Benjamin Sia : « Les colmatages ne marchent pas dans le domaine de l’éducation »
Benjamin Sia est le secrétaire exécutif national du Cadre de réflexion et d’action démocratique (CADRe), une organisation de la société civile créée en 2008. L’OSC relève des Droits humains et intervient dans le domaine de la formation (en Droits humains, mais aussi politique). Enseignant en technologie éducative à l’Université Ouaga II, Benjamin Sia s’est prêté aux questions de Burkina 24 le vendredi 26 janvier 2018.
Burkina 24 (B24) : Les OSC de veille citoyenne n’ont plus bonne réputation, accusées toutes d’appartenir à des chapelles politiques… Est-ce la fin de cette catégorie d’OSC ?
Sia Benjamin (S. Benjamin) : On ne peut pas conclure à la fin de vie des OSC au Burkina parce qu’il y a deux systèmes dans l’animation de la vie publique. Il y a le système partisan qui est animé par les partis politiques et le système non-partisan animé par les organisations de la société civile (OSC). Dans la dynamique de tout secteur, à un moment, on peut avoir des difficultés et on constate effectivement des difficultés liées aux agissements de certains leaders de ces organisations.
Il ne faut pas seulement voir ce que font ces leaders parce que dans ces structures, il y a des gens animés de bonne volonté et qui ne sont pas souvent sur la même longueur d’onde que les différents leaders. Au niveau des difficultés, il faut le dire, les OSC ont été en première ligne lors des différentes luttes, surtout ces dernières années et il y a comme un essoufflement. Aussi, il y a la manière dont ces structures ont été créées.
Ce qu’on constate, la plupart des structures qui sont aujourd’hui décriées, selon des informations que nous recevons, ont été suscitées. En ce moment, ce n’est pas l’engagement qui est la base de la création, mais les intérêts d’un groupe ou d’un individu.
B24 : En rapport avec votre domaine d’intervention, quelle est la situation des Droits humains au Burkina ?
S. Benjamin : Si on jette un regard en arrière, du point de vue historique, il faut reconnaître qu’il y a eu une évolution. Il y a eu des périodes dans ce pays où l’expression phare était : « Tu fais, je te fais ». A l’heure actuelle, ces pratiques n’ont plus cours au Burkina. Aussi, les Droits humains se mesurent à la gestion des différentes crises, des manifestations qu’on voit et pour le moment, on n’a pas encore entendu que quelqu’un a été menacé pour ses opinions ou parce qu’il défend les intérêts d’un groupe bien précis.
La situation a évolué, il y a encore des éléments à améliorer. C’est tout un processus et il y a encore des groupes minoritaires qui ne sont pas encore très pris en compte au niveau des textes de la république. Je prendrais le cas des handicapés. Aujourd’hui, ils sont très peu pris en compte au niveau des différents textes alors que ce sont des cas spécifiques qui mériteraient que l’on s’y penche.
Il y a également les personnes âgées. C’est vrai qu’on n’en parle pas trop, mais il faut jeter un regard sur les conditions des personnes âgées et voir comment on peut les améliorer, en termes d’accès à certains services, que ce soit au niveau de l’administration ou de la santé.
B24 : Le fait qui a le plus capté l’attention des Burkinabè ces derniers temps, c’est la grève des syndicats de l’éducation. Pensez-vous comme certains observateurs que le gouvernement n’a pas pris le taureau par les cornes assez tôt ?
S. Benjamin : Je dirais oui dans une certaine mesure parce que le problème a été posé depuis octobre (2017). J’ai l’impression que le gouvernement, au départ, n’avait pas pris le problème avec sérieux. Et ça se comprend parce que quand on regarde les revendications depuis un certain moment, ça pouvait amener le gouvernement à avoir un certain sentiment de relâchement.
Je pense que l’Etat aurait dû anticiper sur la question depuis le départ. Il aurait dû faire asseoir tous les acteurs autour d’une table et discuter d’une trêve. Et la loi 081 (portant statut de la fonction publique au Burkina Faso) allait être la base d’une négociation pour la trêve. D’ailleurs, la nouvelle loi qui a permis le reversement des différents corps dans de nouvelles catégories a une insuffisance parce que la loi 013 qui organisait la Fonction publique avait un avantage, c’est d’avoir un peu mis fin aux questions des statuts autonomes et statuts particuliers.
Mais la nouvelle loi a écrasé ces dispositions qui permettaient de limiter les revendications des statuts autonomes et statuts particuliers. Parce que si on reconnait la spécificité du corps, il faut prendre en compte tous les éléments en termes d’indemnités. Maintenant, on donne la possibilité aux acteurs d’aller au-delà des cinq catégories d’indemnités qui étaient prévues. Mais je pense que l’erreur est partie de la dernière loi qui gère la Fonction publique.
B24 : D’autres personnes voient l’erreur à partir du traitement des revendications des magistrats…
S. Benjamin: Si on va dans cette dynamique, ce sera difficile. Il ne faut pas aller dans une comparaison. Chaque secteur a ses spécificités. Ce n’est pas comme un gâteau qu’on partage dans une famille. Si la fonction publique était ainsi, on aurait pu prendre la masse salariale et diviser par le nombre de fonctionnaires et il n’y aurait pas eu de discussion. Quand on doit poser une plateforme, il faut partir sur la base d’éléments concrets qui justifient les revendications et non pas se comparer à un secteur parce qu’on a donné Pierre, il faut aussi donner à Paul.
Si on prend le secteur de l’enseignement, il y a des questions réelles dans leurs plateformes. Et depuis 2013, il n’y a pas eu de grèves sérieuses dans ce secteur pour revendiquer quoi que ce soit. Il y a des problèmes réels qui méritent qu’on se penche là-dessus. Quand on envoie un enseignant dans une autre ville pour corriger les copies pendant les examens, il n’est pas pris en charge comme un fonctionnaire qu’on envoie en mission. La correction et les jurys, c’est quelque chose de très sensible. C’est la porte ouverte à la corruption. Si la personne n’a pas les moyens de se prendre un bon hôtel, la pression sociale, comment fait-il ?
Dans la mise en œuvre de la loi 081, le gouvernement aurait dû faire le point des revendications et des acquis depuis un certain nombre d’années. Il aurait ainsi, en ce moment, décelé les secteurs qui, depuis un certain moment, n’avaient pas eu d’amélioration substantielle et les prendre en compte. On ne doit pas se comparer aux autres pour faire des revendications. Il faut que cela parte sur des besoins réels, des constats réels sur le terrain. Par exemple les infrastructures au niveau de l’enseignement, c’est un problème réel. Il y a des écoles sous paillotes, des écoles non clôturées, des directeurs qui n’ont pas de bureaux, des enseignants qui dorment dans des cases.
Tous les acteurs politiques qui battaient campagne ont dit que la question de l’enseignement sera leur priorité. La question de l’éducation est un problème concret. Eux mêmes l’ont évoqué dans leur programme politique. Ils ont dit qu’il n’y aura plus d’école sous paillote. Ces revendications, c’est une piqûre de rappel. La question des manuels scolaires, c’est une réalité.
J’ai enseigné l’histoire géographie. Au second cycle, il n’y a pas de manuels pour lire. Faut-il prélever dans son salaire pour acheter des manuels ? C’est un véritable problème. Préparation des cours : à la rentrée on vous donne une rame. Est-ce qu’une rame peut suffire à préparer les cours durant une année ? Même si on donne par trimestre. Il y a donc des préoccupations qui sont vraies. Qui méritent qu’on discute. Il faut que le gouvernement montre la volonté de prendre le problème à bras le corps.
B24 : L’une des conséquences de cette crise, c’est le comportement jugé incivique de certains élèves. A Koudougou, le drapeau a été mis en berne. A qui la faute et comment y remédier ?
S. Benjamin : Je pense que nous sommes tous responsables. Le comportement d’un jeune incombe à tous dans la société. Parce qu’un seul individu ne peut pas éduquer. Il faut le reconnaître, ce n’est pas normal que des élèves s’attaquent à des symboles de l’Etat. On peut s’exprimer sans s’attaquer au symbole de l’Etat. On est tous d’accord c’est la base de construction d’une conscience, une construction de lutte, d’engagement, on est tous d’accord. Ils peuvent manifester différemment, mais pas en descendant quand même le drapeau. C’est un symbole très fort. Ils peuvent marcher, faire des sit-in dans le respect des règles mais aller s’attaquer aux symboles de l’Etat c’est aller très loin et actuellement rien ne le justifie.
A une autre époque, quelque chose le justifiait. Mais aujourd’hui rien ne justifie. Donc je pense que nous sommes tous interpellés, parents d’élèves, enseignants, tous les acteurs de la société. Il faut voir la question de l’éducation civique, que tous ceux qui occupent l’espace public soient des exemples.
Quand vous occupez un rôle public, vous devez être un exemple. Généralement, les élèves prennent exemple sur vous. On est dans un Etat de droit. Si les élèves ont des comportements déplacés, que les gens saisissent la justice. Ça ne sert à rien de faire des sorties punitives.
J’ai suivi le cas de Boussé. Nous sommes dans un Etat de droit. Chaque force a son rôle. Si l’armée se déplace et se rend compte qu’une voie est barrée, ce n’est pas le rôle de l’armée de tirer sur les gens pour les disperser. Elle peut appeler la gendarmerie ou la police qui sont légalement les acteurs du maintien de l’ordre. Si l’on arrive à identifier ceux qui sont responsables de ces actes, qu’ils soient envoyés en justice et qu’ils soient punis.
Si c’est vrai ce qui est dit sur le cas de Boussé, c’est une violation des droits de l’homme. Dans une république, chaque acteur a son rôle. Il y a une gendarmerie à Boussé. Boussé peut appeler Ouagadougou pour un renforcement de l’effectif pour jouer son rôle. Heureusement qu’il n’y a pas eu de perte en vie humaine. Il faut qu’on accepte les valeurs, les règles qui organisent et qui régissent le fonctionnement de l’Etat de droit.
B24 : Vous avez parlé d’atteinte aux droits de l’homme dans le cas de Boussé. Est-ce qu’on pourrait s’attendre à ce que votre organisation prenne le dossier à bras le corps ?
S. Benjamin : Il faut que les différents acteurs qui sont directement concernés par la question aient la volonté de le faire. Si un élève est blessé, il faut que les parents portent plainte. S’ils portent plainte et que l’’Etat n’agit pas, nous, en tant qu’organisation de la société civile, on peut les accompagner pour que le blocage puisse être levé. Il ne faut pas attiser le feu là où il n’y en a pas. S’ils veulent porter plainte et qu’ils n’ont pas les moyens pour avoir des conseils, nous avons la possibilité de les accompagner à ce moment.
B24 : Vous êtes enseignant, l’idée reçue est que le niveau des étudiants est en baisse au Burkina. L’avez-vous constaté dans l’exercice de vos fonctions ?
S. Benjamin : On accuse les étudiants. Je pense qu’il faut examiner la situation plus en profondeur. Avant que l’élève arrive à l’université, il est passé par un cycle. Le rôle de l’université ce n’est pas d’apprendre à l’étudiant à parler le français. Non ! L’enseignant s’appuie sur sa connaissance de la langue pour lui inculquer d’autres savoirs. C’est ça la réalité.
Avant d’arriver à l’université, il faut avoir le minimum. Ce n’est pas pour condamner les enseignants du primaire ou du secondaire. C’est tout notre système qu’il faut revoir. Est-ce que les méthodes de formation à la base, dès le primaire, sont adaptées au contexte ? Il y a un vrai problème au niveau du système éducatif.
Rien que ce matin, j’ai vu que l’Institut de la francophonie pour l’éducation a fait un atelier pour réfléchir sur quelle école pour l’Afrique au 21e siècle ? Vous pensez que c’est normal ? C’est normal que ces instituts réfléchissent sur l’avenir de notre école ? Il y a un vrai problème au niveau des programmes. Notre système éducatif a besoin d’être refondé. Les colmatages ne marchent pas dans le domaine de l’éducation. Les gens sont venus avec des méthodes qui ne marchent pas, avec leurs limites. Nos pays sont des laboratoires de méthodes. Entre temps, on parle d’Approche par les compétences (APC). Cette méthode a échoué au Canada. On expérimente les méthodes qui ont échoué ailleurs ici.
Quand vous prenez le ministère de l’éducation, vous avez des gens de tous les niveaux. Vous avez des inspecteurs, des conseillers pédagogiques, il y a suffisamment de chercheurs dans le domaine des sciences de l’éducation. Pourquoi ne pas monter une unité de recherche action ? Pourquoi ne pas le faire ? Que font nos inspecteurs ? On ne leur donne pas les moyens. Même pour sortir encadrer les enseignants sur le terrain, ils n’ont pas les moyens. Alors que si on veut améliorer le dispositif, ce n’est pas que l’encadrement des enseignants. Avant de généraliser, qu’on prenne le temps de tester, de faire de la recherche, de faire des analyses et en fonction des résultats obtenus, on décidera de continuer ou pas avec la méthode.
Mais aujourd’hui, les bailleurs de fonds et les institutions viennent avec des programmes pour financer la réforme de notre système. En même temps, c’est une occasion pour tester certaines méthodes. La question de la baisse du niveau, c’est d’abord les méthodes, les moyens qu’on donne aux enseignants pour enseigner et également le rôle des parents. La question de la qualité de l’éducation est à plusieurs niveaux.
B24 : Globalement, déjà deux ans que le MPP est au pouvoir. En quelques mots, que retenez-vous de la gouvernance ?
S. Benjamin : On sent une certaine volonté. Ouagadougou est en chantier. Mais il y a un problème auquel ils doivent s’attaquer : les problèmes de détournements, la lutte contre la corruption. Il y a encore beaucoup d’efforts à faire à ce niveau. Il faut assainir la gestion de l’Etat, les surfacturations, les détournements. Il faut que l’Etat fasse des efforts à ce niveau.
J’ai l’impression que rien n’est fait. Même les scandales qui ont éclaboussé certains secteurs, il n’y a pas eu d’action forte pour donner l’exemple. Il y a aussi la question de la justice. Au moins, les questions emblématiques qui ont été l’une des causes de l’insurrection, qu’on commence à voir un début. Mais on a l’impression qu’on veut gagner du temps. Pour quelle raison ? On ne sait pas. Donc il faut que ça bouge au niveau de la justice.
Interview réalisée par Ignace Ismaël NABOLE et Priscille Jinette BANSE (Stagiaire)
Burkina 24
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Mon oncle vous avez tout à fait raison