Le « Tiéfo », une identité culturelle en péril
La 19e édition de la Semaine nationale de la culture qui s’est tenue à Bobo-Dioulasso du 24 au 31 mars 2018, avait pour thème «La sauvegarde des cultures, enjeux et perspectives». A cette occasion et pour être en phase avec le thème, le musée Sogosira Sanou de Bobo-Dioulasso donne l’exemple type de la nécessité de la sauvegarde d’une culture en voie de disparition, celle des Tiéfo.
L’ethnie Tiéfo est classée comme en voie de disparition. La langue est très peu parlée dans les villages habités par les communautés Tiefo. Selon les dires du technicien de musée, Iliassa Salgo qui dirige l’exposition «Tiéfo » au musée Sogossira Sanou de Bobo-Dioulasso, de tous les ensembles ethniques qui existent au Burkina, le Tiéfo est minoritaire.
« Nous avons fait le tour de quelques villages Tiéfo. On n’a entendu personne parler la langue Tiéfo. Même les vieilles personnes, c’est le dioula elles parlent (…). Les comportements, que ce soit en matière d’architecture, on les confond à l’architecture bobo ou à bien d’autres. C’est pour cela on dit que leur culture est vraiment menacée », dit-il.
Félix Ouattara, l’un des notables de l’actuel chef Tiefo, Badiori Ouattara basé à Noumoudara à une trentaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, avec la contribution de qui l’exposition au musée a pu se faire, reconnait cet état des faits.
« Effectivement, le Tiéfo est en voie de disparition », dit-il. Mais il précise que ce ne sont pas les personnes Tiéfo qui disparaissent mais l’ethnie.
« On dit que les Tiéfo sont en voie de disparition, parce qu’un peuple sans langue est un soldat sans arme. Sinon on est là mais comme on ne comprend pas notre langue, c’est pour quoi on dit qu’on est en voie de disparition », souligne-t-il.
Rares sont les personnes qui parlent la langue affirme Félix Ouattara, à commencer par lui : «Je suis né en 1953, j’ai 65 ans mais je ne parle pas le Tiéfo parce que mes parents parce que mes parents ne m’ont pas appris le Tiéfo. Ils ne le parlaient pas ».
« Ce n’est que récemment que je me suis intéressé à l’historique que j’ai su qu’il faut revaloriser notre langue et j’ai appris à parler quelques mots. C’est d’ailleurs pourquoi on a créé un alphabet Tiéfo et on va commencer à alphabétiser les enfants en langue Tiéfo », confie-t-il.
Il n’existe, selon ses dires, actuellement que deux vieux qui parlent toujours la langue et un autre jeune homme du nom de Ouattara Abou qui s’y est intéressé depuis les années 1969. C’est d’ailleurs ce dernier qui a été à la faveur de la création de l’alphabet Tiéfo qui devrait faire l’objet d’une alphabétisation massive de la communauté Tiéfo très prochainement.
Il raconte aussi que la disparition de la langue Tiéfo fait suite à la venue de Boua Ouattara, un conquérant venu du royaume de Kong. Boua avait été kidnappé à 7 ans par Famaga Ouattara qui l’a initié à la guerre. Quand Boua est revenu, il était chef guerrier et son retour a été le facteur de disparition de la langue Tiéfo.
Le règne du dioula
Aujourd’hui, les Tiéfo ne parlent que le Dioula pour ceux qui sont proches des Dioula et Bobo pour ceux vivent parmi les Bobo. Par conséquent, il est difficile de les reconnaître parmi les autres communautés. Si avant les Tiéfo sont porteurs aussi de cicatrices raciales à partir desquelles on pouvait les identifier, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Mais on peut les reconnaitre par leur accent. « Le dioula qu’il parle est différent. Quand quelqu’un qui vient de Dassarani parle le dioula, nous on sait d’où il vient. Un Tiéfo de Noumoudara qui parle, on sait qu’il vient de Noumoudara. C’est comme ça on se distingue par la tonalité », rapporte toujours Félix Ouattara.
Néanmoins, les Tiéfo sont tous porteurs du patronyme Ouattara. « Il n’y a pas autre nom de famille parmi les Tiéfo. Tout le monde est Ouattara , même s’il y a des Dioula, des Bobofing, des Sembla qui sont Ouattara ».
Cette exposition sur les Tiéfo, explique le technicien de musée, a pour but de participer à la fête et surtout contribuer en leur manière à parler du thème, la sauvegarde des valeurs culturelles. Mais il a déploré le fait de n’avoir bénéficié d’aucune aide de la part de la mairie de Bobo et de la SNC. « L’exposition est montée sur les propres frais du musée alors que la SNC et la mairie devraient y contribuer ».
A voir
Ont été exposés des outils utilisés entre 1 600 et 1 800 et où les hauts faits de Tiéfo Amoro, l’un des chefs «remarqués » de cette communauté basée à Noumoundara sont racontés aux visiteurs, notamment la bataille de Bama entre Tiéfo Amoro Ouattara et Tiéba Traoré, la guerre entre Tiéfo et Samory Touré, Guimbi Ouattara.
Tout autour du buste de Tiéfo Amoro qui trône au centre de la salle d’exposition du musée, des instruments, des trophées de guerre, des symboles de fierté de la communauté sont disposés. On y trouve le livre de l’alphabet de la langue Tiéfo, traduit en français et en anglais. Au village des communautés de la SNC, les mets et des pas de danse sont présentés au public.
Outre ces initiatives pour la revalorisation de la culture Tiéfo, la communauté consciente de la disparition de sa langue entreprend des démarches pour permettre à la jeune génération de parler la langue et la mise en place d’associations pour défendre leur culture.
Histoire
Historiquement, les Tiéfo seraient venus de Kong (au Mali) et se sont installés à l’ouest du Burkina Faso dans un village appelé Kassendé dans le département de Sidéradougou. Ils vont fonder des villages au fur et à mesure qu’ils se déplacent, Tarpaga, Sirabentomo, Kassendé, Noumoudara, Tin, Dassarani et bien d’autres. Des villages qui seront par la suite victimes de guerres de conquête de territoire.
Ils ont pour parents à plaisanterie, les Lobi, Gan, Dagara et Bobo du fait que leur chef Boua de son retour de Kong a conquis les territoires de ces communautés à son passage.
Revelyn SOME
Burkina24
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