Surdité et éducation dans la province du Gourma au Burkina Faso : Les défis linguistiques de la scolarisation

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Ceci est une contribution de trois chercheurs sur la question de la scolarisation.

Introduction

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L’éducation, l’instruction et la formation, constituent des droits sociaux et culturels reconnus par la Constitution burkinabè qui vise à les promouvoir. Convaincu que tout développement passe par l’éducation et la formation des ressources humaines, les autorités du Burkina Faso les ont placées parmi les priorités des programmes de développement économique et social. En effet, l’institution scolaire, instance par excellence de transmission des savoirs, est la sphère où les activités visent à développer chez l’être humain l’ensemble de ses potentialités physiques, intellectuelles, morales, spirituelles, psychologiques et sociales.

Ceci en vue d’assurer sa socialisation, son autonomie, son épanouissement et sa participation effective aux actions de développement de son pays. Officiellement, le médium d’enseignement/apprentissage qui y est utilisé est le français oral et écrit aux côtés des langues nationales, ce qui dénote de l’importance de la question linguistique au regard de la vocation première de cette institution. Ainsi, pour A. NAPON (2006 : 4) : « l’identification de l’esprit du peuple à la langue et de la langue à l’esprit du peuple est affirmée avec force puisqu’un peuple parlerait comme il pense et penserait comme il parle ». Toutefois, dans cette dynamique de la construction de l’être, une frange de la population se trouve handicapée par la manière qu’est utilisé le médium, à savoir l’utilisation orale de la langue (précédant à tout point de vue l’écrit) étant donné que tous ne la possèdent pas, notamment les déficients auditifs.

L’éducation inclusive se présente donc comme une approche éducative qui tient compte des besoins particuliers en matière d’enseignement/apprentissage de tous les enfants et adolescents en situation de marginalisation et de vulnérabilité. L’objectif étant d’assurer à ces enfants l’égalité de droits et de chances en matière d’éducation. Cependant, de nos jours, l’éducation des enfants sourds pose d’énormes difficultés aux enseignants. D’abord, la langue des signes de l’école n’est pas suffisamment décrite et harmonisées. De facto, on peut alors s’interroger sur la qualité de l’encadrement qui est offert à ces enfants. Cette situation nous a donc amené à nous intéresser aux apprenants déficients auditifs des écoles inclusives de la région de l’Est, à travers les interrogations suivantes :

  • Les enseignants bénéficient-ils régulièrement de formations continues ?
  • Les enseignants disposent de documents didactiques spécifiques officiels pour l’enseignement de la langue des signes, langue tremplin des autres apprentissages ?
  • Les curricula sont-ils adaptés à la surdité ?
  • Les parents d’élèves jouent-ils leur rôle de partenaire des écoles ?

Quant aux objectifs, il s’agit de recueillir les réponses des enseignants et faire des propositions pour améliorer les pratiques. Les entretiens et les questionnaires ont servi à la collecte des données. Les neuf (09) enseignants deux écoles de sourds ont tous répondu aux questions.

Bref aperçu sur la déficience auditive au Burkina Faso

Globalement le Burkina dispose de peu de données sur le Handicap malgré les efforts consentis par les différents techniciens et partenaires du domaine. On peut toutefois relever que selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat fait en 2006, on dénombre 168 094 Personnes en Situation de Handicap (PSH) au Burkina Faso, chiffre en deçà de la réalité.

En ce qui concerne la répartition des personnes par type de handicap, il ressort que 34,7% de personnes a une déficience motrice, 17,5% une déficience visuelle, 14,9% une déficience intellectuelle, 12,2% une déficience auditive. S’agissant de la présentation par région des enfants déficients auditifs selon leurs besoins en matière d’audition/langage, la région de l’Est se positionne quatrième après les Cascades, le Centre-ouest et le Sahel, RGEH[1] (2013 : 33). L’éducation inclusive des enfants sourds est un projet politique qui implique de mettre en application toutes les conditions favorables à la réussite des apprenants. Pour le MENA (2012, p.4), 

L’éducation inclusive est une approche éducative qui tient compte des besoins particuliers en matière d’enseignement et d’apprentissage de tous les enfants et jeunes gens en situation de marginalisation et de vulnérabilité.

Pour mettre en œuvre sa politique d’inclusion, le gouvernement burkinabè a adopté de la stratégie nationale pour l’éducation inclusive (SNDEI) par le MENAPLN en 2018.

L’élaboration de la stratégie d’éducation inclusive se justifie pour des raisons d’équité, de justice sociale, par l’existence d’une politique axée sur l’intégration des enfants handicapés ; toute chose qui participe à l’atteinte des objectifs d’une éducation pour tous.» (SNDEI, 2018, p.15)

Fonctionnement des structures de prise en charge et difficultés d’encadrement

 

2.1. Fonctionnement des structures de prise en charge

 

Dans la région de l’Est, plus précisément dans la ville de Fada, il existe l’école inclusive gérée par l’APHG et celle intégratrice gérée par Sanhamou Handicap, appelée « Ecole Espérance ». La première est une école inclusive tandis que la deuxième est intégratrice. Ces deux écoles accueillent des enfants souffrant d’un handicap audio / moteur. Ces structures de prise en charge d’enfants, en situation particulière, rencontrent d’énormes difficultés pour leur bon fonctionnement, tant au niveau de la collaboration avec les partenaires qu’au niveau des parents. Parmi ces difficultés, on peut citer : le suivi scolaire, les frais de vacation et de cantine, la couverture sanitaire et l’alimentation des pensionnaires.

L’école « Espérance » a un régime d’internat et la difficulté majeure demeure le fonctionnement de l’établissement et la prise en charge des pensionnaires. L’Etat se révèle être le partenaire sûr, cependant, l’aide prévue n’est pas régulière ou n’est pas envoyée à temps. La prise en charge médicale/paramédicale des ESH n’est pas non plus correctement assurée. Après l’inscription des enfants, la structure ne bénéficie d’aucun moyen pour leur prise en charge, les parents ne jouant plus leur rôle de partenaire. Pour une scolarité de 30 000 FCFA mensuel, la majorité des parents d’élèves n’honore pas leur engagement. En plus, ce n’est que par moments, quelques rares fois, que certains appellent la structure pour s’enquérir des nouvelles de leurs enfants.

III. Présentation des données recueillies

 

Nous avons, au cours des entretiens, posé des questions relatives à la disponibilité et à la qualité du matériel didactique, à la formation des enseignants, au choix de la langue des signes et à la maîtrise des codes linguistiques. Aussi a-t-il été question de la collaboration entre les écoles et les partenaires de l’éducation.

Graphique 1 : Réponses sur les formations continues

Tous les enseignants disent n’avoir pas bénéficié de formation continue les cinq dernières années. Ils ont même remis en cause leur formation initiale. Des neuf (09) enseignants de l’école inclusive « APHG » et de l’école intégratrice « l’Espérance », aucun n’a bénéficié de plus d’un mois de formation initiale en langue de signes pour la prise en charge effective des apprenants inscrits dans ces structures. Dans chaque école, les enseignants harmonisent leurs signes en puisant aussi dans les gestes et signes naturels.

Graphique 2 : Réponses sur la disponibilité de documents didactiques officiels

Il en ressort qu’aucun enseignant ne disposent de documents didactiques spécifiques officiels pour l’enseignement de la langue des signes, langue tremplin des autres apprentissages. Une réponse est récurrente à la question complémentaire de savoir comment ils font :

« Nous utilisons de vieux documents qui sont :

–  Langage de signes harmonisés de l’école des sourds muets et aveugles de Mahadaga ;

 Dictionnaire des langues de signes ;

–  Langage des signes du sourd africain francophone (1994) ; 

–  Langage des signes du sourd africain francophone (1996)».

Les enseignants relèvent de même que « les deux derniers manuels portent sur la coiffure, couture, cuisine, cordonnerie, législation, le maraîchage, l’entreprenariat et l’hygiène ».

Tous les enseignants affirment qu’ils n’utilisent pas une langue de signes harmonisée donc ils font aussi recours au langage parlé complété (LPC) pour expliciter les mots et les concepts clés utilisés dans la didactique du français et des matières.

Graphique 3 : Réponses sur l’adaptation des curricula à la surdité  

Les deux écoles ne disposent d’aucun document spécifique pour l’éducation des sourds.

Graphique 4 : Réponses sur le rôle des parents en tant que partenaires des écoles

                                

Les attentes des enseignants déplorent tous l’abandon de l’école par les parents. En effet, il ressort des entretiens qu’à l’exception de quelques rares parents qui viennent de temps en temps dans les écoles pour prendre des nouvelles du travail des enseignants et les apprentissages de leurs enfants, les parents dans leur quasi-totalité ont démissionné de leur rôle de meilleurs partenaires des écoles. Seul un des neuf enseignants a reconnu que quelques parents jouent leurs rôles de partenaires des écoles. Malgré les efforts des enseignants pour une prise en charge convenable des apprenants, les parents laissent l’équipe éducative aux prises avec des difficultés multiformes. Comme le dit KG, un enseignant, « les parents devraient être les partenaires privilégiés des écoles. Malheureusement, au lieu de prendre en charge les frais de scolarité de leurs enfants et de nous aider dans leur éducation, beaucoup veulent l’aide des écoles, en plus de ce que nous faisons déjà ». Au regard de ce qui précède, que pouvons-nous proposer ?

Quelques propositions

Toutes les insuffisances évoquées par les enseignants avaient déjà été relevées par CONGO A. C. (2015 : 335) :

« Dans certaines écoles, les enseignants n’ont pas reçu de formation professionnelle initiale et ne reçoivent pas de formation continue, encore moins de formations spécifiques notamment en pédagogie spécialisée ».

Des propositions avaient été faites, notamment l’harmonisation d’une langue de signes (LS) de scolarisation pour les écoles.

« Une LS commune pourrait être une LS d’alphabétisation des sourds non scolarisés pour leur donner accès à la communication avec les personnes scolarisées et à l’information signée à la télévision. Une LS commune aiderait à former un noyau de parents signeurs qui pourront aider à la formation des autres parents d’enfants sourds pour une guidance parentale et un suivi éducatif actifs ». Idem (pp 357 – 358).

A propos des documents didactiques, CONGO (2016 :7) disait :

« Les documents didactiques des enfants normo-entendants sont imposés aux enfants sourds. Leurs enseignants ne sont pas outillés en documents spécifiques pour la didactique de la grammaire. Les apprenants sourds, comprenant difficilement et étant dans un besoin de visualisation des items d’apprentissages, sont pénalisés. Il s’en suit, pour la classe de sourds, une grande occupation du temps d’apprentissage prévu, pour une très petite progression dans le programme. Pour un cours de grammaire prévu pour une heure de temps, seule 1/8è des tâches est exécuté avec une assez bonne compréhension des apprenants, soit 12,5% des enseignements prévus ».

Dans les écoles de l’étude, l’adaptation didactique est une transposition continue. Adapter les enseignements, les méthodes, les pratiques et le processus d’enseignement aux moyens insuffisants caractérise cette transposition. Comme le disait Chevallard (1991 p. 39),

« Un contenu de savoir ayant été désigné comme savoir à enseigner subit dès lors un ensemble de transformations adaptatives qui vont le rendre apte à prendre sa place parmi les objets d’enseignement. Le « travail » qui d’un objet de savoir à enseigner fait un objet d’enseignement est appelé la transposition didactique ».

Pour aspirer à une éducative inclusive réussie à Fada N’Gourma, nous proposons que :

  • les signes utilisés soient harmonisés par les écoles;
  • la formation continue des enseignants soit assurée afin de renforcer leurs connaissances et leurs compétences;
  • des documents didactiques spécifiques soient élaborés pour les écoles spécialisées en surdité, notamment des documents de grammaire visuelle du français.

 

Conclusion

Notre travail a révélé les difficultés de l’enseignement en situation de surdité. Les résultats relèvent qu’en cinq ans, de 2015 à 2020, aucun changement n’a été effectué en terme de renforcement des capacités des enseignants des écoles de sourds de la province de Fada N’Gourma. L’éducation inclusive est une vision politique dont l’application sur le terrain rencontre de grandes difficultés. Les deux structures de l’étude sont d’initiative privée. Elles fonctionnent sur la contribution des parents et les aides des partenaires.

En plus du besoin avéré de matériel didactique spécifique pour une meilleure prise en charge des apprenants déficients auditifs, les enseignants espèrent pouvoir compter sur leur ministère de tutelle pour bénéficier de formations continues afin de renforcer leurs compétences. L’harmonisation d’une langue de signes de l’éducation a encore été proposée par les enseignants et les directeurs des écoles, pour un bon processus d’enseignement/apprentissage.

Dr Aoua Carole CONGO,

Dr Palé Sié Innocent Romain YOUL,

Dr Laetitia Malpoa OUALI

Chercheurs Institut des sciences des sociétés/CNRST

[email protected]

 


Bibliographie

CHEVALLARD Yves, 1991, La transposition didactique – Du savoir savant au savoir enseigné , (2e ed.) La Pensée sauvage, Grenoble, 126 p. 

CONGO, A. C. (2015), Problématique de l’enseignement/apprentissage de français dans les écoles inclusives de sourds au Burkina Faso, Thèse de Doctorat, Université de Ouagadougou, 500 p.

CONGO, A. C. (2017), Enseignement de la grammaire du français : comment aider les apprenants sourds à passer de la spatialité de la langue des signes à la linéarité du français ? NodusSciendi.net Volume 19 ième Janvier 2017

NAPON A., 2006, Le rôle des langues nationales dans la promotion de la culture burkinabè, in Revue du CAMES – Nouvelle Série B, Vol. 007 N°1, pp. 205-2013.

MASSN, 2013, Recensement général des enfants handicapés de 0-18 ans au Burkina Faso, rapport final, 63 p.

[1] Recensement général des enfants handicapés

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