Tribune │ Burkina Faso : Résoudre « l’absence » d’État ou périr !
Ceci est une analyse de Ousmane Djiguemdé sur la situation nationale.
Parfois, lorsqu’une situation devient inextricable et que le peuple désespère de voir le bout du tunnel de ses peines, l’intervention du gestionnaire public au moyen de la communication est très utile. Elle permet de rendre compte (redevabilité) sur l’état des chantiers de développement et de sa sécurité. Ce qui rassure et assure une résilience face aux crises. Le Premier Ministre Dabiré, avec son grand oral du 21 juillet 2019 a joué sur ce registre. Il a fait ce qu’il peut pour réussir sa mission. Il a eu la prudence du technicien de la gestion publique et, avec la sagesse de son grand âge, il a surtout dit ce qu’il pouvait pour rassurer et de la manière dont il le pouvait. Mais…
I. Les conditions actuelles garantissent désillusion et découragement à l’ouvrage national
Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt et nous le savons tous ! Notre pays a atteint un certain seuil d’ingouvernabilité qui précède le chaos et nous devons prendre garde à ne pas le pousser dans le précipice. Parce qu’à la vérité, même s’il y a des gens à ce jour, estimés plus compétents, qui lorgnent sur le fauteuil présidentiel, il est peu probable qu’ils réussissent la tâche dans les conditions que nous connaissons. On ne pourra rien en tirer que désillusion, découragement et démotivation à l’ouvrage national, avant la survenue d’un chaos.
Quelque génie qu’il soit, même « serein et adossé à un peuple résilient » comme il le proclame dans son « oral », le Premier Ministre Dabiré n’y pourra rien. Chaque jour, chacun de nous dénonce notre insoumission au contrat social (corpus juridique et culturel qui fait exister notre pays en tant que nation en construction depuis la création de la colonie de Haute-Volta, à travers notre Constitution et nos référents culturels communs). Donc, la principale question devient inéluctablement : « Avons-nous encore un contrat social valide ? ».
II. Inexistence d’un contrat social valide ou non-respect des clauses contractuelles, à vous de choisir !
Je suis allé chercher la réponse dans la bouche d’un important investisseur et partenaire étranger de notre pays qui faisait une confidence dans un cercle d’amis : « le vrai problème de votre pays, c’est que ce sont les syndicats qui gouvernent ». Ceci traduit une réalité que nos partenaires critiquent en coulisse et indexent pour observer de la prudence dans leurs investissements ou pour accroître les taux d’intérêts au regard du potentiel de risques pour leurs investissements.
Ainsi, ils sous-entendent que la sphère de la gouvernance, le centre décisionnel de l’État, s’est déplacé des mains du gestionnaire public aux mains de X, c’est-à-dire personne, comme pour rétorquer à un homme politique qui avait affirmé que « le pays est gouverné ». Mais ceci n’est pas une situation nouvelle !
Elle est la résultante du « non-État » et de la « non-citoyenneté » accumulés depuis des années après la chute de la Révolution. Elle se retrouve dans les propos de l’agent public qui dit « est-ce que l’administration c’est le champ de mon père ! » ou du citoyen qui dit « ce qui appartient au gouvernement n’appartient à personne, c’est pour nous tous ! » ou des communautés qui professent « le gouvernement c’est nous tous » pour pouvoir agir sans contraintes. Il y a eu donc deux grosses lacunes :
- L’avidité non comblé d’un besoin réel d’éducation à la citoyenneté pour construire un État avec des citoyens responsables,
- L’absence d’une prise en compte de l’éthique de la responsabilité dans la gestion publique. En effet, quand personne n’est responsable, évident qu’il n’y ait pas de coupables d’infractions contre l’autorité, l’existence ou la pérennité de l’État, ni d’autorité pour sanctionner.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que l’impunité et l’ingouvernabilité, qui précèdent toute situation de déclin, fassent autorité dans un tel État.
III. Le piège de l’ingouvernabilité a été introduit par le constituant de 1991 et le risque de récidive est grand pour la 5ème République
Le piège a été introduit à dessein en 1991. Même les précautions de la loi 013-2007 portant loi d’orientation de l’éducation, dont l’article 13 est seul à définir le modèle de citoyen voulu par l’État, n’a pas réussi à s’en défaire, tellement le charcutage constitutionnel a brouillé les pistes. Son mal : avoir absout le porteur de projet de société de toute éthique de la responsabilité, accru la difficulté de l’appliquer aux membres du gouvernement et créé un « gros problème public ».
En effet, sous l’empire de la 4ème République, la justice, service public fonctionnel et service public structurel, a été le principal problème public qui a mis à mal le contrat social. Ceci par le fait de sa complexité et de la relation incestueuse entretenue avec l’Exécutif pour tenailler le dépositaire de leur pouvoir respectif (le peuple). Cette situation risque de s’aggraver sous la 5ème République dans le projet soumis en l’état, avec l’apparition d’un autre acteur constitutionnel majeur : l’avocat. Mais avant, la gestion du contexte de son indépendance par l’Exécutif a accru le niveau du « gros problème public » qu’elle constituait déjà.
IV. De la méconnaissance de la gestion participative de l’État
L’observation du partenaire sur la gouvernance par les syndicats amène à relever aussi que le Burkina Faso a fait l’expérience de la gestion participative, très tôt, par la méthode populaire avec la Révolution. Donc, elle était moins orthodoxe. Cependant, ce sont ces habitudes qui impactent surtout quand les nouvelles exigences de citoyenneté et d’État moderne ne sont pas suffisamment assimilées par les citoyens.
Or la gestion participative, dont parle la nouvelle gestion publique, place le citoyen (soit lui-même ou ses représentants, ayant qualité de demandeur de service public), au cœur de l’action publique, pour y contribuer (physiquement, intellectuellement, matériellement ou financièrement) et recevoir en retour des comptes sincères. Ce que les syndicats n’ont pas vocation à être, puisqu’ils sont formés sur la base d’intérêts particuliers et non de l’intérêt général. Tout comme les organisations politiques ils ont essentiellement un caractère partisan.
Les syndicats ne rentrent pas dans ce moule des structures de représentation du citoyen et des communautés, dans la mesure où ils sont restés partenaires sociaux exerçant des pressions pour influencer les processus décisionnels à leur seul profit, même s’ils le nient. Ils n’ont donc nullement vocation à être des structures de participation aux processus décisionnels, au sens orthodoxe, au risque de faire pencher la décision finale de leur côté et non de l’intérêt général. C’est ce qui se constate depuis au Burkina Faso. Si le peuple s’en aperçoit, en prend conscience et prend ses responsabilités, nul ne peut présager de ce qu’il adviendra ! Il en est de même des organisations politiques et leur pléthore.
Dans la mesure où les syndicats et organisations politiques sont tous formés sur la base d’intérêts particuliers, tout basculement des centres de décisions sous leur autorité conduirait inéluctablement à une rupture du principe fondamental de gestion de l’État autour de l’intérêt général. Et la veille citoyenne doit consister aussi à empêcher absolument cela.
Dans la même logique, le financement public des partis politiques est une anomalie et une aberration dans l’État moderne. À sa place, je lui préférerais le financement public d’activités d’éducation à la citoyenneté et à la connaissance de l’État.
V. Le Burkina Faso a vocation à être un État moderne
Le Burkina Faso a vocation à devenir un État moderne (SPMABG, modernisation de l’État, etc.). Du reste, la vision de cette modernisation a été portée très tôt sous la RDP, en 1984, avec l’introduction du premier ordinateur dans l’Administration. L’idée était la mise en œuvre d’un projet d’informatisation de l’administration supposé s’étendre jusque dans les écoles primaires. Mais ce projet aurait été détourné sur la Côte d’Ivoire pour un certain nombre de raisons (propos d’un officier supérieur de l’armée). De là à aujourd’hui, que de chemins parcourus, direz-vous ? Moi je dirai que de retards accumulés par rapport à l’immense avance que nous avions eue sur les autres ! Cependant, après un progrès notable et difficile, jusqu’à tout récemment, certains actes consacrent à nouveau le recul sur le chantier de la modernisation, notamment sur notre philosophie de gestion publique :
- l’agent a été remplacé par le fonctionnaire dans les normes. Ceci marque un retour à la fonctionnarisation de l’emploi public, devenu entre-temps plus flexible avec l’introduction de la gestion managériale qui lui préfère le terme d’agent public ;
- le gestionnaire public a eu du mal à s’imposer dans notre arsenal lexico-juridique. Citoyens et politiciens lui préfèrent toujours décideur public, qui incarne l’autorité et l’unilatéralisme de la décision publique avec tous les risques que cela comporte. Or, dans la nouvelle réalité managériale, celui que l’on nomme décideur doit devenir un gestionnaire public. Il vient au début de la chaîne de l’action publique pour impulser la collecte des besoins publics, l’analyse des problèmes publics et l’initiative du processus décisionnel, puis en bout de chaîne pour donner la caution nécessaire à une décision collégiale, ou à laquelle les avis requis auraient contribué à mieux prendre en compte l’intérêt général ;
- le citoyen ne s’est jamais comporté en citoyen puisqu’il n’a jamais été éduqué à comprendre et agir comme tel. Même le principe du financement des partis politiques n’y a jamais songé. Or les attentes vis-à-vis de ce nouveau citoyen sont grandes pour assumer l’ensemble de ses devoirs et droits à la participation au processus décisionnel dans un contexte de gestion publique ;
- l’État ne s’est pas toujours comporté comme un État responsable, dans la mesure où il a été ôté de ses normes fondamentales l’obligation d’une éthique de la responsabilité. Sinon, les nouvelles réalités managériales lui imposent d’assumer avec fermeté un ensemble de prérogatives et obligations liées à la prise de décision sur l’action publique dans un contexte de gestion publique.
Dès lors que cette vocation a été actée, puis confirmée par les normes et structures, ce recul ne s’explique pas et n’intéresse pas le peuple, dans la mesure où il procède simplement d’une logique politicienne et anarcho-syndicaliste, dont l’ambition égoïste conduit le pays à s’enfermer dans un vase clos de réalités managériales atypiques et improductives.
VI. Quand le principal régulateur devient le plus gros problème public…
Une mauvaise interprétation, combiné au développement d’une situation délétère qui avait couvé une relation incestueuse entre l’Exécutif et le pouvoir judiciaire, l’absence de promotion et de prise en compte d’une éthique de la responsabilité dans la gestion publique, ont fini par créer les conditions d’émergence de plusieurs problèmes publics insolubles. Parmi eux : le malade « justice » !
Ce qui m’oppose fondamentalement au projet de constitution de la 5ème République, c’est le fait que le constituant ait été conseillé à ériger l’exception en règle. Dans l’État moderne, avec ses nouvelles réalités managériales, la justice n’est qu’un régulateur. Son intervention dans la gouvernance n’est que circonstancielle. Mais après avoir, par contorsion amalgamée, placé la justice au centre des gros problèmes publics, notre pays veut donner à l’avocat un niveau d’intervention dans la gestion des affaires publiques peu recommandable : prééminence de sa nouvelle position constitutionnelle. Ceci place définitivement la justice au centre d’une gouvernance qui aurait dû travailler à réduire ses apparitions dans la gestion publique.
C’est pourquoi il faut vraiment inventer une justice transitionnelle pour éliminer ce passif, réduire à néant cette nécessité, afin de bâtir un État nouveau et moderne. Dans l’État moderne, le rôle de la justice en tant que pouvoir autonome est celui de la régulation de la dévolution de l’ensemble des pouvoirs, de la gouvernance et du vivre-ensemble. Elle ne devrait avoir aucune ambition de compliquer la vie des citoyens et complexifier les rapports. Aujourd’hui, la fréquence de ses interventions traduit l’ampleur d’un dysfonctionnement qui n’est pas souhaité. Or la logique veut qu’elle n’ait pas vocation à faire ombrage à ce qu’elle régule, encore moins devenir la source première des problèmes publics.
VII. La solution constitutionnelle reste de loin la meilleure pour rétablir la confiance et l’autorité de l’État.
La solution constitutionnelle est alors la voie appropriée pour sauver l’État. Elle devra servir à imposer quatre choses de façon définitive : l’éthique de la responsabilité à tous les échelons de la vie publique, les nouvelles réalités managériales qui vont avec, l’équité de la redistribution des richesses, l’intérêt général, la citoyenneté responsable et le foncier.
Dans ce cas, il faudra réécrire un nouveau projet de constitution de 5ème République qui soit suffisamment neutre et dont la rédaction est guidée par des acteurs qui comprennent les nouvelles réalités managériales, mais aussi suffisamment détaché de primat d’un juridisme dictatorial qui n’a pas sa raison d’être dans un contrat social. Enfin, le pays doit envisager l’expropriation de terres acquis par le fait de la mauvaise gouvernance pour parvenir à une vraie unité nationale. Ce sont des impératifs de survie de la Nation ! Nul autre acte, qu’un contrat social librement consenti ne peut résorber ces questions durablement. Le seul contrat pour le faire est une nouvelle constitution.
Ousmane DJIGUEMDE
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