Tribune │ L’ère du covid-19 : Les gros poissons mangent les petits dans les sites d’orpaillage du Burkina Faso
Ceci est une tribune de Dr Tongnoma Zongo, attaché de recherche spécialiste des questions minières et de Drs Edith Sawadogo sur la question de l’orpaillage au Burkina Faso.
Introduction
L’histoire de l’humanité offre de nombreux exemples de la rencontre avec des pathologies infectieuses, rencontre aux conséquences parfois très graves lorsque le contact entre les hommes et un nouveau virus entraîne la contamination des populations. On pense aux grandes pestes du Moyen-âge qui ont vidé les villes de leurs populations et fait régresser la civilisation urbaine.
On pense au virus importés en Amérique par les Espagnols qui ont décimé les populations locales plus sûrement que les combats (Fabienne K, 2012). On pense au choléra qui a fait plus de morts à Conakry et en RDC.
Diverses maladies liées à des agents pathogènes (virus, bactéries, parasites etc.) peuvent affecter les plantes et les animaux et parfois se transmettre à l’homme. C’est le cas de la pandémie de covid-19 qui secoue le monde de nos jours.
Neuf mars 2020, le Burkina vient d’enregistrer son premier cas de coronavirus (covid-19). De par ses modes de contagion, la transmission du coronavirus est facilitée par le manque d’hygiène, caractéristique typique des sites d’orpaillage. En effet, les sites d’orpaillage sont des arènes de rencontre de plusieurs milliers de personnes (Chevrillon-Guibert, 2017) de différentes origines et fonctions. Les campements miniers accueillent des milliers de personnes habitant dans des conditions de précarité élevée.
Dans les puits d’extraction, les artisans travaillent sans matériel de protection, en équipe dans des galeries où l’air ambiant est rare. Cet article cherche à analyser la situation des orpailleurs dans un contexte de crise sanitaire mondiale. Elle étudie l’impact du covid-19 sur les conditions socio-économiques et sanitaires dans les sites d’orpaillage du Burkina Faso.
La méthodologie adoptée est essentiellement qualitative basée sur une recherche documentaire et des entretiens téléphoniques auprès d’acteurs impliqués dans l’orpaillage au Burkina Faso, notamment dans le centre-Nord et le Sud-ouest du Burkina Faso.
Les mesures prises par les autorités burkinabè dans la lutte contre le covid 19 : les sites aurifères artisanaux oubliés ?
Si dans d’autres pays africains comme le Sénégal et le Mali, les mesures prises pour freiner la propagation du covid-19 ont concerné aussi la fermeture des sites aurifères artisanaux de l’or, tel n’est pas le cas pour le Burkina Faso qui compte plus de 600 sites (MM, 2019). Alors que la présence de plusieurs personnes à un endroit bien donné augmente les risques de contagion.
En effet les autorités burkinabè encouragent plutôt le secteur industriel de l’or au détriment du secteur artisanal. Ce constat est très bien observé par les vastes mesures de verrouillage et de quarantaine prises par le gouvernement burkinabè dans la lutte contre le covid-19. À titre illustratif, le gouvernement autorise Bissa Gold à faire venir des tests covid-19 au profit de son personnel alors que les orpailleurs sont laissés à leur propre sort sans aucun accompagnement de l’Etat et de la part des partenaires techniques et financiers.
C’est alors que des dons de diverses natures (du matériel sanitaire, des vivres et du matériel de protection composé des cache-nez et de gels hydroalcooliques, du savon, des vivres) ont été adressés aussi bien à certains ministères qu’à des populations démunies, mais pas dans le secteur de l’orpaillage. Cette situation pourra s’expliquer par la marginalisation de l’orpaillage pour son illégalité et le manque de maîtrise de l’activité d’orpaillage par les autorités (Almaden, 2015).
Ce manque de regard vis-à-vis de ce secteur pourvoyeur d’emplois a amené les orpailleurs à développer des capacités résilientes (sensibilisation sur les mesures d’hygiènes, interdiction de s’asseoir ensemble pour manger, des dons en matériels des premiers responsables etc.) pour barrer la voie à cette maladie très contagieuse.
Dans les zones de l’exploitation artisanale de l’or, ce sont des responsables du domaine qui ont fait parler leur cœur vis-à-vis de leurs confrères. C’est le cas du président du Syndicat burkinabè des Orpailleurs artisanaux et traditionnels (SYNORARTRAB), section du Sud-ouest, qui a remis, le mardi 21 avril 2020 à Gaoua, des dons de diverses natures à une diversité d’acteurs de la province du Poni et dans le site aurifère artisanal de Djikando où il est le premier responsable.
Dans les autres sites du pays où des dons ne sont pas parvenus, les orpailleurs se sont approvisionnés en matériel de lavage des mains comme le savon et le gel hydro alcoolique. C’est dans ce contexte qu’un orpailleur mentionne que : « nous n’avons pas le choix que de lutter pour ne pas que cette maladie vienne dans ce site car cette maladie est venue confirmer que nos autorités ne nous considèrent pas du tout. Sinon, comment comprendre qu’une activité qui génère beaucoup d’emplois n’a aucunement fait l’objet d’une attention de la part des autorités dans les mesures prises pour freiner la propagation du Covid-19 ».
La mise en quarantaine des grandes villes du pays entraînant la limitation des déplacements des personnes engendre des conséquences socio-économiques dans les sites aurifères artisanaux du Burkina Faso.
Covid-19 et le système socio-économiques dans les sites d’orpaillage.
L’orpaillage joue un rôle indispensable dans les activités socio-économiques du Burkina Faso. Cette activité a été tantôt une source principale de revenu, tantôt une activité complémentaire à l’agriculture pour faire face aux aléas climatiques en milieu rural.
Malgré tout, cette activité a été laissée pendant longtemps, sans aucune réglementation forte et soutenue depuis la liquidation du comptoir burkinabè des métaux précieux en 2006, ce qui aggrave les questions sanitaires et environnementales. Cette négligence du secteur d’orpaillage est très bien illustrée par les mesures prises par les autorités burkinabè dans la lutte contre la propagation du covid-19. Aucune mesure allant dans la protection des prix d’achats de l’or dans les sites aurifères artisanaux.
Même si les effets indirects de cette crise sanitaire commencent à se faire sentir via les chutes des cours des matières premières (pétrole, le cuivre, le cobalt et le zinc) tel n’est pas le cas pour le métal or au niveau mondial. En progression constante depuis une année, le prix de l’once atteint de nos jours des sommets, dépassant les 1600 dollars. Malgré cette augmentation spectaculaire du prix de l’once, les acheteurs d’or dans les sites aurifères profitent de cette crise sanitaire et le manque de regard de l’Etat Burkinabé dans le contexte actuel pour acheter l’or à un très bas prix.
Selon le président de l’union communale des orpailleurs de Kampti et responsable du site d’or de Bantara, le prix d’achat de l’or avant la crise du covid se situait entre 37 500 et 40 000FCFA. Dans d’autres sites comme à Djikando, Bandadjara, Bouda, le prix d’achat était compris entre 23000 et 25000F et dans les sites du Centre Nord comme Ronguin, Sahouia, le prix d’achat se situait entre 30 000 FCFA et 32 500F selon nos entretiens. À la fin du mois de mars jusqu’à la fin du mois d’avril et début mai dans certains sites, le prix de l’or a connu une baisse considérable.
Le gramme d’or était passé entre 16000 F à 17000 FCFA selon le responsable du site de Bantara. Ces prix paraissent plus généreux par rapport à d’autres sites comme Bandadjara où le gramme d’or était vendu à 10 000 FCFA selon le coordonnateur du site. Par contre, à Djikando, et dans le site de Sahouia dans le centre nord du pays, le marché de l’or était carrément absent. Pour ceux qui étaient contraints à la vente, ils ne pouvaient obtenir que 15000 FCFA, à peu près le prix obtenu à Bantara.
Les raisons avancées de cette chute sont similaires dans les sites précités. Il s’agit de l’incertitude de la situation sanitaire mondiale. En effet, au début de la crise, la plupart des gens croyaient à un arrêt apocalyptique strict des activités. Cela supposait un arrêt des activités économiques, chacun chez soi, pas de contact avec les acheteurs des grandes villes, encore moins de l’échelle internationale. C’est également ce qui s’est passé au vu de la situation dont témoignent certains responsables d’orpailleurs.
En effet, selon nos interlocuteurs, il était carrément difficile de faire venir le matériel de travail de la capitale. Il s’agit surtout des hydrocarbures pour le fonctionnement des moulins, des motopompes ; les produits chimiques pour le traitement du minerai, etc. Seuls ceux qui sont un peu nantis arrivaient à acheter l’or en imposant leurs prix aux grands désespoirs des exploitants. La plupart des creuseurs interrogés sur la baisse drastique du prix de l’or avancent que les acheteurs d’or utilisent la pandémie du covid-19 pour faire chuter le prix de l’or dans les sites aurifères artisanaux du Burkina Faso. Cette situation semble être une catastrophe pour de nombreux orpailleurs dépendants de cette manne, mais une aubaine pour les acheteurs d’or.
Covid-19 impose une nouvelle façon de vivre dans les sites aurifères artisanaux du Burkina Faso
L’impact du virus et les mesures prises pour contrer le covid-19, intensifient une psychose grandiose au niveau de la plupart des secteurs d’activités du pays. Le Burkina Faso se trouve au cœur de l’une des crises les plus dramatiques de son histoire. La pandémie de COVID-19 ne conduit pas seulement l’humanité à une urgence sanitaire sans précédent, où les lacunes de nos systèmes de soins de santé et sociaux sont les plus exposées, mais elle met en mal le vivre ensemble.
Les mesures prises pour arrêter la contagion bouleversent le système de solidarité qui régnait dans les sites aurifères artisanaux du pays. Manger le bandare « le riz mélangé avec l’haricot » ensemble, fumer une cigarette à deux ou à trois n’est plus d’actualité dans les sites aurifères artisanaux du Burkina Faso, nous confient les orpailleurs interrogés.
Comme le mentionne un orpailleur lors de nos entretiens : « Nous avons peur de cette maladie contagieuse et partager un repas ensemble avec des amis et se serrer les mains sont de véritables risques de contagion de la maladie car les sites aurifères sont les lieux potentiels où les règles d’hygiènes ne sont pas du tout respectées ». Alors que saluer quelqu’un, un geste si ordinaire et naturel, est devenue aujourd’hui un lourd fardeau, bouleversant ainsi les codes de la société.
En effet, l’épidémie dévastatrice a ainsi bouleversé tous les codes sociaux obligeant les orpailleurs à adapter une nouvelle vie. Les orpailleurs qui sont déjà en situation de marginalisation et de vulnérabilité au Burkina Faso sont confrontés à un risque plus élevé d’insécurité alimentaire.
Conclusion
La pandémie du covid-19 a des conséquences importantes sur la vie socio-économique des Burkinabè de façon générale et le milieu de l’exploitation artisanale de l’or en particulier. Pour redresser la situation à l’échelle nationale, l’état gagnerait à améliorer la vigilance épidémiologique et s’inscrire dans une dynamique de promotion de la transversalité dans le domaine de la recherche et de la formation en revisitant actuellement le financement de la recherche.
Une bonne communication de la part des autorités politiques s’avère indispensable pour améliorer l’acceptabilité des mesures prises à l’échelle nationale. En effet un manque de confiance de la part des autorités politiques peut amener la population à raisonner comme des experts en santé publique et défiera les mesures prises pour contrer le covid-19.
L’Etat Burkinabè doit impliquer et adapter les comportements de la population aux conditions de diffusion du virus covid-19 dans tous les secteurs y compris le domaine de l’orpaillage. La capacité de la réponse à réduire le risque de contagion de covid-19 dépendra dans une large mesure des comportements adoptés par la population exposée.
Dr Tongnoma Zongo, attaché de recherche spécialiste des questions minières au CNRST/BF
Email : [email protected]
Drs Edith Sawadogo doctorante spécialiste des questions minières au Burkina Faso
Emil : [email protected]
Références
Almaden, C. R. C. (2015). Political Ecology of the Small-scale Gold Mining in Cagayan de Oro City, Philippines. Mediterranean Journal of Social Sciences, 6(1), 351‑362. https://doi.org/0.5901/mjss.2015.v6n1s1p351
Chevrillon-Guibert, R. (2017). Le Boom de l’or au Soudan : Enjeux et perspectives pour les acteurs nationaux. International Development Policy | Revue internationale de politique de développement, 18. http://poldev.revues.org/2231
Bafujiinfos.com – Lutte contre le covid19 à Gaoua : une journée avec les orpailleurs du Site d’or de Djikando du 08 avril 2020. Consulté le 03-05-2019
Bafujiinfos.com – COVID19 : le prix de l’or en chute libre au site d’or de Bantara du 08 avril 2020. Consulté le 03-05-2019
Fabienne K. (2012). Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes (rapport d’information)
www.bdor.fr Consulté le 04-05-2019
fr.bullion-rates.com. Consulté le 05-05-2019
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