Mise à plat du système des rémunérations : Entre erreur sémantique et mauvaise approche !

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Ousmane Djiguemdé, dans cette tribune, analyse la question de la mise à plat du système des rémunérations au Burkina Faso.

Annoncée en fin d’année 2017 par voie de discours présidentielle, c’est finalement dans une espèce de précipitation que le Premier ministre va engager le processus, juste avant l’échéance de fin février, après la signature du protocole d’accord avec la coordination des syndicats de l’éducation. Le contexte ainsi rappelé est nécessaire pour comprendre les enjeux de la question que le ministre de la fonction publique, Pr Séni Ouédraogo, a tenté d’expliciter le 15 mars 2018, à l’émission « le tribunal de l’actualité » d’une radio et d’une télévision privées.

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Un débat nécessaire, mal engagé, soumis à une tension entre divers intérêts

Avec cette émission, précédée par la publication d’éléments de rémunération aux disparités « choquantes » dans un contexte de pauvreté, se cache bien une volonté gouvernementale de montrer à tous l’orientation voulue. Briser ma réserve, après avoir écouté le ministre, le camp des favorables et celui des opposants à la démarche, devient une nécessité dans la mesure où un volet essentiel du débat est occulté. C’est l’objet de cette intervention.

Il ne me semble plus pertinent de revenir sur la nécessité d’une réforme de la gouvernance administrative comme priorité parce qu’elle a été préférée à la « mise à plat du système des rémunérations », mesure parcellaire qui ne règle pas la question de la quête de performance dans l’administration publique en faveur des citoyens. Voilà donc une question importante, mais mal engagée, malgré la nécessité d’une gestion holistique des questions générales de gouvernance administrative.

Un débat sous le prisme de trois préoccupations complémentaires et interdépendantes

Avant l’émission, j’étais dubitatif sur le contenu du débat et la pertinence de l’approche de « mise à plat » par voie de concertation multi-acteurs. Et pour cause !

  • Le contenu réel de la « mise à plat du système des rémunérations » des agents publics est encore flou. Une mise à plat suppose que l’on ait évacué le blocage de l’argument épistémologique de cette action qui doit aboutir à l’évitement de l’enlisement des dépenses publiques. Cela suppose aussi que l’on fasse appel à un régime de rationalité, dans la gestion de la question, qui tient compte de toutes les limites objectives y relatives ;
  • Si l’épreuve du blocage conceptuel est levée, la préoccupation suivante est d’ordre pragmatique. Celle-ci tient en la quête de la démarche la plus pertinente et la plus efficiente qui permet de faire table rase d’un ensemble de construits techniques, économiques, financiers et sociaux ayant permis de mettre en place les déterminants salariaux rattachés à chaque emploi. Mise à plat consiste donc à aborder le problème par une démarche simpliste, faite de négation et de renoncement, loin de tout pragmatisme qui doit être la règle d’une telle opération ;
  • Au-delà de ces deux soucis, la dernière préoccupation est de savoir comment passer tout cela au crible de la jauge de l’éthique en tenant compte de l’environnement systémique interne (national), mais également externe (sous régional, régional et multilatéral), régi par les conventions et protocoles d’accord, sans être démagogique, sans être utopiste non plus, mais en demeurant juste dans une rationalité ouverte et ouvrante. Il convient alors de savoir poser lucidement la question de la participation des autres acteurs de la société, partie prenante à la logique de la redevablité d’un État incrusté au sein d’une communauté supranationale (un système).

La révélation du ministre sur les vraies intentions du gouvernement

Avant cette émission, j’avais une lecture erronée de la « mise à plat » dont parle le gouvernement. À écouter le ministre qui a tenté de justifier les privilèges motivationnels de certains emplois, malgré le démenti formel qu’il a opposé à la lecture faite par le journaliste, on lit clairement une volonté de sauvegarder les motivations salariales et extra-salariales acquises, confirmant ainsi mes doutes sur la mise à plat.

Le gouvernement semble avoir perçu le danger de la rhétorique de la « mise à plat », qui se profile à long terme sous le voile du risque d’effondrement de l’État, et à court terme sous celui de la grève du zèle des mécontents du processus pour ralentir l’action administrative. Sauf que, à partir du moment où le processus est lancé, il est acté que le pays ne saurait se sortir indemne d’une telle opération, qu’elle soit oui ou non conduite à son terme, ou qu’elle soit réajustée pour mettre en relief l’ensemble des déterminants qui fondent le système. Il lui faudra s’y préparer.

Une équation complexe à une seule solution

Dans la validation de l’argument de la sauvegarde des motivations des privilégiés, il faut le reconnaître, le gouvernement sort de sa ruse pour admettre l’impossibilité de séparer pragmatisme épistémique des motivations, en lien avec les rémunérations, éthique de la responsabilité en matière de rémunération des agents publics, éthique de la rémunération elle-même et nécessité de justice sociale. Focaliser donc le débat sur la seule question de la justice sociale, qui induit la mise à plat du système selon le gouvernement, est a priori improductif dans le contexte actuel. La preuve, elle commence à radicaliser les syndicats des Finances vers la création d’un lobby.

Une telle complexité de la question du système des rémunérations pose le problème des rémunérations sous le prisme de la pensée complexe et oblige à ouvrir le débat en terme de rationalité ouverte et ouvrante. Une rationalité suffisamment ouverte pour appréhender les moindres réalités non perceptibles, et suffisamment ouvrante pour déboucher sur des modèles bien adaptés à notre contexte présent. Ce qui évidemment exclut la logique de l’affrontement dans lequel l’on est tenté, par paresse intellectuelle et par absence d’initiative ou d’innovation de s’engouffrer, en suscitant l’opposition entre agents publics et le reste du corps social.

Ce doit donc être une démarche qui permet de mettre en relief l’ensemble des éléments de l’équation. La question essentielle consiste donc à déterminer la stratégie de restauration de la justice sociale, au moyen des rémunérations des agents publics et au milieu de toute cette tension d’intérêts, de sorte à continuer de garantir l’équilibre des systèmes globaux interne (national) et externe (international), qui s’étendent comme on l’entend, ces temps-ci, à la création de marges pour les investissements publics ?

Dans un système, quand on doit composer avec des éléments existants de sorte à en assurer l’autonomie du système, en termes de capacité propre à s’organiser pour garantir une économie (écologico-dépendante) des ressources dans la conduite des activités tout en restant performant, dans le respect d’une certaine éthique de la responsabilité, la rhétorique adaptée est bien la « mise en relief » des éléments du système des rémunérations et non celle de la « mise à plat » qui pourrait porter les germes de l’effondrement de l’État dans ce contexte de fragilité que connaît le pays !

Pourquoi la mise en relief plutôt que la mise à plat du système des rémunérations ?

Il est important de rappeler que le système des rémunérations ne s’est pas construit ex-nihilo, mais sur la base de référents séculaires, mais aussi conventionnels, qui ne sauraient être ignorés, malgré le caractère sain d’une quelconque volonté politique de justice sociale. C’est d’ailleurs sur la base de ces référents que le nouveau système devra impérativement se construire. C’est pourquoi le ministre a tenté une explication de forme sur la justesse des motivations.

Même en faisant le rapprochement avec les réalités françaises de restructuration des rémunérations, on ne peut pas ignorer le contexte particulier de la vivacité syndicale et de la puissance des agents publics regroupés par corporations, la puissance relative d’une société civile fragmentée, mais potentiellement forte, et le contexte post-insurrectionnel qui devient plus un joug qu’un facteur d’émancipation et d’affirmation de la République. C’est tout cela qui impose cette approche rationnelle de la question dans le dossier des rémunérations.

Mieux, la mise en relief des éléments de rémunération dans ce système est facilité par la disponibilité d’outils d’aide à la décision de haute définition et de grande performance, à même de produire les combinaisons les plus inimaginables, pour ressortir une modélisation pertinente et efficiente pour la gestion du système, en y intégrant tous les paramètres que l’on souhaite, y compris celui de la justice sociale, et en passant par les variables de pénibilité, d’utilité, de nécessité, d’intérêt, de valeur marchande, de symbolisme, de temps, d’espace, etc. Du coup, en même temps que ces potentialités rendent la mise à plat non pertinente, elles la relèguent au rang de solution mathusalemienne.

À mon avis, il serait plus judicieux de ne point s’enfermer dans des contraintes de délai, mais de repenser le problème et sa stratégie depuis la base, en prenant en compte toutes ces observations, afin d’éviter l’échec et le danger de l’effondrement de l’État. À bon entendeur, salut !

Ousmane DJIGUEMDÉ

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