercher et à entendre le Lieutenant-colonel Zida, que certains présentent comme l’un des chefs militaires auxquels incombaient directement le maintien de l’ordre pendant cette période de troubles?
La vie humaine est sacrée et les décès occasionnés par les événements d’octobre 2014 sont une tragédie qui laissera des blessures profondes dans la mémoire collective de notre Nation. Des familles ont été endeuillées aussi bien parmi les manifestants de l’insurrection que dans le camp adverse, ou même du fait du décès de compatriotes qui n’avaient rien à voir avec ces événements.
Le respect que nous devons à la mémoire des défunts et au deuil de leurs familles exige que la lumière soit faite sur les circonstances de chacun de ces drames et que des poursuites soient engagées contre leurs auteurs, dans la stricte observation du droit. Ce respect interdit l’instrumentalisation du malheur de nos concitoyens à des fins bassement politiciennes.
Il n’est pas juste de laisser croire que chacun des ministres qui était présent à ce Conseil du 29 octobre 2014 porte, du fait de sa seule présence, la responsabilité personnelle des tragédies qui ont résulté des opérations du maintien de l’ordre, même s’il ne peut lui être reproché aucun délit spécifique lié à ces faits. Cela n’est pas conforme à la loi.
Concernant l’utilisation de la Haute cour de justice à des fins de règlement de comptes politiques
Cette déclaration n’est pas un plaidoyer pour l’impunité. Les ministres du dernier Gouvernement du Président Blaise Compaoré sont des citoyens comme les autres. S’ils ont commis des infractions, ils doivent en répondre devant la Justice.
À condition que cette Justice ne soit pas utilisée pour leur imputer des fautes imaginaires, devant un tribunal composé en majorité de leurs adversaires d’hier et d’aujourd’hui, dont certains n’ont jamais fait mystère de leur volonté de revanche. Par définition, un tribunal doit offrir des garanties d’impartialité. Or la seule certitude que montre la Haute Cour de Justice, c’est sa partialité, illustrée dès le départ par l’inanité des chefs d’accusation de cette mascarade judiciaire qui s’ouvrira le 27 avril 2017.
Que d’anciens ministres soient poursuivis pour des faits délictueux-appuyés sur des présomptions graves-commis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions gouvernementales, notamment en matière financière, il n’y a rien de plus normal. Ce principe d’égalité devant la loi, qui postule le refus de l’impunité, vaut également pour les dirigeants de la Transition et leurs successeurs.
Ce qui est anormal et scandaleux, c’est que faute de n’avoir pas trouvé grand’chose au terme de l’inquisition qui a été conduite sur la gestion de ces ministres, on se rabatte sur une fausse accusation de complicité d’homicides et de coups et blessures volontaires.
Faut-il en conclure que le régime du MPP ne fera jamais recours à une réquisition de l’armée pour assurer le maintien de l’ordre? S’il en est ainsi, pourquoi ne pas voter une loi pour interdire formellement et définitivement une telle possibilité. Ce qui donnerait enfin un motif légitime pour poursuivre les gouvernements qui contreviendraient désormais à cette prohibition. Cette hypothèse est absurde, mais c’est à de telles incongruités que conduit le raisonnement de la Haute Cour de Justice.
Nous ne nous faisons pas d’illusions. Les dés sont jetés. Ce procès moyenâgeux, inique, aura lieu, ici dans notre pays, à un moment où nos nouveaux gouvernants n’ont de cesse de ressasser les slogans, devenus creux, de renouveau de la Justice, de restauration de l’Etat de droit, de respect des libertés individuelles et des droits humains, tout en s’activant chaque jour à brimer les citoyens qui ne sont pas de leur bord politique.
C’est dans ce climat de schizophrénie que naissent les régimes totalitaires. Et les sentences qui résulteront de cette parodie de justice ne seront susceptibles d’aucun recours, hormis la grâce qu’il plaira au Président de notre république gondwanaise d’accorder aux condamnés.
Face au déni de droit qui les accable, le CDP exprime sa solidarité pleine et entière envers les anciens ministres pourchassés par la vindicte du régime au pouvoir.
Sommes-nous résignés à subir cette dérive? Aucunement. Nous dénoncerons et combattrons chacune de ses manifestations, sans relâche. Oui pour l’Etat de droit. Oui pour la lutte contre l’impunité. Non à une Justice sélective. Non à la poursuite effrénée de la chasse aux sorcières.
Pour le Secrétariat à la Communication du CDP
Hamadou Amadou MAIGA
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