Tribune – « Pourquoi François Compaoré pourrait bel et bien être extradé »
Ceci est un droit de réponse de Me Yves Kinda à son confrère Me Paul Kéré qui avait estimé que François Compaoré ne pourrait pas être extradé vers le Burkina Faso dans le cadre du dossier Norbert Zongo.
Par une prolifique tribune en date du 17 décembre 2017 et publiée sur différents e-media (notamment Burkina 24, lefaso.net et l’Actualité du Burkina), mon confrère, Me Paul Kéré (qui n’est plus à présenter !) met en avant des raisons qui, selon lui, mettront en échec la demande d’extradition du justiciable Paul François Compaoré (PFC), sous contrôle judiciaire en France, lancée contre lui par l’État burkinabè.
Je lui emboîte le pas, mais pour lui apporter une réplique car j’ai plutôt une inclination à relativiser la certitude avec laquelle il n’y aurait aucune possibilité juridique que PFC soit extradé vers le Burkina Faso. Avant d’aller plus avant dans mon raisonnement, je précise que Me Paul Kéré, en plus d’être un confrère, est un ami et que la présente réponse s’inscrit uniquement dans le cadre d’une relation de respect et de confraternité mutuels que ne sauraient contester en rien nos contradictions intellectuelles.
L’argument majeur qui a été présenté par mon cher confrère, et qualifié par lui-même d’ « infranchissable » et d’ « obstacle dirimant », serait l’existence dans l’arsenal juridique burkinabè de la peine de mort. Toutefois, un regard croisé sur la jurisprudence comparée en France laisse penser que cet obstacle n’est pas si infranchissable que cela.
Certes, il existe des cas de jurisprudence où le traitement qui attend le condamné a conduit les chambres d’instruction à conclure à la contrariété à l’ordre public français : à titre d’exemples, ce cas de risques sérieux de torture (15-02-1999, à propos de la demande d’extradition d’un ressortissant Turc) et celui d’un diabétique qui avait besoin de soins réguliers, rendant impossible toute détention en prison (13-10-2000, à propos de la demande d’extradition d’un ressortissant russe). Mais en pratique, c’est au vu des assurances qui sont données par l’État étranger que les juges français décident assez souvent si l’extradition peut avoir lieu ou pas. Illustration parfaite de cette coutume juridictionnelle : les relations franco-américaines, chaque fois qu’il est question pour les juridictions françaises d’autoriser l’extradition d’un national américain vers les États-Unis, pays dans lequel certains États pratiquent la peine capitale. Il est de coutume pour les juges français de demander, entre autres conditions, que les procureurs généraux américains donnent « l’assurance que la peine capitale ne sera pas infligée ou si elle est prononcée, qu’elle ne sera pas exécutée » (cf. article 7 du traité d’extradition entre la France et les USA, 23 avril 1996).
En matière de risque d’exécution, il me semble que le Burkina Faso est d’ailleurs à des années lumière de la pratique constatée aux États-Unis (35 exécutions en 2014, 28 en 2015, 20 en 2016, selon Amnesty international. On attend la macabre comptabilité de 2017 mais on sait déjà qu’il y en eu au Texas, en Alabama, en Floride, dans l’Arkansas, en Géorgie ou encore dans le Missouri. Au Burkina, la dernière exécution date de 1988). Pourtant, il y a des extraditions de la France vers les Etats-Unis.
Dans ce sens, l’argument de Me Kéré devrait être relativisé, surtout que le Burkina Faso a régulièrement voté et appliqué plusieurs moratoires des Nations Unies sur les exécutions en vue de l’abolition de la peine de mort (62/149 du 18 décembre 2007, 63/168 du 18 décembre 2008, 65/206 du 21 décembre 2010, 67/176 du 20 décembre 2012, 69/186 du 18 décembre 2014, résolutions 71/187 du 19 décembre 2016). Ironie de l’histoire : l’initiative de ces résolutions a quelques fois été prise par la France et les États-Unis ne les ont jamais votées. Ce qui ne semble pourtant pas être un « obstacle infranchissable » à l’application de la convention d’extradition précitée, signée entre la France et les Etats-Unis le 23 avril 1996 et toujours en vigueur !
D’ailleurs, et c’est un secret de polichinelle, depuis que la commission constitutionnelle a remis son avant-projet de constitution au Président du Faso, l’existence de la peine de mort au Burkina Faso est de nos jours de pure forme et la nouvelle constitution bientôt soumise à référendum envisage sa suppression pure et simple. Maitre Kéré le sait bien, lui qui a représenté le Conseil supérieur des Burkinabè de l’extérieur (CSBE) aux travaux de ladite commission.
En somme, l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître que l’évocation de l’existence de la peine de mort dans l’arsenal juridique burkinabè n’est qu’un épouvantail agité à des fins de manipulation du vulgum pecus non initié, tant il est facile aujourd’hui d’amener le Burkinabè moyen à se satisfaire de la moindre polémique jetée sur la place publique, serait-elle vide de tout contenu. J’ai la faiblesse de croire que mon confrère Kéré se laisse abuser.
Venons-en aux autres arguments de la prescription des faits reprochés à PFC et à l’existence d’une décision précédente de non-lieu, même si, rappelle fort justement mon ami Paul Kéré, la procédure a été rouverte à la suite de témoignages nouveaux apportés dans le dossier. D’ailleurs, il faut l’affirmer, honnêteté oblige, on entend par ci par là qu’il ne s’agit que de règlements de comptes politiques entre le régime au pouvoir et le régime déchu et que PFC ne serait que le souffre douleur du régime MPP, à défaut de pouvoir atteindre l’ancien Président « himself ». L’annonce officielle de la réouverture du dossier a été faite par Joséphine Ouédraogo, alors Ministre de la justice, le 23 décembre 2014, donc sous la transition politique dirigée par le Président Michel Kafando (http://www.jeuneafrique.com/36872/politique/burkina-faso-le-gouvernement-annonce-la-r-ouverture-du-dossier-norbert-zongo/). Il n’était pas encore question de « pouvoir MPP ».
Cette petite précision faite, et pour que le lecteur comprenne bien de quoi l’on parle, le délai de prescription désigne dans le langage juridique, le délai à l’expiration duquel on ne peut plus attraire l’auteur d’une contravention, d’un délit ou d’un crime en justice. Par exemple, passé un délai de dix ans à compter de la date de commission d’un crime, l’auteur ne peut être poursuivi. Mais pour examiner cet argument, il faudrait alors que les juges français déterminent ledit délai avant d’en tirer une quelconque conséquence.
Et c’est là où l’argumentaire est fragilisé. Au risque de rebuter le lecteur non avisé de la procédure et de la terminologie juridictionnelle, l’instance extraditionnelle, en d’autres termes, celle qui se cantonne en France à analyser la légalité de la demande d’extradition exprimée par le Burkina Faso, n’est pas une instance pénale. Le rôle d’un juge extraditionnel n’est ni d’examiner la réalité des faits, ni le sérieux de leur imputabilité à la personne réclamée, ni a fortiori la culpabilité de cette dernière. C’est le rôle du juge national, même si certaines conventions d’extradition le prévoient par dérogation.
En tout état de cause, la jurisprudence française, et même celle européenne, sont loin d’être définitivement figées. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour européenne des droits de l’Homme a pu juger que le procès extraditionnel n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits des l’Homme : en d’autres termes, le juge de l’extradition n’a pas à juger du « du bien fondé [d’une] accusation en matière pénale ». L’État requis (dans notre cas, il s’agit de la France) n’a pas à avoir le moindre grief pénal à l’encontre de la personne réclamée avant d’autoriser son extradition. Ce n’est nullement un obstacle « dirimant ».
S’agissant de la prescription supposée des actes reprochés à l’accusé, mon confrère Kéré rappelle ici aussi fort justement les différents délais applicables au Burkina Faso et en tire justification qu’il y aurait prescription dans l’affaire Norbert Zongo, ce qui empêcherait donc son extradition au regard du droit français. D’ores et déjà, je m’étonne d’une partie du raisonnement laissant entendre qu’un témoignage aurait permis de rouvrir le dossier malgré un non-lieu précédent et que, repris de justice, le témoin n’en serait que moins crédible.
Restons sur le terrain juridique : la loi burkinabè permet-elle la réouverture d’un dossier dans de telles circonstances ou pas ? Si c’est le cas, alors, que ce soit arguments contre arguments devant le juge compétent et s’il s’avère que le témoin est animé d’intentions de calomnie, qu’il soit pénalement condamné et qu’enfin le justiciable PFC soit définitivement blanchi. Si, de même, les avocats de ce dernier l’estiment victime d’un acharnement, des procédures existent aussi bien au niveau national que communautaire pour y mettre un terme, et l’État burkinabè pourrait être lourdement condamné dans ce cadre. Évacuons donc rapidement ce point mais revenons à la question du non-lieu déjà prononcé dans le dossier Norbert Zongo et raisonnons de façon casuistique.
J’ai à l’esprit un exemple de jurisprudence où l’Italie réclamait à la France l’extradition d’une personne condamnée par un jugement espagnol devenu définitif : la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Aix rendit un avis défavorable au motif que les faits avaient déjà donné lieu à condamnation (24-11-1999) ; mais la Chambre criminelle de la Cour de cassation censura cette décision. D’autres exemples de décisions de Chambres d’accusation accordant l’extradition en dépit de la prescription acquise au regard du droit français existent à foison. Tout ceci pour dire qu’en la matière, la position de la jurisprudence française est loin d’être définitivement acquise.
Enfin, pour finir sur le droit pour PFC d’obtenir l’asile politique en France, je ne serais pas aussi catégorique que mon confrère. Une personne qui sollicite l’asile en France peut obtenir l’une ou l’autre des deux formes de protection suivantes : le statut de réfugié et la protection subsidiaire. Pour la première possibilité, on imagine aisément que ce ne sera pas l’option qui serait prise par PFC.
Concernant la formule alternative de la protection subsidiaire, elle est octroyée à la personne qui établit « qu’elle est exposée dans son pays à la peine de mort, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou, s’agissant d’un civil, à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international » (article L.712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Or, l’ancien « petit président » est devenu citoyen ivoirien et la Côte d’Ivoire n’a engagé aucune poursuite contre lui. Il n’y encourt donc aucun risque de peine de mort, de torture ou tous autres traitements inhumains pouvant appuyer une demande d’asile politique. Et c’est là qu’une naturalisation censée initialement mettre à l’abri peut en réalité devenir un obstacle plus qu’un parapluie.
Quelle conclusion tirer de tout ceci ? L’éventualité de l’extradition de PFC déchaîne les passions et évidemment il est certain que plusieurs chancelleries, pas seulement burkinabè, mais aussi françaises, ivoiriennes (pays d’ « adoption » de l’accusé) ou autres encore se parlent et/ou s’opposent en ce moment même en fonction des affinités réciproques dans le dossier. Je laisse le lecteur imaginer le nombre de coups de fils traités chaque semaine par Paris dans cette affaire, surtout venant d’éventuels États « amis », soutiens personnels intéressés et autres groupes de pression ! Tout ceci pour dire que le résultat de l’affaire de la demande d’extradition du frère cadet de Blaise Compaoré sera à l’image des relations de coopération que veulent bâtir les autorités françaises avec leurs homologues burkinabè : franches, directes, ou bien alors teintées d’hypocrisie et de faux semblants comme on a pu le voir par le passé.
Comme le dit le Professeur Dany Cohen, agrégé de droit international, « comment, au demeurant, faire abstraction de la dimension politique, comme de la dimension de relations internationales, que comporte l’extradition ? La pratique observée en France laissait, et laisse encore, bien des fois, l’impression que les questions de droit, et plus précisément les obstacles juridiques auxquels peut se heurter une demande d’extradition, sont d’un poids médiocre face au souci de coopération entre États » (in Aspects récents du droit de l’extradition, Pedone).
Donc, oui, le justiciable Paul François Compaoré pourra bien être extradé vers le Burkina Faso ! Enfin… si la France le veut bien sûr !
So, let’s wait and see !
Yves Kinda
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
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Merci Me Kinda pour votre reponse combien edifiente!il nous faut des hommes avises comme vous pour mieux nous eclairer sur de tels sujets brulants que bon nombre de concitoyens ont du mal a suivre leur evolution.Mais comme avez si bien conclu,ces a condition que la france le veuille bien!sinon pas impossible!effectivement,so let’s wait and see!!! bon soir chez vous!!!