Honte d’acheter un préservatif : Ces tabous qui persistent au Burkina Faso

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Le prix du préservatif, notamment masculin, ne semble plus être le seul frein à la protection sexuelle au Burkina Faso. D’autres facteurs, tels que la honte ou la désinformation, entrent également en ligne de compte. Il n’est pas, en effet, rare de voir des jeunes parcourir plusieurs kilomètres pour se procurer un préservatif, juste pour ne pas être aperçus par un proche.

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De Saaba au quartier Zogona, soit environ 11 kilomètres pour se procurer un paquet de préservatif à 100 francs CFA. C’est la distance que parcourt Achille Ouédraogo, étudiant, vivant dans la commune rurale de Saaba.

« Il y a plusieurs boutiques à côté de chez moi. Le problème, c’est que j’ai grandi dans le quartier et je connais tout le monde. Aller m’arrêter devant le boutiquier qui m’a vu grandir pour acheter des préservatifs est gênant pour moi », avance Achille tout sourire.

Son cas est loin d’être isolé dans la capitale burkinabè. Plusieurs jeunes partagent son avis. Certains estiment que « c’est mieux d’aller dans un quartier où personne ne te connait ».

Un autre jeune du nom de Moussa au quartier Wayalghin préfère faire également des courses à la recherche de préservatifs jusqu’à Kalgondhin. « J’ai besoin de discrétion », dit-il. Le phénomène semble exister depuis belle lurette.

Pour mieux comprendre le choix de ces jeunes, nous avons tendu notre micro à des personnes âgées. Le regard figé, un sexagénaire qui a requis l’anonymat explique que  « la situation des jeunes n’est pas un fait nouveau ».

Selon ses dires, à leur époque, cela existait et « était même pire ». « Actuellement, il y a beaucoup de boutiques et de pharmacies un peu partout. Les jeunes ont le choix  et ils ont des mots pour parcourir de longues distances », souligne-t-il.

Marié et père de cinq enfants, le sexagénaire ajoute qu’il y a 40 ans, « personne n’osait acheter des préservatifs dans la boutique du quartier ». Au risque de devenir le sujet des commérages dans les kiosques. A la question de savoir comment ça se passait, la réponse du « vieux » se veut claire : « Tu envoies un enfant aller faire la course pour toi. Ou bien tu te débrouilles et tu pars dans un autre quartier ».

Selon son analyse, la vulgarisation des « méthodes contraceptives banalise de plus en plus l’acte sexuel ». Sur un ton autoritaire, il soutient que les jeunes ne se marient plus vite parce qu’ils peuvent avoir des rapports sexuels sans conséquences quand ils veulent.

« Quand tu es marié et tu pars pour acheter un préservatif, c’est comme si tu voulais tromper ta femme »

« Je trouve que le fait que les jeunes aient à leur disposition et à volonté des préservatifs ne changent rien dans le concept du mariage et les envies d’un foyer », rétorque Karim Sanogo, un garagiste frisant la quarantaine.

« Quand tu es marié et tu pars pour acheter un préservatif, c’est comme si tu voulais tromper ta femme. C’est tellement gênant pour certains qu’ils s’abstiennent ou ont des enfants à des intervalles rapprochés », déplore Karim Sanogo. 

Néanmoins, certains jeunes pensent qu’il faut vaincre sa timidité et sa peur et se procurer des condoms. Une autre solution, selon lui, est la pharmacie. « Moi je ne trouve pas qu’il y a un problème dans ça. Si tu ne veux pas aller à la boutique, tu pars à la pharmacie et c’est ni vu, ni connu », déclare Patrick Bouda, un jeune commerçant. « Le véritable problème, c’est quand tu pars chuchoter dans l’oreille de la caissière ou du boutiquier et il ou elle le répète à haute voix », temporise Achille Ouédraogo.

« Quand il y a quelqu’un d’autre dans la boutique, ils achètent juste des bonbons ou des biscuits et repartent »

« C’est très simple. Je pars acheter ma chose tranquille et je ne regarde même pas quelqu’un », dit Djamel Konan, un étudiant ivoirien vivant au Burkina Faso. Plus loin, il confiera que même ses amis « l’exploitent pour se ravitailler » en préservatifs, comme le révèle notre sondage réalisé dans cinq « grins de thé » où quatre grins utilisent la méthode.

Du côté des pharmacies et des boutiques, des gérants s’accordent à dire que l’embarras existe au sein de la jeunesse quand il s’agit de venir acheter des préservatifs. « Il y a souvent certains qui viennent et quand il y a quelqu’un d’autre dans la boutique, ils achètent juste des bonbons ou des biscuits et repartent. Il peut faire ça trois ou quatre fois dans la journée », témoigne un boutiquier anonyme à Karpala. Pour un achat de 100 F CFA, certains jeunes arrivent à dépenser plus de 500 FCFA avant d’y parvenir, dit-il.

A la pharmacie, même s’ils n’achètent pas des bonbons ou des biscuits, le scénario présente souvent le même visage. Une caissière d’une pharmacie de la place accepte raconter une anecdote. « Un gars peut arriver à la pharmacie ; et reste là à tourner. Si on lui parle, il ne répond pas, tant qu’il y a des gens dans la pharmacie. Il arrive souvent qu’il ressorte sans rien payer pour revenir après. Comme on comprend souvent, on essaie d’être extrêmement discret », affirme-t-elle.

Près de 85.000 condoms  écoulés en trois mois

A l’Association Burkinabè pour le Bien-Etre Familial (ABBEF), la situation est différente. « Ici, nous ne rencontrons pas ce genre de problème. Si les jeunes arrivent à notre niveau, ils sont vite compris. Ils n’ont pas besoin de trop parler. On comprend les jeunes avant même qu’ils aient dit ce qu’ils veulent », explique Simon Yaméogo, conseiller et animateur social à l’ABBEF.

Avec une technique d’approche plus compréhensive et moins commerciale, l’ABBEF axe ses actions dans l’accompagnement des jeunes. A cet effet, « nous offrons même des préservatifs gratuitement souvent », confie M. Yaméogo. Pour le premier trimestre de l’année 2019, l’animateur social fait savoir que près de 85.000 condoms ont été écoulés par l’ABBEF. Pour le seul mois de janvier 2020, plus de 106 000 sont sortis. Un rythme jugé bon par les responsables de l’ABBEF qui mettent la protection des jeunes au cœur de leur défi.

Mais la situation au niveau des centres pour jeunes de l’association s’est compliquée, selon notre interlocuteur. « Depuis février 2020, nous sommes en rupture. Ce n’est vraiment pas facile avec la demande », déclare Simon Yaméogo. Et de proposer : « Les gens devraient aussi tenter l’expérience des préservatifs féminins ».

En attendant que cette expérience se concrétise et conduise à de nouvelles habitudes, ils sont nombreux ces jeunes qui ressentent toujours le tabou d’acheter un préservatif dans une boutique ou une pharmacie, encore moins dans leurs quartiers. 

En rappel, la gratuité de la planification familiale était en phase pilote dans deux régions du Burkina Faso (Cascades et Centre-Ouest) depuis le 24 juin 2019. Une décision prise en décembre 2018 par le Président du Faso qui devrait notamment permettre de réduire la mortalité maternelle et améliorer les indicateurs de santé considérés comme peu reluisants. Et depuis le 1er juillet 2020, les autorités sanitaires et leurs partenaires poursuivent l’extension de la mesure de gratuité sur l’étendue du territoire national.

Basile SAMA

Burkina 24

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