Tribune │ Burkina Faso : La présidentielle de novembre 2020 ne peut être reportée du point de vue constitutionnel
Ceci est une tribune d’un juriste sur les prochaines élections.
« Dura lex, sed lex : la loi est dure, mais c’est la loi » Adage du droit romain
Les élections présidentielles et législatives couplées du Burkina Faso sont prévues pour se tenir le 22 novembre 2020, date fixée par décret pris en Conseil des ministres du 5 février 2020. La convocation du corps électoral pour cette date répond aux dispositions de la Constitution qui prévoient que l’élection présidentielle doit avoir lieu au moins 21 jours avant l’expiration du mandat présidentiel ou tout au plus 40 jours de cette échéance.
Mais pendant que les préparatifs administratifs des élections suivaient leur cours, le Président du Faso a pris des mesures d’urgence sanitaires liées à la situation de la pandémie du Covid-19 dans son adresse à la Nation du 20 mars 2020, dont la suspension immédiate de la révision des listes électorales biométriques par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la suspension de l’établissement des Cartes nationales d’identité burkinabè (CNIB) par l’Office nationale d’identification (ONI).
Cependant, la reprise rapide des préparatifs s’impose, parce qu’au regard des dispositions constitutionnelles, le report des élections est difficile, voire impossible.
I- L’urgence de la reprise des préparatifs administratifs des élections de novembre 2020
Les mesures prises par le Président du Faso dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 lors de son adresse à la Nation souffrent d’insuffisance sur certains points. . Au regard du caractère national de la crise sanitaire, le Chef de l’Etat aurait dû associer le Chef de file de l’opposition politique (CFOP) au processus de leur édiction. L’article 10 de la loi n°09-2009/AN du 14 Avril 2009 portant Statut de l’Opposition politique (modifié par la Loi n°046-2013/AN du 17 décembre 2013) dispose en effet que « Le Président du Faso et le Chef du gouvernement peuvent consulter l’opposition sur des questions d’intérêt national ou de politique étrangère. »
Ensuite, nous sommes en année électorale et la question électorale est également d’intérêt national. Au cours du dialogue politique organisé en 2019, tous les participants s’étaient engagés à œuvrer pour la bonne tenue des élections de novembre 2020. Aussi, toute décision pouvant influer sur le déroulement de ce processus électoral programmé devrait faire l’objet de concertations avec les principaux acteurs impliqués dont le CFOP. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi, ce qui fait que la majorité présidentielle se retrouve seule face à sa responsabilité d’assurer la tenue des élections en novembre 2020.
Enfin, nous sommes à sept (7) mois des élections de novembre et les textes de la CEDEAO disposent qu’à moins de 6 mois de la date des élections, aucune modification majeure des textes qui les régissent ne sera admise, sauf consensus de tous les acteurs politiques. Or, quoi qu’il advienne, la reprise des préparatifs administratifs actuellement suspendus nécessitera des réaménagements de certains textes législatifs et réglementaires afin que la date fixée puisse être respectée.
L’on comprend donc que le 17 avril passé, le Président Roch Kaboré ait rencontré en urgence les représentants des partis membres du Cadre de concertation du Chef de file de l’Opposition politique (CFOP) et de l’Alliance des Partis de la Majorité Présidentielle (APMP) en présence du Président de la CENI. Du communiqué de presse publié, il ressort que la rencontre a posé les jalons pour une réflexion à engager en rapport avec le calendrier électoral, au regard de la suspension de l’enrôlement biométrique et de l’établissement des cartes nationales d’identité.
Et de ce que nous savons des débats, le Président de la CENI a été formel : l’organisation des élections demeure toujours possible au stade actuel des choses, moyennant quelques réaménagements des délais de dépôt des candidatures, ce qui va nécessiter le vote par l’Assemblée nationale d’une loi modificative du Code électoral.
A titre de rappel, l’article 126 du Code électoral relatif à l’élection présidentielle, dispose que : « La déclaration de candidature est déposée au greffe du Conseil constitutionnel, cinquante jours au moins avant le premier tour du scrutin par le candidat ou son mandataire ou le mandataire du parti politique qui a donné son investiture. Il en est donné récépissé. »
L’article 176 dudit Code relatif à l’élection législative dispose que : « Les dossiers de déclaration de candidatures sont déposés en exemplaire original unique auprès du Secrétariat général de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), soixante-dix jours au plus tard avant la date du scrutin, par le mandataire du parti politique ou du regroupement d’indépendants qui a donné son investiture.
En cas de dissolution de l’Assemblée nationale, ce délai est ramené à trente jours… »
Plus rien n’a filtré par la suite sur les diligences prises sur la question. Mais il est de l’intérêt de tous que les élections du 22 novembre aient lieu. Sans quoi, le pays se trouvera dans la situation d’un blocage institutionnel, susceptible d’ouvrir la voie à une crise majeure qui mettrait en cause la stabilité des institutions républicaines et la paix sociale.
II- Des limites a la prorogation des mandats du président et des députés
Les élections présidentielles et législatives sont des scrutins d’essence constitutionnelle. La durée du mandat pour la Présidence du Faso est prévue par l’article 37 de la Constitution et pour l’Assemblée nationale par l’article 81. La constitutionnalisation de ces scrutins emporte les conséquences ci-après.
Modalités de prorogation du mandat des députés.
En 2012, la quatrième Législature en cours a été prorogée par une loi constitutionnelle, afin de permettre le couplage des élections législatives avec l’élection présidentielle prévue pour se tenir en décembre 2012. C’était une première au Burkina Faso, ce qui a donné lieu à beaucoup de débats. Mais ma vision de la question est simple et elle s’explique d’un point de vue constitutionnel et juridique : Le souverain (le peuple) est toujours compétent pour réviser la Loi fondamentale, pour peu qu’il n’y ait pas d’interdiction de la réviser d’une part, et d’autre part que la procédure et le fond de la révision respectent les règles prescrites en la matière, ce dont le Conseil constitutionnel est le garant.
Pour ce qui concernait la prorogation de la quatrième législature en 2012 :
- Il n’y avait aucune interdiction de réviser l’article 81 de la Constitution relatif au mandat du député. Dans le principe, la révision de l’article 81 était donc possible.
- Du point de vue de la procédure suivie, la révision de l’article 81 de la Constitution par les 3/4 des députés à l’Assemblée nationale était régulière.
- En revanche, pour le fond, le Conseil constitutionnel a rejeté une première loi de révision votée par l’Assemblée à cause du caractère spécifique de ses dispositions qui étaient contraire aux principes généraux de la rédaction des dispositions constitutionnelles.
Après la prise en compte des insuffisances relevées, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi Constitutionnelle n°023-2012/AN du 18 mai 2012 portant révision de la Constitution conforme à la Constitution. Cette loi admettait pour la première fois le principe de la prorogation du mandat des députés et appliquait la mesure à la législature en cours. Les élections présidentielles et législatives ont ainsi été couplées en décembre 2012.
Cependant, il n’en demeure pas moins que cette loi de prorogation était une loi circonstancielle, votée pour régler un problème ponctuel comme la dernière phrase de l’article 81 le laissait transparaitre : « La présente modification s’applique à la législature en cours. »
La loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la Constitution a tout naturellement expurgé l’article 81 de la Constitution de ses dispositions temporaires, tout en maintenant le principe de la prorogation du mandat des députés. Le libellé actuel de l’article 81 de la Constitution se présente comme suit :
« La durée de la législature est de cinq ans.
Toutefois, par dérogation à l’alinéa ci-dessus et en cas de force majeure ou de nécessité constatée par l’Assemblée nationale à la majorité absolue des députés, la durée de la législature peut être prorogée jusqu’à la validation du mandat des députés de la nouvelle législature.
Aucune prorogation ne saurait dépasser une durée d’un an. »
Cet article 81 de la Constitution autorise la prorogation du mandat des députés sans ambages, pour autant que la prorogation ne dépasse pas un an.
Il est important de signaler que cette prorogation expresse du mandat des députés prévue à l’article 81 permet à l’Assemblée nationale d’exercer la plénitude de ses pouvoirs. Elle diffère de la prorogation de fait prévue à l’article 50 de la Constitution dont les paragraphes 4 et 5 disposent qu’en cas de dissolution, l’Assemblée nationale ne se réunit certes pas, mais « …le mandat des Députés n’expire qu’à la date de validation du mandat des membres de la nouvelle Assemblée nationale. » Cette disposition vise plutôt à assurer la permanence et la continuité virtuelle de l’Etat, en l’absence même de députés siégeants.
Le manque de flexibilité du mandat du Président du Faso
Le mandat du Président du Faso est régi par les articles 37 et 165 de la Constitution.
L’article 37 dispose que :
« Le Président du Faso est élu au suffrage universel direct, égal et secret pour un mandat de cinq ans.
Il est rééligible une seule fois.
En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats de Président du
Faso consécutivement ou par intermittence. »
Deux idées forces se dégagent de cet article, à savoir que :
– la durée du mandat du Président du Faso est de cinq ans.
– personne ne peut exercer plus de deux mandats de façon continue ou discontinue.
L’article 165 dispose que :
« Aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause :
– la clause limitative du nombre de mandat présidentiel;
– la durée du mandat présidentiel ;
– la nature et la forme républicaine de l’Etat ;
– le système multipartiste ;
– l’intégrité du territoire national.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ni poursuivie en cas de vacance du pouvoir, pendant la durée de l’état de siège ou de l’état d’urgence et lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire national. »
Les deux premiers tirets de cet article 165 complètent et verrouillent les dispositions de l’article 37 relatif au mandat présidentiel en signifiant que :
– aucune révision de la Constitution n’est admise dès lors qu’elle a pour objet de modifier le nombre de mandat fixé à deux (2) par l’article 37 ci-dessus cité.
– aucune révision de la Constitution n’est admise dès lors qu’elle a pour objet de modifier la durée du mandat fixée à cinq (5) ans par l’article 37 ci-dessus cité.
Cette rigueur est le fait de la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la Constitution. Les députés de la Transition ont ainsi ajouté la non-révision du nombre de mandat et de la durée du mandat aux dispositions interdites de modification. Si l’on s’en tient à la lettre de ces dispositions, aucune prorogation du mandat présidentiel n’est possible. La connaissance de l’esprit qui a guidé l’élaboration de ces dispositions est également importante parce que l’esprit de la loi éclaire l’usager en cas de zones d’ombres.
S’agissant de l’esprit de ces dispositions, l’on se rappelle qu’elles ont été votées en 2015 par le Conseil National de la Transition (CNT) à un moment où une partie des Burkinabè tenait à annihiler à l’avenir toute velléité de révision du nombre de mandats présidentiels (limité à deux) et la durée de chaque mandat (fixée à cinq ans). Il s’en suit qu’en l’état actuel, le mandat présidentiel ne peut en aucun cas faire l’objet d’une prorogation au-delà des 5 ans fixés par la Constitution.
Confrontés à un blocage semblable en 2014, les acteurs politiques ont choisi d’adopter une Charte complémentaire pour contourner la Constitution, arrangement extraconstitutionnel qui a conduit le Faso dans la situation que l’on connait aujourd’hui.
Enfin, le dernier paragraphe de l’article 165 déploie une autre barrière à une révision éventuelle de la Constitution, lorsqu’il dispose qu’aucune révision de la Constitution n’est possible pendant la durée de l’état de siège, de l’état d’urgence, ou lorsqu’une partie du territoire national est occupée.
Or, à ce jour, l’état d’urgence est instauré de façon durable dans plusieurs provinces du Faso pour raison de terrorisme et plus récemment, pour crise sanitaire. Cet état d’urgence devra être d’abord rapporté avant l’examen de toute révision de la Constitution.
Ensuite une bonne partie du territoire de notre pays est occupée par des forces armées ennemies. L’intégrité du territoire est donc compromise, ce qui écarte toute possibilité de révision de la constitution tant que cette occupation perdurera.
De tout ce qui précède, il apparait qu’aucune révision de la Constitution visant à proroger le mandat du Président du Faso en exercice n’est admise. Il a pris fonction le 29 décembre 2015. Son mandat prend fin irrémédiablement le 28 décembre 2020. Aucun « lenga » n’est possible comme le disait en 2014 l’ambassadeur des Etats-Unis au Burkina Faso Monsieur Tulinabo Mushingi.
L’autre leçon que l’on peut tirer de l’imbroglio constitutionnel dans lequel se trouve notre pays, c’est qu’on ne légifère pas dans la passion, en étant animé par le désir de régler des comptes. Le Conseil National de la Transition (CNT), qui s’est érigé en constituant en 2015, a cru faire œuvre utile pour l’éternité en rendant définitivement inamovible les dispositions constitutionnelles relatives au nombre et à la durée des mandats présidentiels. Ce faisant, il a rendu constitutionnellement impossible tout aménagement de la durée du mandat présidentiel, même lorsque des circonstances imprévues (comme celles créées par le Covid-19) viendraient à l’exiger. La leçon qu’il convient d’en tirer, c’est que lorsqu’on a la lourde responsabilité d’édicter la loi, il faut faire preuve d’humilité, de prudence, de sagesse, en ayant à l’esprit qu’on n’est pas maître du temps, du cours de l’histoire, des contingences du destin. Il n’aura pas fallu longtemps pour que cette leçon s’impose au pays, alors que les protagonistes de cette radicalité constitutionnelle sont encore parmi nous.
CONCLUSION
C’est en connaissance de ces multiples verrouillages que le Président du Faso donne l’impression de vouloir remettre les préparatifs des élections de novembre, tandis que les membres de sa propre majorité tiennent un langage à contre-courant, toute chose qui en dit long sur le désarroi du clan majoritaire pris dans l’étau de la Constitution et la hantise d’affronter l’électorat.
L’histoire récente de notre pays recommande que tous les acteurs œuvrent pour que novembre 2020 soit respecté.
Lors de son séjour au Burkina Faso en début d’année 2020, la Sous-secrétaire des Nations-unies en charge de la paix n’est pas passée par quatre chemins pour signifier aux acteurs politiques, administratifs et sociaux que les Nations unies tiennent à ce que les élections aient effectivement lieu à bonne date, c’est-à-dire le 22 novembre 2020. Les ambassades d’Allemagne, des Etats-Unis, de France ainsi que la Délégation de l’Union européenne sont également tous de cet avis et ils l’ont répété à maintes reprises. Il n’y a pas d’autre alternative.
Un adage du droit romain dit que « la loi est dure, mais c’est la loi ».
Le parti majoritaire doit donc prendre son courage à deux mains pour affronter l’électorat et faire face à son destin politique.
Amadou Traoré
Juriste
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