Emile Lalsaga : « Les écrivains burkinabè vivent dans l’anonymat total »

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Il se nomme Emile Lalsaga. Ceux qui se promènent dans les pages bleues de Facebook le connaissent sous un autre nom : «Sa Romance Le Poète Emile Lalsaga». Fervent amoureux des vers et de la littérature, il a tracé «Les Sillons de l’Existence » depuis 2014 qui, depuis lors, ont prouvé leur crédibilité car deux poèmes de ce recueil ont testé la connaissance de candidats aux diplômes scolaires. Dans cette interview, « Le Poète » en dit davantage, mais aussi sur son recueil, ses ambitions et les difficultés que traverse le monde de la littérature au Burkina. 

Burkina24 (B24) : Pourquoi avez-vous décidé  de faire de la poésie ?

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Emile Lalsaga (E.L) : Avant tout propos, merci à Burkina 24 qui m’offre l’opportunité de pouvoir échanger avec le public sur des questions poétiques.

Pour revenir à votre question, il est bon de signaler qu’il y a toujours des faits ou des opportunités qui concourent à l’avènement de certaines situations. Pour ma part, dire que j’ai décidé de faire de la poésie serait « prétentieux ». Je dirai plutôt que la poésie est venue à moi au hasard de mes lectures.

 Le déclic est né alors que j’étais élève en classe de 1re A au Lycée Provincial de Dori. Ma rencontre avec les belles lettres fut un coup de foudre et telle une personne qui avait rencontré son âme sœur, l’élève que j’étais venait de tomber sous le charme du beau dire. En résumé, la poésie est venue à moi et j’étais aussi prédisposé à cette rencontre. 

B24 : D’où vous vient l’inspiration pour écrire vos poèmes ? Est-ce par expériences personnelles ?

E.L : Ecrire, c’est partager sa vision du monde. Dès lors, la puissance de l’observation devient un élément catalyseur pour nourrir l’inspiration. Un écrivain doit savoir observer et contempler, c’est une force intérieure qui pousse à la réflexion et à la production. Je tire mon inspiration de certains grands poètes mais surtout  de mon entourage et de mon vécu. Quand j’observe le monde autour de moi, j’ai toujours quelque chose à partager. De ce fait les vers naissent sans difficulté.

Chaque jour, « j’ouvre les portes de la curiosité pour découvrir le monde et son immensité. Je parcours la terre, pèlerin en quête d’espoir pour bâtir une existence sur fond de courage. Je dévore les livres qui transmettent le savoir pour bouter l’ignorance hors de mon entourage. Je plonge ma plume dans les abysses de la douleur quand d’autres tracent leurs sillons sur nos malheurs. Mais, je forge mon existence sur l’autel de l’Amour pour demeurer poète maintenant et pour toujours. »

B24 : Le titre « je m’appelle professeur » vous a été inspiré de quelle manière ?

E.L : Il faut dire que le brouillon de ce poème date de l’année scolaire 2007-2008 alors que j’étais vacataire à Boulsa en tant que professeur de français. Dans cet établissement public j’avais en charge des classes avec des effectifs pléthoriques. Par exemple une classe de sixième de plus de 120 élèves, une classe de seconde de 90 élèves.

C’était mon premier contact avec une classe surpeuplée. Puis, sur le chemin de ma certification après ma formation à l’Ecole Normale Supérieure de l’Université de Koudougou, j’ai fait mon CAPES dans un lycée de Ouagadougou. Dans cet établissement, j’étais face à plus de 135 élèves en 6e et une centaine d’élèves en 2de C. Face à ces expériences, le brouillon a été travaillé au fil des ans pour avoir la version finale. Dans ce poème, je décris d’une part les tâches qui incombent au professeur et d’autre part, je mets en exergue la pénibilité de la profession enseignante.

B24 : « Chant d’amour » et « Lettre à ma dulcinée » s’adressent-ils à une personne en particulier ?

E.L : Ces deux titres qui exaltent l’amour font sans doute plaisir à toutes les dulcinées. Dans ce cas précis, le poète que je suis dédie ces titres à sa poétesse, sa moitié qui partage ses joies et ses peines.

B24 : Avez-vous assisté votre femme tout au long de sa grossesse ? On remarque que dans « à la future maman », vous semblez être très présent dans l’évolution de la grossesse.

E.L : La première grossesse est toujours un moment intense dans la vie d’un couple. Les femmes ont tendance à croire qu’elles sont les plus heureuses à la vue du ventre qui s’arrondit où prend forme le fruit de l’amour transmis à l’infini. Je dis oui mais j’ajoute que l’homme qui découvre la métamorphose de sa femme grâce à sa semence qui offre un pas de plus vers la vie reste dans une joie incommensurable.

 

Assister sa femme au cours de cette période de joie qui côtoie les multiples interrogations se révèle être un acte d’amour et de cohésion conjugale. Et pour dire vrai, ma présence dans l’évolution de sa grossesse m’a permis de savoir comment les femmes enceintes ont besoin de soutien de tout ordre, d’attention et d’affection.

Dans mon jargon poétique, j’appelle « poésie de la maternité », la façon exemplaire et complémentaire employée par un couple et qui laisse voir une réelle complicité pour rendre la vie belle. Dans toute vie, surtout celle conjugale, il est des petits gestes qui réchauffent le cœur  et qui permettent sans doute d’aimer et d’être aimé.

B24 : « Je t’aime maman » est-il un hommage à votre maman ?

E/L : Eh oui ! « Je t’aime maman » est un vibrant hommage à ma mère. Et comme vous le savez, une mère est plus précieuse que toutes les perles du monde. Sur les sillons de mon existence, maman a su me façonner dans la simplicité et dans la modestie. En 2002, lorsque papa s’est éclipsé, (RIP) alors que j’étais élève, elle a fait preuve de courage puis s’est relevée pour continuer à éduquer ses enfants.

En tant qu’ainé d’une fratrie de cinq enfants, j’avoue que maman a été très décisive dans la poursuite de mes études. Elle a su en outre m’inculquer le sens de la responsabilité et du dévouement. Quoiqu’illettrée, je lui ai fait part de ce titre en lui traduisant ce poème en mooré et dans le silence de nos deux cœurs, elle sait combien son fils l’aime. Pour moi, c’est l’essentiel. Mais, au-delà de sa modeste personne, je rends hommage à toutes les mamans du monde.

B24 : De par certains titres tels que « l’enfant qui naîtra » au « bonheur d’être parents », on aperçoit la tendresse dans vos propos pour décrire la joie d’être papa. Comment sont vos relations avec vos enfants ?

E.L : C’est ce que j’appelle la « poésie de l’amour » où tout est doux et tendre. J’ai  voulu faire un petit clin d’œil sur la paternité. Vous savez, dans l’histoire de l’enfant, on a tendance à oublier le jeune papa et on ne parle que de la maternité (rires, chères femmes ne m’en voulez surtout pas).

Pourtant, il est difficile de trouver les mots justes pour décrire la joie d’un papa, d’un père. Si le titre « à la future maman » est dédié à madame ma poétesse, les titres « L’enfant qui naitra » et « Le bonheur d’être parents » sont dédiés à mon fils Wendbenedo que j’appelle affectueusement « poéton » (petit poète).

Malgré les occupations professionnelles et les heures de lecture et d’écriture, je trouve toujours du temps pour lui. Avec lui, les tristesses et les soupirs s’évanouissent. C’est donc dire que tout est au mieux.

B24 : Que voulez-vous faire comprendre dans « immigration suicidaire » ? À qui s’adresse t-il ?

E.L : Dans « Immigration suicidaire »,  je  m’interroge sur les embarcations de fortune qui coulent en méditerranée. Quand je vois cette misère africaine due aux politiques inhumaines pratiquées dans nos pays et qui ne permettent pas à certains d’entre nous de tenir, c’est triste. Voyez vous, ceux qui immigrent vont à la recherche du bien-être mais à quel prix ? Naufrage en méditerranée, esclavage dans les pays d’accueil. Quelle humanité !

Tout ou presque est sujet à poésie pour Sa Romance !

 

Burkina24

Pourquoi partir et disparaitre avec son âme ? Pourquoi fuir la misère, traverser un enfer et sombrer dans la mer ? Pour moi, si le désir de partir à la recherche du bien-être est aussi violent qu’un ouragan, je rappelle aux « désespérés » qu’ailleurs n’est pas si meilleur.

B24 : Un de vos titres se réfère à la Politique. Que pensez-vous de la politique du Burkina Faso ?

E.L : Oui il s’agit du poème intitulé « Les déchets des indépendances » qui aborde la question de la politique africaine et par ricochet celle burkinabè. Maintenant ce que je pense de la politique du Burkina Faso reste une grande question. C’est un domaine assez vaste et complexe. Néanmoins, je crois fermement qu’on peut faire mieux.

On n’est pas gouvernant ou décideur pour piller les ressources. En ce qui concerne le Burkina Faso, les politiques devraient être plus audacieuses et innovantes. Il faut à tout prix sortir du cercle de la politique politicienne et des manigances diplomatiques savamment orchestrées pour s’investir dans une « politique salvatrice » tournée vers le développement endogène. La politique ne doit pas être dévalorisante mais un tremplin pour bâtir une nation prospère.

Dans ce poème, j’ai abordé plusieurs thèmes tels la nature, la culture, le néo-colonialisme, l’éducation, la santé, la politique politicienne, etc.

B24 : En parlant de « Génération Facebook », que pensez-vous de ce réseau social qui occupe la majeure partie du temps d’études des jeunes ?

E.L : Aujourd’hui, l’avènement des nouveaux médias tels Facebook a révolutionné nos modes de communication. Mais, comme dit dans mon poème, « Facebook est entré dans nos habitudes et l’on se perd souvent dans son utilisation. » C’est donc un couteau à double tranchant. Si les élèves peuvent s’en servir, c’est-à-dire s’abonner aux pages éducatives, ou celles de certains enseignants qui sont riches par leurs contenus ou des pages des médias pour suivre l’actualité ; je trouve qu’il n’y a pas beaucoup à redire.

 Mais quand ils passent leur temps sur les réseaux sociaux pour faire du « n’importe quoi » et piocher sur son temps d’études, cela se révèle dangereux. Et c’est le lieu pour moi d’interpeller encore cette jeunesse scolaire à plus de dévouement dans les études. « Génération facebook, fascination oui, addiction NON. Alors faisons en un bon usage pour rester SAGES. »

B24 : Dans « Enfants soldats », êtes-vous dans l’optique de lutter contre le travail des enfants ?

E.L : Le titre « Enfants soldats » est de la rubrique de la poésie de la douleur. Vous convenez avec moi qu’un enfant est un ange. Il a droit à l’épanouissement dans un environnement sain pour pouvoir être le bon adulte de demain.

Malheureusement, face à la bêtise des hommes, ces innocents ignorant la guerre se retrouvent souvent enrôlés dans les camps militaires. C’est de la pire bestialité ! A travers ce tableau sombre, je crie ma colère au monde. Je dis non à toute forme d’exploitation des enfants et à toute forme de violence qu’ils subissent.  

B24 : Deux de vos titres ont été utilisés pour des examens scolaires au Burkina Faso. Parlez-nous-en.

E.L : Oui. Il s’agit de mon poème « Je m’appelle professeur » retenu comme sujet de commentaire composé au baccalauréat 2015, session de remplacement, 1er tour ; séries A4-A5 et du titre « Perdition » en commentaire composé à la session normale du baccalauréat 2017, épreuve du second tour, séries A4-A5.

Si dans le premier poème, je décris les tâches du professeur sans occulter la pénibilité du métier d’enseignant, dans le second poème, j’attire l’attention de tous sur la perte de nos valeurs qui entraine la déshumanisation du monde.

Par ailleurs, c’est un honneur de savoir que ma poésie est consommable. Je remercie les collègues qui participent à la vulgarisation de mes écrits. J’exprime ma gratitude aux autorités éducatives qui ont choisi mes textes proposés parmi tant d’autres. C’est une récompense qui encourage.

Au-delà de la fierté que je ressens, je vois plutôt une invite à aller plus loin. La vie n’est pas un fleuve tranquille et ceux qui me connaissent voient le combat que je mène. Ma devise étant rêver et persévérer pour donner sens et goût à son existence,  j’ai la ferme conviction que le meilleur reste à venir. Et l’épilogue de mon poème « Chant de victoire » de retentir toujours dans mon esprit : « Le temps passe, le fils de l’homme continue son chemin. En attendant l’heure de sa gloire, chaque jour est une victoire. »

B24 : Quelles sont  vos perspectives ?

E.L : Pour un poète qui rêve sans que le rêve ne soit son maître, les perspectives ne manquent pas. Voilà trois ans que je me suis révélé au public à travers mon recueil de poèmes Les Sillons de l’existence. En trois ans, deux de mes poèmes sont passés au baccalauréat mais j’avoue que le jeune écrivain que je suis vit dans l’anonymat.

 Que fait mon Etat à travers mon ministère de tutelle (Ministère de l’Education  Nationale et de l’Alphabétisation) ou celui de la Culture des Arts et du Tourisme pour m’accompagner ? Il me semble que les écrivains burkinabè vivent dans l’anonymat total.

Ce n’est pas un problème personnel et isolé mais un problème qui concerne le monde littéraire burkinabè. Une politique d’édition est nécessaire pour révolutionner ce monde. Il faut revoir toute la chaine : Production-Edition-Promotion-Distribution/Vulgarisation. Très souvent, des écrivains font des sacrifices pour  produire leurs œuvres mais malheureusement les gens oublient que le prix de la promotion/diffusion des œuvres est aussi coûteux et sans soutien, le livre meurt.

Ecrire sans être lu n’a pas de sens à mon avis. Pourtant, une nation qui lit est une nation qui gagne. Alors, une réorganisation s’impose pour porter haut le couple écriture /lecture.

Pour mes perspectives, je souhaiterai à court terme rééditer mon recueil Les Sillons de l’existence et mon livret sur la dictée (Réussir l’épreuve de la dictée au BEPC) pour la rentrée scolaire prochaine.

J’espère par le truchement de cette interview pouvoir toucher le cœur d’un mécène ou avoir l’accompagnement d’une institution.  Au cas échéant, je me débrouillerai toujours pour partager mon plaisir de poétiser. J’ai aussi deux recueils de poèmes qui sont déjà prêts et je compte éditer un pour la prochaine Foire Internationale du Livre de Ouagadougou (FILO) en novembre prochain.

A moyen terme, je voudrais m’essayer à d’autres genres tels le roman ou la nouvelle. Pourquoi pas un roman en 2018 ? Time will tell ! Ainsi dit, que Dieu préserve les muses afin que le poète s’inspire à jamais.  « Wend bulug lal saaga ta ko bunum tont saabo ! ».

Propos recueillis par Abdou ZOURE et Yasmina SANON (Stagiaire)

Burkina24

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