[Tribune] : Femmes et extrémisme violent au Burkina-Faso

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Ceci est une tribune de Farida Touré sur le terrorisme.

Le terrorisme est toujours masculin. À tout le moins, les terroristes ont des visages d’hommes. Cela prouve que dans nos schémas mentaux, la représentation que nous nous faisons du phénomène comporte des biais très importants. Pourtant, des femmes au nom du fanatisme le plus abject, participent à répandre la violence. On note d’ailleurs une féminisation croissante des actes terroristes dans « l’arc de crise » sahélien même si les chiffres et les statistiques ne sont pas disponibles. Par contre, les femmes comme victimes de l’extrémisme violent est un sujet plus ou moins documenté.

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Traditionnellement, la violence est du fait des hommes. Toutefois, l’implication des femmes dans la violence, surtout politique, n’est pas un phénomène récent. Il est donc d’un intérêt certain de mieux appréhender la place des femmes et leur rôle dans les rangs des milices extrémistes, ainsi que leurs motivations car il y a unanimité que l’obscurantisme ne peut se combattre sans la contribution précieuse de la femme, mère, épouse, sœur, actrice de développement et de résilience.

Depuis une dizaine d’années, Boko Haram « emploie » des femmes dans ses actions de barbarie. La secte procède à des enlèvements, fait subir des atrocités à ces femmes, jusqu’à leur « utilisation » comme kamikazes. Si certaines peuvent être des volontaires qui rejoignent d’elles-mêmes les groupes armés terroristes parce qu’elles partagent l’idéologie de répandre la mort, cela n’est pas le cas de la grande majorité.

 Le 30 septembre 2019, des femmes ont participé à l’attaque terroriste contre des postes militaires de Mondoro et de Boulkessy dans la région de Mopti au Mali faisant deux morts parmi les civils, rappelant les actions de Boko Haram au Nigéria. C’est la première fois que l’armée malienne déclare que des femmes sont impliquées dans des activités terroristes. 

Avec le renforcement des mesures sécuritaires ainsi que la conduite de multiples opérations militaires d’envergure notamment dans les « zones rouges » du territoire, les groupes armés terroristes ont évolué dans leurs modes d’action en ayant recours à des femmes pour leur furtivité. Elles sont en effet en mesure de se déplacer dans des zones sous surveillance sans éveiller les soupçons ce qui crée la surprise quand elles basculent dans l’action cinétique.

En même temps, s’attaquer aux femmes fait partie de la stratégie des terroristes dont un des objectifs est la recherche de la visibilité à travers la médiatisation de la barbarie. La disparition des 274 jeunes filles de Chibok au Nigéria en Avril 2014, a fait connaitre Boko Haram dans le monde entier.

Le recours aux femmes fait partie intégrante de cette stratégie médiatique car les femmes sont aussi plus discrètes, moins suspectes que les hommes. Elles sont donc envoyées, en femmes kamikazes, vers des lieux publics ou des endroits à forte concentration de population, avec l’intention de créer des tragédies à fort impact psychologique car les attaques qu’elles commettent sont surmédiatisées du fait de l’effroi et de la fascination suscités.

Il est important de faire la part des choses. Mon propos n’est pas monolithique. Parmi les femmes qui s’engagent dans le terrorisme, il y a les victimes, celles qui sont endoctrinées, qui subissent des atrocités telles que les mariages forcés, les viols, l’esclavage sexuel et autres violences… Mais il y aurait également des femmes avec des rôles de premier plan, des femmes aussi dangereuses et violentes que les hommes. Ces femmes-là participent aux attaques armées, à la propagande, ont un rôle de soutien actif en termes de logistique et de renseignement, s’occupent des camps…

Le Burkina-Faso, autrefois relativement stable, est depuis 2015 en prise à des attaques djihadistes récurrentes comme ses voisins le Mali et le Niger. Le bilan est très lourd. Aussi bien humain, humanitaire, psychologique et économique.

Les régions du Sahel, du Centre-nord et de l’Est sont particulièrement touchées. La situation se dégrade de jours en jours malgré la montée en puissances des Forces de défense et de sécurité. Les groupes terroristes gagnent du terrain, obligeant les représentants de l’État et la population à se retirer de plusieurs localités.  Jusque-là, relativement épargnées, les femmes sont devenues des cibles directes des terroristes. Le 24 décembre 2019, 31 femmes ont été tuées suite à une attaque d’une base militaire à Arbinda.

Les « cadets sociaux » sont constitués essentiellement de femmes au Burkina Faso. La fragilité, la vulnérabilité et la pauvreté touchent en premier lieu et en grande partie la gent féminine.  La récurrence des attaques terroristes oblige les populations à se déplacer, les rendant encore plus fragiles. Parmi les déplacés et réfugiés, les femmes sont surreprésentées ; les hommes préférant la fuite ou l’exil. Loin de moi toute misandrie et je tiens à préciser que les mots ont un sens.

Les conséquences sociales de ce drame sont visibles. Ces femmes rurales consacrent les 3/4 de leur temps aux activités agricoles, et s’adonnent à l’artisanat et au commerce en saison sèche, contribuant ainsi largement aux dépenses de la famille. Avec ces attaques, les femmes délaissent leurs activités et se retrouvent loin de chez elles, seules avec leurs enfants, dans une grande précarité comme dans la majorité des cas.

C’est malheureusement la voie ouverte aux violences de tout genre, viols crapuleux en tête.  Les jeunes filles quant à elles sont déscolarisées et exposées au mariage forcé ou à la prostitution. Les conséquences également sur le plan sanitaire sont désastreuses : prolifération des infections sexuellement transmissibles, grossesses précoces…

La dégradation progressive de la situation sécuritaire a aussi fortement entamé le tissu social au Burkina Faso. La question ethnique a fait surface, avec la résurgence de vieilles querelles historiques. Certaines couches de la population se sentent constamment menacées et marginalisées du fait de leur appartenance ethnique. Cette stigmatisation vise aussi des femmes.

S’il est vrai que les causes de la radicalisation des femmes ne font pas l’objet d’études spécifiques, toutes les conditions sont réunies au Burkina Faso pour que des femmes se radicalisent : ignorance, analphabétisme, paupérisation continue, marginalisation socio-économique, sentiments d’injustice auxquels s’ajoutent des raisons personnelles telles que le désir de vengeance suite à la perte d’un être cher lors d’une attaque… Pour celles qui sont dans les camps de réfugié, les dures conditions de vie et le manque de perspective peuvent accentuer les ressentiments et contribuer à faire basculer dans l’extrémisme violent.

Jusque-là, la recherche porte très peu d’attention à la radicalisation des femmes. Les analyses s’orientent vers d’autres pans, d’autres domaines liés au terrorisme. L’importance de la prise en compte du genre dans la prévention et la lutte n’est plus à démontrer. Comprendre par exemple l’instrumentalisation du statut de la femme par les groupes armés terroristes pourrait contribuer à bâtir un discours qui puisse déconstruire certaines perceptions et croyances.

Il faudrait également donner à la femme toute sa place dans la prévention de l’extrémisme violent et les actions contre le terrorisme.

Il a été prouvé à maintes reprises que l’autonomisation des femmes avait un impact considérable sur l’inclusion sociale et contribuait à stimuler la croissance et le développement économique.

Les hommes et les femmes, au regard de leurs sensibilités spécifiques, font souvent part de préoccupations différentes et apportent donc des solutions différentes. Intégrer les femmes dans les processus de réflexion et de lutte contre l’insécurité apporterait une plus-value certaine en matière de résultats attendus.

De ce fait, il est impératif de tirer la sonnette d’alarme, afin d’attirer l’attention de l’opinion et des décideurs sur la situation des femmes en des temps aussi difficiles qu’incertains.

S’il est vrai que « l’incertitude explique les inquiétudes sans nécessairement les justifier » selon Jenny Raflick, la femme doit être considérée comme celle qui peut véritablement transformer nos sociétés surtout face à des menaces de plus en plus complexes et meurtrières. Les dernières paroles de Goldmund à Narcisse avant de mourir me serviront de conclusion : « Mais comment veux-tu mourir un jour, Narcisse, puisque tu n’as point de mère ? Sans mère on ne peut pas aimer, sans mère on ne peut pas mourir. »

Selma Farida Touré

Consultante en stratégie de défense, sécurité et en intelligence économique

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